La condition militaire et le régime de retraite des militaires de la gendarmerie

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La condition militaire et le régime de retraite des militaires de la gendarmerie
par le colonel William VAQUETTE, auditeur de la 29ème session de l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ) 14 octobre 2017

Le 11ème rapport thématique du Haut Comité d’Evaluation de la Condition Militaire (*1) sur la fonction militaire dans la société française, remis au président de la République le 6 septembre 2017, vient d’être rendu public le 6 octobre 2017. Celui-ci est consacré à la place, la perception et l’attractivité de la fonction militaire dans la société française.

En exposant l’état singulier de la fonction militaire et son ancrage dans la société, il porte des appréciations particulièrement justes sur les facteurs qui conduisent de jeunes français à s’engager dans les trois armées et la gendarmerie nationale afin de servir la République au risque de perdre leur vie au nom des intérêts supérieurs de la Nation. Il formule également de nombreuses propositions pour renforcer encore plus la fonction militaire, le respect et la considération des citoyens. Par ailleurs, il rappelle en introduction le fondement de l’état militaire en citant notamment les dispositions de l’article L4111-1 du code de la défense : «  Les devoirs qu’il comporte et les sujétions qu’il implique méritent le respect des citoyens et la considération de la Nation ».

Or, s’il pose d’emblée que la fonction militaire ne se résume pas qu’aux actifs, mais aussi aux 400 000 retraités bénéficiant d’une pension militaire de retraite, la problématique anxiogène du régime particulier des retraites des militaires n’est pas développée dans ce long rapport détaillé de 193 pages, alors même qu’elle participe sans conteste de la continuation de la politique des rémunérations et de la reconversion après cessation d’activité. De surcroît, il n’est pas inutile de rappeler ici que ces retraités se singularisent par une obligation de disponibilité d’office dans la réserve militaire de deuxième niveau (RO2) pendant les cinq ans suivant la cessation de leur état militaire en application des dispositions de l’article L.4231-1 du code de la défense.

En dépit de l’inquiétude grandissante des militaires, à laquelle n’échappe pas la gendarmerie, après l’annonce présidentielle d’une réforme systémique par la mise en place progressive d’un régime universel des retraites, le mot retraite n’apparaît que 11 fois pour mémoire dans le rapport. Pourtant, quelle que soit in fine la nouvelle ingénierie de calcul paramétrique des pensions et ses sous-jacents, la communauté militaire a besoin d’être rassurée sans tarder sur le maintien de son régime dérogatoire au risque de départs irrationnels et précipités, alors même que la gendarmerie doit faire face au défi de recruter et former 54 000 militaires (*2) dans les cinq prochaines années, soit le renouvellement de la moitié de ses effectifs pour protéger les personnes, les biens et les nouveaux territoires numériques.

Voilà qui pose le problème du maintien de la juste retraite du militaire en général et du gendarme en particulier pour lui garantir, comme à ses ayants-droits en cas de réversion immédiate, des conditions matérielles d’existence en rapport avec la dignité de sa fonction, dont le montant tient compte en retour du niveau, de la durée, de la nature des services accomplis et des sacrifices consentis.

C’est pourquoi, la récente nomination d’un Haut-Commissaire aux retraites en charge de conduire en concertation ce changement de paradigme pour « créer un système universel de retraites où un euro cotisé donnera les mêmes droits quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé », est l’occasion de s’interroger tout d’abord sur les raisons objectives d’un régime de retraite dérogatoire pour les militaires de la gendarmerie et de nourrir ensuite les réflexions des décideurs publics dans le respect de l’obligation de réserve tel que recommandé par le HCECM dans sa proposition n°2. (*4)

Une espérance de vie moyenne en moins bonne santé en partant plus tôt


Comme les rares catégories professionnelles sécuritaires dites « super-actives » présentant un « risque particulier ou des fatigues exceptionnelles » selon la définition du sénateur Francis Delattre dans son rapport n°704 du 9 juillet 20143 sur la retraite des agents dans la fonction publique, les militaires de la gendarmerie subissent d’importantes sujétions dans le service quotidien et les font aussi subir indirectement à leurs familles également casernées. Elles se traduisent notamment par des horaires décalés, le travail de nuit, des contraintes physiques marquées, un environnement de plus en plus agressif les obligeant à porter dorénavant sur le territoire national en permanence un gilet pare-balles et leur arme hors service, des rythmes de travail soutenus et l’obligation statutaire du sacrifice suprême si nécessaire. Toutes ces sujétions et facteurs de pénibilité laissent des traces durables, irréversibles, identifiables et réduisent leur espérance de vie par rapport aux autres catégories dites « actives »  ou « sédentaires ».
Si bien qu’actuellement plus de 11 000 retraités de la gendarmerie perçoivent une pension militaire d’invalidité imputable au service. Cela signifie que les gendarmes quittent pour la plupart le service actif plus tôt grâce au dispositif de retraite à jouissance immédiate, mais en moins bonne santé. Il en ressort donc plus particulièrement que sans la bonification du cinquième prévue par l’article L12i du code des pensions civiles et militaires ou l’intégration de l’ISSP4 à 50 ans comme leurs camarades policiers avec lesquels ils partagent des sujétions spécifiques, la grande majorité des gendarmes ne pourrait faire valoir ses droits à retraite anticipée avec un juste et proportionnel taux de remplacement. Qui imagine un soldat de la loi sexagénaire au front ou faisant après 60 ans encore la guerre à la délinquance sous toutes ses formes, au terrorisme, en OPEX (5) ou en OPINT (6).

Un environnement de plus en plus agressif en métropole et en outre-mer (*7)

Les violences physiques et verbales contre les gendarmes ainsi que les atteintes aux biens de la gendarmerie s’inscrivent dans le temps, notamment avec une forte augmentation des agressions avec arme qui rend aussi compte d’une banalisation de la radicalisation des actes de violence contre toutes les forces de l’ordre. En témoigne ainsi l’incendie criminel le 21 septembre dernier des locaux techniques du groupement de gendarmerie de l’Isère à Grenoble revendiqué par un mouvement anarco-libertaire ou en Corse avec les 196 attentats à l’explosif, tirs de roquettes ou mitraillages contre des gendarmes commis durant les 20 dernières années (dont 7 assassinats dans les années 80).

Entre 2012 et 2016, on constate que les gendarmes subissent une augmentation de plus de 52 % des agressions et de plus de 221 % de celles commises avec arme. En outre-mer, un gendarme subit presque 5 fois plus de violences qu’en métropole, soit une augmentation de plus de 38,5 % entre 2013 et 2015. L’exemple de Mayotte témoigne de cette explosion de plus de 485 % des agressions et de plus de 375 % de blessés. En 2016, on déplore au total 6767 gendarmes blessés dans l’exercice de leurs fonctions contre 5922 en 2012. Au bilan, 147 gendarmes ont été tués en service depuis 2004, c’est-à-dire plus que sur les récents théâtres d’opérations extérieures des armées françaises sur lesquels ils sont aussi déployés en mission prévôtale. A cela s’ajoute l’augmentation des traumatismes psychologiques qui ont nécessité en 2016 plus de 12 720 consultations devant les psychologues cliniciens de la gendarmerie. Il en ressort donc que les bonifications outre-mer ou en Corse ne compensent plus seulement l’éloignement géographique et l’isolement. Et ce constat n’est pas exclusif des menaces climatiques avec l’exemple récent de l’ouragan Irma aux Antilles.

Des sujétions militaires importantes pesant sur la structure familiale et la vie privée

Le parcours de carrière ou la spécialité exercée par un militaire de la gendarmerie « en tout temps et en tout lieu » avec une mobilité fonctionnelle et/ou géographique d’office dans l’intérêt du service, notamment pour les officiers, permet difficilement de concilier vie professionnelle et vie privée. Il emporte souvent la perte de travail du conjoint(e), un impact indirect sur sa retraite et pousse à un célibat géographique qui pèse sur la structure  familiale en termes de qualité de vie, d’accession à la propriété, de frais de scolarité et d’intérêt des enfants, de soutien des ascendants en état de dépendance, du choix du lieu d’affectation, de l’obligation de résidence en caserne, etc. En rendent ainsi compte le taux de chômage de conjoints de gendarmes qui reste, comme tous les militaires, supérieur à la moyenne nationale (*8) et le nombre important de gendarmes divorcés qui est actuellement de 4500.

Une réforme anxiogène, complexe, longue et coûteuse qui nécessite une large consultation et un consensus social

Les droits à la retraite dans un régime en répartition peuvent être déterminés selon trois techniques principales : les annuités (actuel), les points (RAFP (*9) actuelle) ou les comptes notionnels (exemple de la réforme suédoise mise en œuvre sur 17 années). L’annonce présidentielle d’une réforme par répartition selon la technique du régime en « comptes notionnels » repose essentiellement sur les deux piliers suivants :
→ la constitution du « capital virtuel », c’est à dire que chaque assuré est titulaire d’un compte individuel, lequel sert d’intermédiaire de calcul sans accumulation financière pour provisionner les engagements du régime ;
→  le montant de la pension à la liquidation est proportionnel au capital virtuel accumulé à la date de liquidation des droits à la retraite à partir d’un « coefficient de conversion » prenant notamment en compte l’âge effectif de départ à la retraite et de l’espérance de vie, le taux de revalorisation de la pension pendant la période de retraite, etc.

Il s’agit donc là d’une réforme d’ampleur qui ne peut être conduite qu’en concertation avec tous les partenaires sociaux dans un souci d’équité pour tenir compte des sujétions de chacun sans remettre en cause le principe de retraite par répartition auquel est attaché le citoyen. La principale difficulté technique réside plus particulièrement dans la transition progressive de l’ancien vers le nouveau régime : disponibilité des données pour tous les régimes, définition des générations concernées (cohortes), financement du déficit de l’ancien régime (réserves budgétaires), double affiliation ou non ancien/nouveau régime au cours de la carrière, valorisation des cotisations passées, maintien ou non des droits acquis de l’ancien régime et articulation avec la RAFP, etc.

En conclusion, tous les éléments constitutifs actuels de la pension des militaires de la gendarmerie méritent d’être intégrés dans cette nouvelle ingénierie universelle par l’introduction d’un « coefficient de conversion majoré » lors de la liquidation des droits acquis avec pour effet majeur de préserver le taux de remplacement moyen en vigueur aujourd’hui. Ce ne serait que la juste reconnaissance de la Nation à l’égard du militaire de la gendarmerie dont le général AMBERT a tracé ce portrait, tellement vrai, il y a plus d’un siècle :

« J’ai vu le gendarme calmer les haines comme le confesseur,
Je l’ai vu concilier les différends comme le juge de paix,
Je l’ai vu combattre comme le guerrier,
Vous dormiez et il veillait,
Vous vous réjouissiez dans les fêtes, et lui, à l’angle obscur, protégeait votre joie,
Il a l’œil sur votre maison, sur votre champ, sur votre or, sur votre repos
Il n’est rien pour vous, et vous êtes Tout pour lui ».

Source : transmis par le trésorier général  La condition militaire et le régime de retraite des militaires de la gendarmerie

*1 HCECM : http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/11e-rapport-thematique-du-haut-comite-d-evaluation-dela-condition-militaire

*2  Source : DGGN/SDPRH/BAA.

*3 Source : https://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-704-notice.html

*4 Indemnité spéciale de sujétion de police.

*5 Opération extérieure.

*6 Opération intérieure.

*7 Source : Bilan social 2016 de la gendarmerie nationale  http://sirpa.gendarmerie.fr/sites/default/files/redacteurs/bilan_social_2016.pdf

*8 Source : 11ème rapport du HCECM.

*9 Retraite additionnelle de la fonction publique.

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