Mort de Rémi Fraisse : «Pour les gendarmes, une enquête à décharge»

A Sivens, le 28 octobre 2014, après la mort de Rémi Fraisse.

A Sivens, le 28 octobre 2014, après la mort de Rémi Fraisse. Photo Régis Duvignau. Reuters

Un an après le décès du jeune militant écologiste sur le site du projet de barrage de Sivens, l’avocate de la famille dénonce une investigation «déformant» le film des événements.

Un an après sa mort, Rémi Fraisse repose «dans une boîte, dans un HLM de cercueils». C’est ce qu’a récemment confié sa mère, Véronique, à France Culture. La crémation du jeune homme, 21 ans, tué dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014 sur le site du projet de barrage de Sivens (Tarn), a été bloquée «pour des raisons judiciaires», en cas d’expertises complémentaires. Une décision qui rend encore plus compliqué le deuil de la famille, qui a lancé dans le Monde un appel aux témoins. «Nous voulons comprendre comment un gendarme peut envoyer une grenade mortelle dans de telles circonstances, comment des commandants de gendarmerie ont pu donner l’ordre d’user de ces armes, alors que leur métier est de circonscrire la violence. Nous voulons savoir qui est responsable. Un non-lieu serait terrible», écrivent le père, la mère et la sœur de Rémi Fraisse.

La crainte n’est pas superflue. L’information judiciaire contre X pour «violences par personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné la mort sans intention de la donner», ouverte le 29 octobre 2014, n’a pour l’instant débouché sur aucune mise en examen. Aucune reconstitution n’a été effectuée, aucun appel à témoignages lancé. Selon le Monde, les deux juges toulousaines en charge du dossier n’ont pas demandé d’acte d’investigation depuis le mois de mars. C’est à cette époque qu’elles ont reçu sur leur bureau les premiers résultats d’une commission rogatoire. Ce travail d’enquête, réalisé par l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) et la section de recherches de la gendarmerie de Toulouse, ne s’écarte pas de la thèse martelée par les autorités : la réponse des forces de l’ordre a été proportionnée et conforme aux procédures.

«Retenue et professionnalisme»

Dans des extraits du procès-verbal de synthèse cité par le Monde, les gendarmes – qui ont donc été interrogés par leurs collègues – affirment avoir riposté «à des violences caractérisées, croissantes et incessantes» de la part des zadistes. Selon eux, «les avertissements réglementaires ont été effectués avant chaque usage ou lancer de grenade». Ces conclusions ne diffèrent pas de celles rendues le 2 décembre 2014 par l’IGGN dans un rapport d’enquête administrative, qui soutenait que les militaires présents sur le site avaient rempli leur mission «avec professionnalisme et retenue».

«On a l’impression d’une enquête totalement à décharge pour les gendarmes, regrette Me Claire Dujardin, avocate de la famille de Rémi Fraisse. Elle donne une vision déformée de la réalité ce jour-là, afin de légitimer l’emploi de la grenade offensive qui a tué Rémi, et de conclure, finalement, qu’il s’agit d’un accident.»

Or plusieurs éléments du dossier contredisent la thèse d’un climat de violence généralisée entretenu par les zadistes. «Il y a bien eu des jets de bouteilles enflammées, mais peu, et loin des militaires», assure le Monde, sur la base des témoignages des forces de l’ordre et des bandes vidéo. Qui précise que «le seul blessé, côté gendarme, s’est fait mal au genou en trébuchant tout seul lors d’une sortie». A une heure du matin le 26 octobre, quarante-cinq minutes avant le décès de Rémi Fraisse, le commandant de gendarmerie mobile rend compte de la situation sur place au centre opérationnel : «Terrain tenu, pas de gros soucis», rapporte le Monde.

«Pression» et «bienveillance»

Pour la Ligue des droits de l’homme, qui a rendu un rapport de 75 pages ce vendredi sur les faits, «l’autorité politique a délibérément pris le parti de faire exercer à leur encontre [les occupants du site, ndlr], par les forces de l’ordre, un niveau de violence considérable». «La survenance d’un drame et la mort d’un homme étaient dans la logique du dispositif mis en place», ajoute l’organisation. La nuit du drame, les gendarmes mobiles ont fait pleuvoir un déluge de grenades sur les manifestants : 237 lacrymogènes, 41 balles de défense, 38 grenades mixtes et 23 offensives. C’est l’une de ces dernières qui a tué Rémi Fraisse.

Le site d’information Reporterre signale également que «les militaires interrogés par leurs confrères n’ont pas subi de pression», alors que «les proches de la victime n’ont pas bénéficié de la même bienveillance». Mediapart précise que la personnalité de Fraisse a aussi fait l’objet d’une attention soutenue : «Contenus de l’ordinateur et du téléphone portable de Rémi minutieusement épluchés, comme les communications et les connexions, fréquentations passées au tamis, compte bancaire examiné, questions insistantes posées sur ses opinions politiques, son éventuelle consommation de drogue ou d’alcool, et même sur la médiatisation de son décès…»

Les enquêteurs ont en revanche beaucoup moins poussé leurs investigations sur les consignes données aux forces de l’ordre pour ce week-end des 25 et 26 octobre. Le lieutenant-colonel en charge du dispositif avait dans un premier temps fait part de la demande du préfet du Tarn de «faire preuve d’une extrême fermeté vis-à-vis des opposants». Une position relativisée par la suite. Les avocats de la famille de Rémi Fraisse se réservent donc la possibilité de faire des demandes d’actes supplémentaires pour faire la lumière sur la mort d’un jeune homme de 21 ans passionné d’environnement et non violent.

Source : Libération

 

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