Jean-Marie Godard : « Au-delà de l’affaire Théo, les flics se sentent instrumentalisés en permanence à des fins de politique politicienne. Par la gauche comme par la droite »

Dans « Paroles de flics », Jean-Marie Godard dresse le portrait de professionnels sur-sollicités, dont l’environnement de travail est insalubre et le matériel « usé jusqu’à la corde ».

Jean-Marie Godard : « Au-delà de l’affaire Théo, les flics se sentent instrumentalisés en permanence à des fins de politique politicienne. Par la gauche comme par la droite »

Atlantico : Le portrait qui est dressé dans votre livre, « Paroles de Flics », sur les conditions de travail de la police fait froid dans le dos. Sursollicitation, environnement de travail insalubre, matériel « usé jusqu’à la corde »… Avec un tel portrait, comment a été reçu votre livre non seulement auprès des forces de l’ordre mais aussi auprès du public ?

Jean-Marie Godard : Les policiers qui ont réagi ont très bien reçu ce livre. J’ai reçu des dizaines de SMS des policiers et de leurs entourages respectifs, qui sont présents dans ce livre sous pseudonyme, et je reçois des messages privés sur les réseaux sociaux, ou publics sur Twitter ou Facebook. Les premiers disent que j’ai réussi à retranscrire leurs ressentis, ce qu’ils vivent. Et puis tous, rencontrés ou pas, disent que c’est un bon exposé de la situation, que ça fait « du bien » de lire quelqu’un qui n’est pas de leur milieu professionnel, qui les « comprend ».

Ça vient du terrain. Pour toutes les autres personnes qui ont réagies et qui ne sont pas dans la police, en fait les gens ont été touchés par le côté « humain ». Et me disent qu’ils ne s’imaginaient pas ça, pas comme ça. Avec cette diversité aussi. Ce ne sont pas tant les difficultés matérielles que le vécu de ces hommes et de ces femmes sous l’uniforme police-nationale qui a frappé les gens. Avec peut-être ce sentiment que les policiers, en lisant ce livre, sont coincés entre un terrain quotidien souvent très dur -la violence, la misère, la mort- très émotionnel et qui nécessite un autocontrôle psychologique, du sang-froid très important, et une haute administration, des politiques, qui en sont très éloignés et ne les comprennent pas vraiment. Ce qui est intéressant c’est justement cette réaction par rapport à une histoire humaine. Les gens qui m’ont envoyés des messages pour me dire qu’ils avaient été interpellés, touchés, en dehors du monde de la police, sont d’horizons très différents que ce soit en termes de catégories socio-professionnelles, ou de tendances politiques. Sur ce dernier plan, on va de l’extrême-gauche pas très éloignée du NPA à l’extrême-droite en passant par toutes les couleurs entre les deux. Ce qui est intéressant, c’est le débat que ça suscite. J’ai des amis qui étaient inquiets. On me disait ‘un livre plutôt bienveillant sur les flics, tu vas en prendre plein la figure’. Eh bien pas du tout.

Un extrait de « Paroles de Flics » : Pression du chiffre, conditions de travail, rapport avec la mort… le douloureux sujet des suicides dans la police

Au-delà le constat que vous dressez, qu’est-ce que votre livre permet de comprendre sur un métier qui est soit acclamé par principe soit décrié par principe également ? Les relations entre les forces de l’ordre et la population sont-elles si tendues ou est-ce plutôt avec certaines franges de la population ?

Pour comprendre le métier de policier, il faut se placer sur leur terrain. Bien intégrer que l’homme ou la femme qui vous réprimande parce que vous avez oublié votre ceinture ou que vous téléphonez au volant sera peut-être une heure après sur un accident de circulation avec des victimes et du sang, sur une découverte de personne qui s’est suicidée par pendaison et qu’il va falloir décrocher, ou sur la sécurisation d’un lieu d’attentat. Ca, personne ne le voit. Un véhicule de police qui fonce sur un boulevard avec la sirène et le gyrophare, personne ne le voit. C’est presque fondu dans le paysage. La police on la voit quand on en a besoin, ou si on a fait une connerie. Alors dans le premier cas c’est un appel au secours, on a besoin qu’elle nous protège donc on l’aime. Dans le second cas, on la rejette. Il faut voir le nombre de fois sur une infraction routière où on peut entendre ‘vous n’avez pas des voyous à attraper plutôt que d’enquiquiner les honnêtes gens ?’. ‘Je t’aime moi non plus’, c‘est ça. Mais une mise au point tout de même. Tout le monde ne déteste pas la police, pour prendre le contre-pied d’un slogan souvent entendu dans les ‘cortèges de tête’ des manifestations contre la Loi Travail. Une toute petite frange militante très bruyante déteste la police et se considère en guerre contre elle et l’Etat de manière globale, ce qui se traduit sur le terrain par une volonté très claire, dans certaines manifestations, de venir équipé pour en découdre parfois de manière très violente avec les forces de l’ordre, d’aller au contact. Il y a autour de cela un « bruit » puissant, au travers de tribunes mettant en cause l’ensemble de l’institution police, et de vidéos de violences ou d’arrestations musclées souvent sorties de leur contexte, immédiatement mises en ligne sur les réseaux sociaux. Ce bruit parfois suscite un emballement médiatique autour de certaines images. Les policiers sont atteints par ça, le vivent mal, beaucoup plus que par le fait qu’un automobiliste râle. Ils me disent « c’est marrant, à chaque fois qu’on nous balance ce genre d’images, il n’y a jamais ce qui s’est passé avant que ça tourne mal ». Ils ressentent un sentiment d’injustice, de « présomption de culpabilité » à l’encontre des flics quoi qu’il arrive. Et pourtant lorsque l’on discute un peu plus longuement avec eux, sur le fond, ils ont conscience que l’immense majorité de la population les soutient. Il suffit de regarder les enquêtes d’opinion faites régulièrement sur le sujet et qui dépassent systématiquement les 80% de bonnes opinions. Mais ce qu’ils disent, c’est que cette majorité, justement, elle est « silencieuse », ce n’est pas elle que l’on entend. Et puis il y a eu l’affaire Théo qui a extrêmement choquée les policiers. Je le dis parce qu’ils m’en ont parlés spontanément, que ce soit à Paris, dans le Sud, ou dans le Nord de la France, et m’en parlent encore. Tous ceux que j’ai rencontrés m’ont très clairement dit qu’il n’était pas question pour eux –si un geste condamnable a été commis- de l’excuser et qu’il devait être puni si c’est avéré au final. Mais ce sont les tribunes mettant en cause la police quelques jours après, alors que l’enquête était à peine ouverte, et dans le même temps, la visite du président de la République au chevet de Théo, qu’ils ont pris comme une accusation, une condamnation, une gifle jeté du haut de l’Etat alors qu’on était tout juste au début de l’affaire. D’ailleurs, le dernier développement, les expertises médicales mettant à mal la thèse du viol révélées vendredi 16 février au soir, ont très vite fait réagir les policiers, leurs associations, leurs syndicats dans les heures qui ont suivies, avec des demandes d’excuses. C’est encore à vif et ça le restera longtemps.

Un extrait de « Paroles de flics » : « Va au bled, en Algérie ou au Maroc, parler comme ça aux flics dans la rue ! Le mec va te coller une trempe » : Mourad, flic par conviction

Qu’est-ce que votre livre dit également de la déconnexion entre le monde politique et les forces opérationnelles ?

L’affaire Théo est emblématique de ça justement. Il y a un contrôle d’identité qui dégénère et une interpellation musclée dans un quartier difficile où les relations entre les policiers et les jeunes sont tendues, comme dans d’autres cités. Les faits qu’on nous rapporte dans les premières heures ne peuvent que révulser : un viol à l’aide d’une matraque sur un jeune par des dépositaires de la force publique. La machine s’emballe. L’enquête est à peine ouverte que partout on a l’impression d’en avoir déjà les conclusions. C’est en boucle dans les médias, il y a les tribunes, on est en plein dans la campagne présidentielle. On pourrait s’attendre à ce que l’autorité politique prenne de la hauteur. Un avocat, ancien commissaire, m’a dit, « Le réflexe à avoir à chaque fois qu’une affaire met en cause des policiers, c’est de s’extraire de la mêlée, de garder le silence, et d’attendre que la poussière retombe pour remonter le fil et s’en tenir aux faits ». Le président n’attend pas que ‘la poussière retombe’, il va au chevet de Théo, alors qu’on est justement en pleine mêlée. J’ai reparlé de ça avec des gens au ministère de l’Intérieur en leur disant que les flics avaient très mal vécus cette visite. On m’a répondu « c’est de la stratégie. On était en pleine campagne. Il fallait envoyer un signal aux banlieues pour éviter d’avoir un embrasement et des semaines d’émeutes comme en 2005 ». Voilà, là on est dans ‘Le’ politique. Sauf que les flics sur le terrain ne sont pas dans la stratégie politique. Eux se voient montrer du doigt, prennent une gifle de la part de la plus haute autorité de l’Etat. Cela a vraiment été ressenti comme ça. Et ceux auxquels j’ai parlé du côté « stratégique » de la visite de François Hollande m’ont répondu « OK, mais alors pourquoi il n’est pas allé au chevet des CRS brûlés dans les manifs par des cocktails-Molotov ? ». Et au-delà de l’affaire Théo justement, les flics ont l’impression d’être en permanence instrumentalisés à des fins de politique politicienne au travers du thème de la sécurité. C’est récurrent à chaque période électorale. Sauf que les flics, l’opérationnel, veulent qu’on les laisse faire leur travail, une efficience au service de la justice, du bien, des plus faibles. Et que l’autorité les soutienne. Ce qu’ils voient du politique, c’est l’instrumentalisation et les discours, et l’impression d’un monde, d’un milieu, qui se couvre et leur tombe dessus dès que la machine médiatique s’emballe. Ils aimeraient bien avoir des politiques qui fixent un cap, un sens à leur mission, au lieu d’être un peu trop dans la « communication » politique. Et ça vaut à droite comme à gauche.

Enfin, concernant la Police de Sécurité du Quotidien annoncée par Gérard Collomb, est-ce que, au final, le principal risque ne serait pas que son instauration se fasse sans qu’elle soit accompagnée d’une véritable réflexion de fond sur les missions de la police et une redéfinition de son rôle ?

C’est exactement ça. Les policiers attendent énormément de ce que le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb annonce même comme une « révolution ». Sauf qu’ils sont extrêmement dubitatifs, méfiants, ne font plus confiance aux politiques quels qu’ils soient. Ils connaissent très bien leur terrain et ses difficultés. Donc les grandes phrases et la communication, avec eux ça ne marche pas. Ils attendent une vision, un sens, un plan précis, du concret. Par exemple le ministre annonce vouloir donner un coup d’arrêt à la politique du chiffre qui ces quinze dernières années a consisté à remplir des cases avec des bâtons pour faire grimper les statistiques de faits constatés et élucidés, et peu importe lesquels.

Du quantitatif plus que du qualitatif en matière de sécurité, avec à la clé des primes annuelles parfois très importantes pour la hiérarchie intermédiaire. J’ai rencontré des gardiens de la paix qui m’ont parlé des directives de « vider » obligatoirement deux carnets de timbre-amende –les PV- par mois. Ou des Officiers de police judiciaire auxquels, à certaines périodes, on demandait de faire un maximum de placements en garde à vue tel ou tel mois pour faire grimper les chiffres. Des situations absurdes. Les flics, leurs syndicats et leurs associations de manière unanime demandent à ce qu’on sorte de ça. Mais concrètement on fait comment ? Collomb dit qu’il veut de nouveaux indicateurs pour apprécier le travail de la police, et notamment en s’appuyant sur la satisfaction des citoyens vis-à-vis de leur police. Mais concrètement ? Comment ça se met en place ? Les primes annuelles, on en fait quoi ? Pour l’instant les seules mesures concrètes annoncées par le ministre, comme équiper les patrouilles avec des tablettes pour leur donner un accès rapide et sécurisé aux fichiers, ne sont que la continuité du plan Cazeneuve mis en œuvre début 2016. On a l’impression que le gouvernement tâtonne et qu’il va construire pas à pas. Sans avoir véritablement une vision globale, ou un plan qui puisse faire consensus autour du rôle de la police et de son organisation sur les dix prochaines années.

« Paroles de flics » de Jean-Marie Godard, aux éditions Fayard

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Source : Atlantico

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