« Liberté, égalité, full HD » : à quoi ressemble Taranis News, le média de Gaspard Glanz

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Images filmées par Taranis News lors d’une manifestation de gilets jaunes le 9 février à Paris. L’agence s’est spécialisée dans la production de vidéos « brutes » au plus près des mouvements sociaux. – Capture d’écran – Taranis News
L’agence de presse créée par le journaliste indépendant Gaspard Glanz, arrêté à Paris lors d’une manifestation de gilets jaunes, s’est imposée comme une source respectée de suivi « brut » des mouvements sociaux.

Il n’y a pas d’analyses, une contextualisation minimaliste, presque aucune interview. Sur le site de Taranis News, le média fondé par Gaspard Glanz, le visiteur ne trouve que du son et de l’image : plus précisément, des longues vidéos, sans commentaires, au montage très sobre, qui plongent le spectateur dans les mobilisations sociales de France (et un peu d’ailleurs) : manifestations contre la loi travail, Nuit Debout, évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, et, depuis novembre, presque exclusivement des longs films au coeur des « actes » de mobilisation des gilets jaunes. C’est son activité pour Taranis News, créé en 2012, qui a indirectement valu à Gaspard Glanz d’être interpellé ce samedi 20 avril place de la République et de passer quarante-huit heures en garde à vue.

Contenu brut de décoffrage

Dans la mythologie celte, Taranis était le dieu du tonnerre, de la foudre et du ciel. Taranis News, lui, est plutôt le média de la rue. « On fait ce que j’appelle du street journalism, un journalisme urbain, pour les jeunes, car 90 % des visiteurs de notre site ont entre 17 et 35 ans« , confiait Gaspard Glanz à l’Obs en 2016. Le trentenaire expliquer s’intéresser à « la foule en général : les festivals, les manifestations, les rassemblements« . Le principe de son média est très simple. Un reporter se rend à un événément de rue, si besoin protégé pour coller au près de l’action, et muni d’une caméra en haute définition (histoire de coller au slogan de Taranis News, « Liberté, égalité, full HD« ). Et il filme : les processions, les manifestants, la police, les heurts entre les deux. Sans aucun commentaire, et en longueur – les vidéos montées dépassent très fréquemment la demie-heure, beaucoup font plus d’une heure. Taranis News fonctionne comme une agence de presse : Gaspard Glanz et ses collaborateurs filment ou prennent des photographies, puis mettent leur matériel à la disposition des médias qui peuvent l’acheter. Taranis affirme sur Twitter avoir eu « quasiment toute la presse française en clients » depuis 2012.

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Sur le même réseau social, un ancien journaliste de France 24 a ainsi confié avoir « acheté des images à Gaspard Glanz » pour la chaîne de télévision. Même l’Agence France Presse (AFP) a par moments utilisé le travail de Taranis. Sa valeur ajoutée est évidente : rompus aux mouvements sociaux dont ils maîtrisent les codes et connaissent l’atmosphère, les reporters produisent un contenu d’un nouveau genre, brut de décoffrage et immersif. Des reportages au plus près du terrain que ne peuvent par exemple pas se permettre les journalistes des chaînes d’info en continu, largement ostracisés dans la plupart des mouvements sociaux.

Pour gagner ce statut d’agence référente sur les mouvements sociaux, Taranis News a dû se construire une réputation. La jeune histoire du média est jalonnée de quelques faits d’armes : entre novembre 2013 et avril 2014, le fondateur, originaire d’Alsace, s’installe à Notre-Dame-des-Landes pour y filmer la ZAD au plus près. A Sivens, en 2014, il filme l’évacuation de la zone. Sa proximité avec les zadistes, très méfiants envers les journalistes, lui a permis de les suivre. Autre fait d’armes notable, les vidéos de suivi des manifestations contre la loi Travail, à la fin du quinquennat de François Hollande, atteignent le demi-million de vues et permettent à Taranis de doubler sa base de fans. Plusieurs films produits par l’agence font enfler sa réputation : en 2017, au cours d’une manifestation Glanz « grille » des agents de police « déguisés » en journalistes et les filme en les apostrophant.

Le reporter, qui ne possède pas de carte de presse, se fait également connaître en filmant de près les rixes et bagarres entre policiers et black blocs. A chaque manifestation, il est de la partie. Un stakhanovisme qui paie lorsque, après les révélations du Monde sur l’affaire Benalla, Taranis publie des images tournées le 1er mai qui montrent le conseiller de l’Elysée « grimé en policier en civil« .

Le débat a largement essaimé depuis la garde à vue de Gaspard Glanz : le fondateur de Tanaris News est-il un journaliste ou un « militant » ? L’intéressé objecte que ses vidéos, brutes, ne comportent pas de voix off ni de parti pris. Lui se contente de filmer ce qu’il a vu, en montant simplement ses rushes en longues vidéos. Par ailleurs, Taranis fonctionne en « autogestion » : Gaspard Glanz ne donne pas de consignes à son équipe qui consacre des contenus à ce qu’elle souhaite traiter.

Comme dans tout média, les sujets choisis par Taranis reflètent les centres d’intérêts et les convictions de ses journalistes : l’agence fait ainsi la part belle aux mouvements sociaux, de préférences soutenus par la gauche radicale et libertaire. De quoi dessiner une ligne éditoriale, certes, mais en fournissant un contenu non militant. Gaspard Glanz est d’ailleurs parfois chahuté par des manifestants qui lui reprochent de montrer les aspects les moins reluisants des mouvements sociaux dans ses vidéos. Il est évidemment honni par la police, mais le lui rend bien : en 2016, il a été poursuivi pour avoir posté une photo de membres des forces de l’ordre accompagnée de la légende : « Ein Reich, ein Volk, ein Führer » (« Un peuple, un pays, un guide », le slogan des nazis).

Les soupçons de militantisme sont bien sûrs nourris par le pedigree de Gaspard Glanz : comme il le raconte à Street Press, dans sa jeunesse, le reporter était clairement engagé dans la lutte syndicale, depuis l’âge de 11 ans. Il était ainsi à la tête de l’Union nationale lycéenne (UNL) en Alsace lors de la mobilisation contre la loi Fillon. Il raconte également avoir « fait tenir un blocus » dans un lycée strasbourgeois, ce qui lui a valu 500 euros d’amende. En 2009, Glanz se tourne vers le journalisme mais son rapport aux manifestations est encore marqué par l’ambivalence : il filme « le plus gros rassemblement de Blacks blocs des vingt dernières années » lors du sommet de l’Otan à Strasbourg. Depuis, il ne se rend dans les cortèges que comme reporter, mais bénéficie de son réseau et de sa connaissance de l’extrême gauche.

D’après Le Point, il est « fiché S par trois services de renseignement » en raison de sa proximité avec « la mouvance anarcho-autonome« , et est décrit comme « souvent aux côtés de l’ultragauche ou des zadistes« . Autant de soupçons qui n’empêchent pas Taranis News de compter 46.000 abonnés sur YouTube et de survivre, alimenté par les achats des médias et les dons. Gaspard Glanz, lui, vit tout de même dans la précarité : il déclare dans L’Express gagner 600 euros par mois et s’être récemment réinstallé chez ses parents, à Strasbourg.

Source : Marianne

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