L’archéologue qui démêle le vrai de la fosse pour la gendarmerie

«Le seul outil vraiment imparable, c'est la pelleteuse.»

«Le seul outil vraiment imparable, c’est la pelleteuse.»
Photo : Philippe Grollier pour Télérama
A l’occasion des Journées nationales de l’archéologie, zoom sur Patrice Georges, qui se sert de sa méthode pour exhumer les cadavres et analyser les lieux où ils sont enterrés.

« Arthur, où t’as mis le corps ? […] Arthur, réfléchis, nom d’là, ça a une certaine importance… », chantait Serge Reggiani sur des paroles de Boris Vian. Effectivement, en matière criminelle, sans cadavre pas de preuve. Alors, les gendarmes fouillent… avec des méthodes de gendarmes : essentiellement le géoradar — un petit engin sur roues qui détecte les anomalies dans le sol — et le chien de cadavre, qui se fie à son odorat.

Spécialiste des pratiques funéraires à l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives, coorganisateur des Journées nationales de l’archéologie) et auxiliaire occasionnel de la gendarmerie, l’archéo-anthropologue Patrice Georges fait la grimace : « Si le géoradar ne trouve rien, ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien. Quant aux chiens, ils ne sont pas infaillibles, surtout si le corps est enterré depuis un moment. Le seul outil vraiment imparable, c’est la pelleteuse ! » Oui, il parle bien de ces gros engins jaunes du BTP, avec une lame bien droite pour raboter systématiquement le sol, centimètre par centimètre : « S’il y a quelque chose, on le trouvera ! »

Encore faut-il avoir le bon engin. « En 2004, sur un site désigné par le tueur en série Emile Louis comme étant l’endroit où il avait enterré une de ses victimes, ils y sont allés avec une petite excavatrice munie d’un godet à dents, comme celles utilisées pour faire des tranchées dans les trottoirs. Mon sang d’archéologue n’a fait qu’un tour : ils ont juste transformé le terrain en champs de mines, détruisant au passage des éléments potentiellement significatifs, sans rien trouver. »

L’efficacité des protocoles méthodologiques

Fils d’un inspecteur de police judiciaire, amateur de romans noirs, Patrice Georges est d’abord un scientifique qui connaît l’efficacité des protocoles méthodologiques. D’abord, on détermine une zone à fouiller. Puis on décape tout à la pelleteuse. Et au premier indice c’est à quatre pattes, la truelle à la main qu’il faut continuer. Des squelettes, il s’en coltine ainsi depuis près de vingt ans. Des centaines, peut-être des milliers. De très anciens, d’autres moins, qu’il essaie de faire parler. En commençant toujours par la question : comment se sont-ils retrouvés là ? S’agit-il d’une tombe proprement creusée, d’un charnier, d’un corps oublié, enseveli par accident ?

Une recherche minutieuse, couche par couche, sur un large périmètre… « Quand on a tout dégagé, on peut éventuellement se demander : de quoi est-il mort ? Dans une enquête criminelle, c’est souvent l’inverse : seule la victime compte, et on a (trop) vite fait, une fois trouvée, de la sortir pour autopsie. Quitte à négliger des détails d’importance : si la fosse a été creusée à la va-vite (ce qui trahit l’affolement de la personne qui a pratiqué l’inhumation) ou plus sérieusement (ce qui suppose la préméditation)… En Bretagne, sur un site d’enfouissement illégal de fûts toxiques, on a pu retrouver le gars d’après les traces de peinture laissées par les outils qu’il avait utilisés. »

Certes, Patrice Georges n’est pas le premier à imaginer appliquer les méthodes de l’archéologie sur les scènes de crime. Cette science, appelée « forensic archeology », est très développée dans les pays anglo-saxons, notamment par le POW/MIA, un service du département de la Défense américain spécialisé dans la recherche des corps des GI « missing in action » (portés disparus). D’autres, sous l’égide de l’ONU, sont intervenus sur des charniers en Bosnie ou au Rwanda. En France, en revanche, la « criminalistique » balbutie : Patrice Georges est le seul archéologue à travailler parfois pour la gendarmerie. Promu au grade de chef d’escadron de réserve, il assure la formation des enquêteurs. Essentiellement, manier la pelleteuse, et en douceur, s’il vous plaît. « Oui, mon commandant ! ».

Serge Reggiani, Arthur, où t’as mis le corps, d’après Boris Vian.

Source : Télérama

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *