Pourquoi le prix du carburant aurait pu baisser… sans les taxes du gouvernement

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Les cours du baril de pétrole ont perdu près de 20% en un mois, laissant présager une lente baisse à la pompe, particulièrement bienvenue pour les automobilistes. Cette accalmie devrait pourtant être limitée. La faute aux taxes sur les carburants le 1er janvier prochain. Décryptage avec l’économiste Philippe Chalmin.

C’est une baisse qui arrive comme une bénédiction pour le gouvernement aux prises avec la mobilisation des « gilets jaunes ». Depuis début octobre, le cours du baril de pétrole a chuté de 17% à Londres et de 21% à New York. Première depuis le mois d’avril, le baril de Brent est passé sous la barre des 70 dollars le vendredi 9 novembre. Cette chute peine pour l’heure à se répercuter sur les prix du carburant à la pompe. Surtout, le porte-monnaie des Français risque de ne pas en ressentir les effets. En cause : la hausse des taxes sur le carburant à partir du 1er janvier 2019.

Plusieurs facteurs expliquent la baisse soudaine du cours du baril de pétrole au mois d’octobre. D’abord, la décision américaine d’assouplir l’embargo iranien, qui avait jusqu’ici suscité l’inquiétude sur les marchés pétroliers. Les sanctions américaines sont moins draconiennes que prévu : huit pays ont ainsi le droit d’acheter du pétrole iranien, notamment la Chine, l’Inde et certains pays européens comme l’Italie et la Grèce. « Il faut néanmoins noter que les marchés étaient déjà rassurés avant cette décision de Donald Trump », note Philippe Chalmin, professeur d’histoire économique à l’Université Paris-Dauphine, spécialiste des matières premières.

Pas de baisse vertigineuse pour le prix du baril de pétrole

Depuis quelques mois, la hausse de la production américaine du pétrole de schiste (les Etats-Unis en produisent dix fois plus qu’en 2007) a en effet suffi pour faire chuter le cours du baril, en dépit de l’embargo iranien. « A cette production, il faut ajouter celles non-négligeables de l’Irak, des Emirats-Arabes Unis et de la Russie. A partir de la mi-octobre, les places financières ont réalisé qu’il y a du pétrole dans le monde en dehors de l’Iran, ce qui a entraîné une chute relative des prix, qui n’a été que renforcée par la décision américaine d’assouplir l’embargo iranien« , détaille le spécialiste. Augmentation de l’offre, baisse des prix : la loi la plus basique du marché est donc respectée par le cours du baril. A ce rythme, devrait-on s’attendre à une baisse vertigineuse du cours du baril, portée par une production mondiale en hausse ?

La situation est évidemment un peu plus complexe que cela. Plusieurs facteurs expliquent que les prix ne dévissent pas immédiatement : « Il y a peu de chances que l’on atteigne les 30 dollars le baril dans les semaines à venir, comme on a pu le voir en janvier 2016 par exemple », estime Philippe Chalmin. En premier lieu, les crises géopolitiques qui tendent la production pétrolière depuis plusieurs mois, comme celle que traverse le Venezuela, ou encore la guerre en Libye.

Pédale douce pour l’Arabie saoudite et la Russie

Ensuite, la décision de Riyad qui, pour faire face à une éventuelle surproduction et à une baisse des prix, a choisi de fermer son précieux robinet à pétrole. L’Arabie saoudite a ainsi annoncé vouloir baisser sa production à 500.000 barils par jour en décembre. Par comparaison, le royaume a produit plus de 10 millions de barils par journée le mois dernier.

Philippe Chalmin attribue cette décision radicale à une question très diplomatique : « Les élections de mi-mandat américaine sont passées, fait-il remarquer. Trump ne fait plus pression pour que le prix à la pompe soit au plus bas pour ses électeurs. Si, pendant un temps, l’Arabie saoudite et son dirigeant, Mohammed ben Salmane, ont été affaiblis, notamment à cause du meurtre du journaliste Khashoggi, ils semblent aujourd’hui reprendre un peu plus de liberté ».

Face à la surproduction mondiale, la Russie devrait avoir la même attitude. « La Russie et l’Arabie saoudite semblent avoir un même objectif, qui est de maintenir le prix du baril entre 70 et 90 dollars », poursuit-il. Ce plafond de 70 dollars, autour duquel devraient osciller les cours du pétrole dans les prochains mois, devrait être confirmé en décembre, lors de la prochaine réunion à Vienne de l’OPEP, les pays producteurs de pétrole.

La France sur le podium des taxes sur le carburant

« Une chose est presque certaine : la production mondiale sera probablement excédentaire dans les premiers mois de 2019 », note Philippe Chalmin. Ce qui, en dépit des éléments laissant présager une augmentation du prix, aurait logiquement dû se traduire par quelques centimes de moins sur les carburants à la pompe en cadeau de début d’année. « Cette baisse ne sera pas mirifique », prévient ainsi le spécialiste. Elle sera surtout compensée par la hausse des taxes sur le diesel et l’essence au premier janvier voulue par le gouvernement : le gazole sera taxé 7 centimes de plus par litre, et l’essence 4 centimes supplémentaires, auxquels il faudra ajouter la TVA.

Sauf crise géopolitique majeure, le principal élément d’augmentation du prix à la pompe début 2019 sera donc bien… la fiscalité, qui placera la France sur le podium européen des pays taxant le plus les carburants. Un raisonnement bien loin du message qu’a encore passé Emmanuel Macron ce 11 novembre sur Twitter, assurant, après avoir rencontré Donald Trump : « Nous avons décidé, le Président Trump et moi-même, de travailler ensemble à la stabilité du Moyen-Orient, ce qui aura des conséquences positives sur le prix du pétrole« . Une déclaration qui fait doucement rire Philippe Chalmin : « En fait d’une véritable influence au Moyen-Orient, Emmanuel Macron n’a qu’un seul vrai levier : celui des taxes ». Or, du côté de l’exécutif, le message martelé depuis des semaines ne change pas : hors de question de renoncer à cette augmentation. En dépit d’un contexte international plutôt favorable, le prix à la pompe le sera sûrement moins pour le porte-monnaie des automobilistes français.

Source : Marianne

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