Général Cavallier : « En Centrafrique, la France pourrait déployer ses unités de gendarmerie mobile »

Expert en maintien de l’ordre, le général Bertrand Cavallier demande que la gendarmerie mobile soit envoyée en Centrafrique, pour épauler l’armée de terre.

Photo d'illustration.

Le général de division Bertrand Cavallier a quitté le service actif en 2011, son dernier poste à la gendarmerie étant celui de directeur des compétences, responsable du recrutement et des formations. Avant cela, il fut notamment le chef du Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier (Dordogne). Il demeure, depuis cette période, une référence en matière de maintien de l’ordre, domaine dans lequel ses avis sont très écoutés. Il nous livre ici son sentiment sur le rôle que pourrait jouer la gendarmerie dans la situation difficile à laquelle est confrontée l’armée de terre en République centrafricaine.

Le Point.fr : En Centrafrique, les militaires de l’opération Sangaris font face à un difficile contrôle de populations hostiles. Les soldats tchadiens de la force africaine ont tiré dans la foule. Quelles réflexions cette situation vous inspire-t-elle ?

Général Bertrand Cavallier : Nous sommes dans un cas conforme à celui que les armées françaises rencontrent depuis des années. En Centrafrique aujourd’hui, comme au Kosovo à partir de 1999, l’impératif premier est de restaurer la sécurité, alors que la France n’y a pas d’ennemi. Les gendarmes qui avaient été déployés à Mitrovica y ont eu toute leur place, en appui aux soldats de l’armée de terre dont la vocation première demeure la coercition, le combat de vive force. Pour prendre un autre exemple, ce dispositif est celui qui avait été mise en place à Abidjan, en Côte-d’Ivoire : sous commandement de l’armée de terre, un groupement tactique de gendarmerie, qui a compté jusqu’à trois escadrons de gendarmerie mobile, a été engagé pour gérer notamment les questions de maintien de l’ordre.

Vous pensez donc que ce dispositif pourrait être avantageusement reconduit en Centrafrique ?

Je ne peux rien vous cacher ! Effectivement, ce serait une bonne initiative. Elle éviterait de placer les soldats au contact direct de foules violentes. C’est toute la compétence du gendarme que de pouvoir répondre à des situations très dégradées, avec sa culture d’emploi proportionné de la force et son approche très graduée de la réponse qu’il convient d’apporter à des débordements. Une crise protéiforme, complexe, appelle une approche globale, avec l’ensemble des outils disponibles. En Centrafrique, l’État n’existe plus. Des milices conduisent des actions dévastatrices, suscitant un enchaînement de violence et de représailles. Les Français y ont une mission claire : celle d’une force impartiale. Pourtant, s’ils ne défendent aucune communauté, ils se retrouvent accusés par chacune de faire le jeu de l’autre.

Des gendarmes seraient-ils mieux à même de sortir d’un tel piège ?

La situation est très complexe, c’est vrai. Mais on aurait pu imaginer un système différent. D’une part, l’armée de terre aurait offert – dans des conditions assez semblables à celles qui prévalent actuellement – un dispositif de puissance. Pour contrôler le terrain rapidement et de manière très ferme, en faisant face aux agissements d’éléments armés, dans une posture temporaire proche de la contre-insurrection. À mes yeux, la France pourrait déployer avantageusement en complément un dispositif composé d’unités de gendarmerie mobile. Ce serait utile sur deux plans : tout d’abord, le contrôle des manifestations. Et ensuite, cela permettrait de passer un message à tous les acteurs locaux, celui de la gradation : d’abord les gendarmes, dans une logique de médiation, d’emploi proportionné, maîtrisé et échelonné de la force. Et si la situation dégénère du fait de bandes armées, alors seulement interviennent les unités de l’armée de terre. J’ajoute que les gendarmes sont en mesure de contribuer à la réponse pénale, conformément aux principes du droit international. Les parties qui s’opposent dans ce conflit doivent comprendre qu’on ne saurait se faire justice soi-même. Les auteurs des crimes doivent être identifiés et punis, pour parvenir à la réconciliation.

Vous ne voyez que la gendarmerie française pour assurer cette mission que vous appelez de vos voeux ?

Pas du tout ! Sur place, on me rapporte que les gendarmes congolais font un bon travail. Ils pourraient être intégrés dans un dispositif comprenant des gendarmes français. J’ajoute que la gendarmerie centrafricaine pourrait jouer un rôle. Elle est multiethnique, multiconfessionnelle. Soutenue par des Français, elle aurait sa place dans une telle mission.

Il se dit que la gendarmerie française possède un savoir-faire très particulier en matière de maintien de l’ordre. Est-ce exact ?

La gendarmerie est une force armée, dont la mission première est la sécurité publique. Elle est solide, formée, entraînée, professionnelle, peut intervenir dans toutes les situations avec sa propre culture. Et dans le cas que nous évoquons, rien ne lui interdirait, au contraire, de s’intégrer harmonieusement en Opex (opération extérieure) sous l’autorité du chef d’état-major des armées et, sur le terrain, sous le commandement de l’armée de terre. Nous sommes des militaires. De nombreux cadres supérieurs de la gendarmerie ont fait l’école de guerre avec leurs camarades des armées. La formation de base des gendarmes est une formation militaire. Depuis le Kosovo, nous avons démontré notre savoir-faire et notre efficacité en Côte-d’Ivoire ou en Afghanistan.

Le rôle de la gendarmerie dans les opérations extérieures est-il prévu par les textes ?

Bien sûr ! Il est évoqué dans le Livre blanc de 2013 et très explicitement précisé par le document Emploi de la gendarmerie nationale en opérations extérieures (lire ici la dernière version, en date du 13 octobre 2013) préparé par le CICDE (Centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations). Ce texte est très clair sur tout ce que la gendarmerie peut apporter dans ce type de situations. Il écrit noir sur blanc : « Puisque les objectifs ne sont plus aussi tangibles, les interventions militaires se définissent désormais principalement par leur complexité et par l’immixtion de la sécurité publique comme pierre angulaire de l’atteinte de l’effet final recherché tant des points de vue militaires que civils. » La gendarmerie a toute sa place entre la police civile et l’armée de terre. Pour autant, elle n’a été engagée ni au Mali, où elle aurait été très utile, ni en Centrafrique, où je pense vraiment qu’elle a un rôle à jouer. La décision de la faire intervenir, ou pas, relève d’un choix politique…

À quels principes ce choix obéirait-il, selon vous ?

Personne ne saurait nier que les contraintes budgétaires pèsent, mais pour l’efficacité de la mission, la gendarmerie devrait être engagée en Opex. Ce ne serait pas contraire à la préservation de son identité et de sa spécificité de force armée. Pour compléter mon propos, je voudrais citer l’ancien chef d’état-major des armées, le général Kelche : « L’armée de terre n’a pas vocation à se substituer à la gendarmerie. » Il insistait alors sur le fait qu’à Mitrovica il fallait se trouver en mesure de « faire basculer instantanément le dispositif français du maintien de l’ordre, du ressort des gendarmes, au combat urbain, qui relève de l’armée de terre ». Une décennie plus tard, ce propos reste pertinent.

Parlons franchement : aujourd’hui, avec ses effectifs et ses moyens matériels, la gendarmerie serait-elle en mesure de partir en Opex ?

Sur le principe, oui. Sans aucun doute, c’est un terrain sur lequel excellent les gendarmes entraînés pour ça. Mais d’une part, j’insiste, les contraintes budgétaires sont là. Et d’autre part, je n’aurais garde d’oublier que, durant le précédent quinquennat, quinze escadrons de gendarmerie mobile ont été dissous. Ce qui pose, il est vrai, un réel problème d’engagement sur le territoire national. Mais avec une volonté politique affirmée, la gendarmerie aurait la capacité d’intervenir en Centrafrique.

Dans quel délai ?

Trois jours !

Source : Le Point

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