Présidentielle. Sécurité : l’urgence d’une réforme

La colère des policiers gronde depuis des mois. Ils dénoncent, entre autres, les « formalités qui n'en finissent plus » au détriment du temps consacré aux enquêtes.

La colère des policiers gronde depuis des mois. Ils dénoncent, entre autres, les « formalités qui n’en finissent plus » au détriment du temps consacré aux enquêtes.

Protéger et servir la population ? Ils ont le sentiment de «ne plus y arriver». Des policiers et des gendarmes tirent la sonnette d’alarme. La faute au manque de moyens, selon eux, mais surtout à la très pesante procédure pénale qui «paralyse les enquêtes». Des magistrats confirment.

« Saviez-vous que nous sommes obligés de demander aux voleurs s’ils acceptent qu’on restitue ce qu’ils ont dérobé et aux dealers s’ils ne s’opposent pas à la destruction de la drogue saisie ? » Les « non » sont « très rares » (et leur portée limitée). Mais la procédure est bien réelle. « Que des parlementaires aient réussi à pondre un truc pareil, ça nous sidère », soufflent plusieurs policiers en colère. La colère, justement, gronde depuis des mois. Sur le manque de moyens, les locaux délabrés, le matériel vétuste. Cela fait même des années. Mais la vraie exaspération est ailleurs. Dirigée contre « le millefeuille de la procédure pénale », avec « ces formalités qui n’en finissent plus ».

« Taubira a tué la police »

« Tu appelles un magistrat ? Il faut faire un procès-verbal (PV). Un avocat, un médecin, un interprète ? Un PV. Tu te déplaces avec un suspect ? Encore un PV… », égrène Pierre (tous les prénoms sont fictifs), un policier de PJ (police judiciaire). « Quand j’ai débuté ma carrière, une garde à vue, c’était trois lignes sur une feuille. Aujourd’hui, c’est deux pages », rapportent un officier et un commissaire.

Un autre commissaire et un magistrat pointent : « Une garde à vue pour un vol à l’étalage reconnu, c’est aussi compliqué que pour un crime contesté ! C’est incompréhensible… »

« Le législateur a donné plus de droits à la défense. Mais cela voulait dire plus d’obligations pour les policiers, les gendarmes et les magistrats », observe un procureur breton. Et moins de temps consacré à l’enquête. « On n’utilise quasiment plus les écoutes téléphoniques. On ne fait presque plus de planques ou de filatures. C’est très frustrant mais on n’a plus le temps de faire ça », confirme Luc, enquêteur en SD (sûreté départementale). « Taubira nous a fait la misère. Elle a tué la police. Elle a tué l’investigation », accuse Pierre, de la PJ. « Avant, c’était prestigieux d’intégrer un service d’enquête. Désormais, plus grand monde ne veut y aller », assurent tous nos interlocuteurs.

Qualité des enquêtes « en retrait »

Le procureur de la République de Rennes, Nicolas Jacquet, avait pointé ces problèmes, lors de la rentrée solennelle, en janvier dernier : « Nous ne pouvons continuer à faire primer la forme sur le fond, au risque de la paralysie des enquêtes ».

Celle-ci semble pourtant avoir déjà débuté. « À Rennes, à la SD (qui conduit les enquêtes visant de petites ou moyennes infractions), les enquêteurs ont entre 150 et 300 dossiers sur leur bureau ! Que voulez-vous qu’ils fassent ? », gronde un syndicaliste d’Alliance. « Les enquêteurs sont noyés. Tout se fait dans la précipitation et la qualité en pâtit », acquiesce un procureur. Conséquence constatée par l’un de ses confrères, en banlieue parisienne : « Une baisse générale du taux d’élucidation de huit à dix points » (*).

« Aucune anticipation »

Les policiers déplorent aussi la politique du chiffre, « la bâtonite », « qui n’a pas disparu ». « Un gramme de shit saisi sur un consommateur, c’est un bâton de plus, et le patron sera toujours content, même si c’est insignifiant, même si cela fait deux policiers en moins sur le terrain pendant deux heures. C’est ça la sécurité ? », s’agace un syndicaliste d’Alliance.

« Les priorités de sécurité vont aux cambriolages, au détriment d’autres infractions, regrette, de son côté, Valentin, officier de gendarmerie. La société n’est pas gagnante. Qu’est-ce qui lui coûte le plus ? Ce sont les stups et la criminalité financière ! Mais c’est invisible ou presque, et là, les moyens ne suivent pas. »

« On a obtenu des moyens, mais toujours dans l’urgence, souvent en réaction à une catastrophe, déplore un syndicaliste d’Unité SGP Police. Quand on a eu les nouvelles armes pour le premier échelon de réponse à une attaque terroriste, les munitions n’étaient pas les bonnes. On s’est ensuite rendu compte qu’on ne disposait pas de terrains de tir dédiés. Il n’y a aucune anticipation, aucune vision d’ensemble, aucune cohérence. On se disperse et on finit par se demander s’il y a un pilote dans l’avion. »

La conclusion ? « On n’a pas seulement besoin de procédures plus souples. On a besoin d’une vraie, d’une profonde réforme de la sécurité. »

* D’autres facteurs sont en cause : extrême mobilisation sur le front des manifestations de l’automne, de la lutte antiterroriste (état d’urgence, Vigipirate…), plaintes enregistrées en hausse…

Source :  Le Télégramme

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