Les mensonges du gouvernement pour s’auto-amnistier de sa gestion du coronavirus

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Edouard Philippe sur les bancs de l’Assemblée. Photo © Romain GAILLARD-POOL/SIPA

L’exécutif n’a pas supporté que le Sénat, son seul opposant institutionnel, puisse contrecarrer ses projets d’auto-amnistie. Le but du gouvernement est d’exonérer par avance les « décideurs publics » de leur responsabilité pénale dans la gestion de la pandémie. Pour ce faire, toutes les subtilités du droit pénal sont utilisées, rapporte l’avocat Philippe Fontana.

Une brutale contre-offensive politique et médiatique a été lancée envers la Haute-Assemblée pour discréditer son opposition à toute amnistie. Au prix d’un mensonge éhonté, le gouvernement tente d’intervertir les responsabilités, dans un renversement politique saisissant. L’exécutif n’a pas renoncé à son idée d’amnistie. Il entend, par tous les moyens, faire adopter par le Parlement les outils juridiques nécessaires permettant aux décideurs publics de pouvoir échapper à leur responsabilité pénale, dès le début de la gestion du Covid 19. Cela passe par un travail subtil de réécriture du code pénal à l’Assemblée nationale.

Démonter les mécanismes de cette implacable lutte suppose de rappeler précisément le contenu de l’amendement sénatorial qui a déclenché les foudres du gouvernement et de Nicole Belloubet en particulier. Samedi matin 2 mai, le Conseil des ministres adopte l’avant projet de loi prorogeant au 24 juillet l’état d’urgence sanitaire. Lundi 4 au matin, le président de la Commission des lois au Sénat, Philippe Bas, également rapporteur du projet de loi, fait adopter en commission un amendement complétant l’article 1 du projet gouvernemental.

Un amendement sénatorial pour restreindre la période couverte par l’amnistie

Son texte, s’appliquant à tous les justiciables, expose que « Nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée du fait d’avoir, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire déclaré à l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus SARS-CoV-2, soit causé ou contribué à causer une telle contamination. »

Son but : rassurer ceux, maires ou chefs d’entreprise, qui vont devoir gérer le déconfinement selon les « recommandations » aux contours juridiques incertains du gouvernement ou de son représentant, le préfet.

La crainte des élus locaux : engager leur responsabilité pénale, en cas de violation, même involontaire, de dispositions exposées dans un « protocole sanitaire » aux contours juridiques incertains. La rédaction de cet amendement sénatorial était particulièrement précautionneuse, avec un renvoi précis et clair aux dispositions de l’article 121-3 du code pénal.

D’abord, l’irresponsabilité pénale ne s’applique pas aux faits commis intentionnellement ; ensuite pour ceux commis soit par imprudence soit indirectement, deux alinéas de cet article 121-3 du code pénal exposent clairement les conditions pouvant faire bénéficier leur auteur d’une irresponsabilité pénale. A l’alinéa 3, en cas d’imprudence ou de négligence de son auteur, l’infraction est constituée si celui ci n’a pas accompli : « Les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». L’alinéa 4 distingue le cas où l’auteur de faits n’est pas l’auteur direct du dommage, mais a contribué à sa réalisation. Sa responsabilité pénale est engagée s’il viole de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit s’il commet « une faute caractérisée ».

Surtout, l’amendement restreint son champ d’application à la période régie par l’état d’urgence sanitaire, débuté le 24 mars dernier, excluant de facto les faits commis antérieurement.

Le gouvernement tente de jeter le discrédit sur le Sénat

La réaction du gouvernement a été brutale politiquement, mensongère juridiquement. Politiquement : le seul amendement déposé par le gouvernement au Sénat visait la suppression de celui adopté par la commission des lois. Juridiquement : un exposé lénifiant des motifs de cet amendement gouvernemental comportait une accusation grave, celle d’une modification du code pénal, faisant disparaître la référence à la « faute caractérisée », mentionnée à l’alinéa 4 de son article 121-3. Or, le texte de l’amendement adopté par la commission des lois prévoyait littéralement que : « les troisième et quatrième alinéas de l’article 121-3 du code pénal sont applicables. »

L’accusation de suppression de la faute caractérisée est donc matériellement fausse. Elle va pourtant être reprise dans la presse, pour discréditer à tout prix le Sénat.

Déjà, mercredi 6 mai un éditorial du Monde avait donné le ton. Intitulé Coronavirus : l’irresponsabilité pénale n’est pas défendable, il mettait en cause le Sénat. Le quotidien n’hésitait pas à reprendre à son compte la fable du retrait de la « faute caractérisée » par l’amendement sénatorial, pour justifier son indignation.

Il copiait ensuite les arguments de l’exécutif, feignant de s’étonner que cet amendement « crée une forte distorsion de traitement entre les maires et les autres décideurs sans qu’on en comprenne la raison », alors que les premiers mots du texte sont « nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée ». Et, comble de l’hypocrisie, il agitait le spectre du soupçon de l’amnistie, « qui ne pourrait que profiter à Marine Le Pen ».

Sénat 327, gouvernement 0

Les sénateurs n’ont pas été impressionnés par le mensonge gouvernemental. Le gouvernement a été battu politiquement à plate couture ; dans la nuit de lundi à mardi 5 mai, l’amendement de suppression déposé par le gouvernement a été rejeté par 327 voix contre zéro, lors d’un scrutin public, réclamé par le groupe LR du Sénat.

La contre-offensive médiatique se poursuit aujourd’hui par une interview de Nicole Belloubet dans Le Figaro. L’élément de langage sur la suppression par le Sénat de la « faute caractérisée » est à nouveau cyniquement repris. La garde des Sceaux est contrainte de recourir à une formule ronflante mais vide de sens pour justifier sa politique : « L’éthique de la décision entraîne une éthique de la responsabilité. » Le gouvernement n’a pas désarmé dans sa volonté d’exonérer à n’importe quel prix juridique la responsabilité des « décideurs publics », expression employée ce matin dans Le Figaro par Nicole Belloubet, pour les actes précédant le début de l’état d’urgence sanitaire.

Il est donc revenu à la manœuvre devant l’Assemblée nationale en faisant déposer un amendement à l’initiative d’un groupe de députés du Modem. Son auteur est Laurence Vichnievsky, ancien juge d’instruction de l’affaire Elf aux côtés d’Eva Joly.

Immédiatement adopté mercredi 6 mai par la commission des lois, il supprime la rédaction du Sénat, remplacée par cet article unique : « Après le quatrième alinéa de l’article L.121-3 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : Pour l’application des troisième et quatrième alinéas, il est tenu compte, en cas de catastrophe sanitaire, de l’état des connaissances scientifiques au moment des faits. »

Le gouvernement tente de refaire passer son projet d’auto-amnistie

En supprimant insidieusement la précision sénatoriale limitant le champ de l’irresponsabilité pénale à la période de l’état d’urgence sanitaire et en l’élargissant à l’état de « catastrophe sanitaire » le gouvernement affiche sa volonté d’auto-amnistie.

Son but est de faire bénéficier l’ensemble des « décideurs publics », et notamment les membres du gouvernement, d’une irresponsabilité pénale notamment pour des faits d’abstention coupable, depuis le début de la pandémie du Covid 19.

L’amendement du Modem a pour but de s’appliquer à toutes les infractions d’homicides et de blessures involontaires, qui auraient été commises avant l’état d’urgence sanitaire.

Ainsi, est clairement paralysée la mise en jeu de la responsabilité pénale des décideurs publics pour des faits positifs ou d’abstention antérieurement à la date du 24 mars, début de l’état d’urgence. Or, c’est précisément à cette période, lors de laquelle l’épidémie s’était déjà largement propagée que la responsabilité des décideurs devra être recherchée. Un seul exemple, parmi tant d’autres : la commande des masques a t-elle été tardive ? A qui en imputer la faute ?

Ce que Nicole Belloubet relayée par une presse complaisante impute faussement au Sénat, ses amis politiques ont commencé à le réaliser à l’Assemblée nationale.

Source : Valeurs Actuelles

 

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