Estrée : il sauve huit juifs de la Shoah, son histoire sort de l’ombre 70 ans après

Pendant près de soixante-dix ans, l’histoire du gendarme André Martin est restée confidentielle. Jusqu’à ce qu’un de ses petits-fils ne retrace l’héroïque passé de son grand-père aidé par les souvenirs de sa mère. L’homme, qui a grandi dans le Montreuillois, vient d’être fait « Juste parmi les nations » à titre posthume.


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« Papa disait : J’ai fait ce que j’avais à faire. Il ne voulait pas en parler. » Liliane Leval-Martin, 80 ans, est la fille d’André Martin. Elle non plus n’en a plus trop parlé après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, des années plus tard, les souvenirs sont encore précis.

Elle avait alors 9 ans quand son père, gendarme originaire d’Estrée non loin de Montreuil (lire ci-dessous), a caché plusieurs juifs qui s’étaient réfugiés à Annot en 1943, dans les Alpes-de-Haute-Provence. C’est là qu’il était affecté depuis le début de la guerre avec sa femme et ses trois enfants (il en a eu deux autres les années qui suivirent). En tout, il porta assistance à huit personnes : les grands-parents Moussafir, les parents et leurs deux garçons Jean et Claude, ainsi qu’un autre couple, les Darmon. « La famille Moussafir est arrivée dans le village avec d’autres familles juives. Ils venaient manger chez nous et jouaient avec nous. Je me rappelle que les frères avaient un petit vélo, on était ébahi ! », raconte Lililane.

Il les déclare musulmans

Les premiers temps, ils vivent à l’hôtel, en partie parce qu’André Martin leur fournit une fausse déclaration à en-tête de la gendarmerie où il écrit qu’ils sont musulmans, et aussi parce que les collègues d’André choisissent de fermer les yeux. Très vite, pourtant, la situation devient risquée. « André Martin nous a conduit à un logement qu’il a préparé, situé sur la place de l’église à Annot, un deux pièces où nous trouvons refuge y restant enfermés, persiennes closes pendant 4 à 6 semaines », témoigne Claude Moussafir, 70 ans plus tard, dans le dossier que Bruno, le fils de Liliane, a constitué pièce par pièce, après de nombreuses recherches, pour sortir du silence l’histoire de son grand-père.

La petite fille leur porte à manger chaque jour

Reclus dans cet appartement, les huit juifs connaissent des jours difficiles – « les Allemands sont partout, le bruit de leurs bottes… » –, ponctués par les visites quotidiennes de Liliane, la fille d’André et de sa femme Élisabeth. « Maman me disait d’aller leur porter à manger, mais elle m’en disait le moins possible et je ne posais pas de question. Je faisais ce que maman disait. J’étais juste triste de ne plus pouvoir jouer avec Claude et Jean. »

Une nouvelle fois forcées de fuir parce qu’un villageois les dénonce, les familles Moussafir et Darmon sont emmenées par André à Ubraye, hameau voisin caché dans la montagne, avant d’être rapatriés dans le village jusqu’à la Libération. « Aujourd’hui, des années après, j’éprouve le même respect pour cet homme et cette famille qui se sont exposés pour nous faire échapper pendant des mois à tous les périls et que c’est à ce courage généreux que nous devons la vie », écrira Claude Moussafir. Quand à Jean, il confie : « Le souvenir de cet homme simple et bon ne nous a jamais quittés. »

Et après ?

Après guerre, le contact a été maintenu quelque temps entre les deux familles, les Martin ont rendu visite aux Moussafir à Paris, puis la vie a repris son cours. Jusqu’à ce coup de téléphone de juillet 2012 entre Liliane et Jean. Il y a deux mois, les deux familles se sont revues pour honorer la mémoire d’André Martin. Une très belle histoire. Un symbole de paix qui vaut tous les discours.

« JUSTE PARMI LES NATIONS », QU’EST-CE QUE C’EST ?

Il s’agit d’une distinction (la plus haute de toutes) que le mémorial de la Shoah Yad Vashem à Jérusalem décerne aux civils, au nom de l’État d’Israël. Ce titre vise à honorer « ceux qui ont mis leur vie en danger pour sauver des juifs ». C’est un juge de la cour suprême qui valide cette distinction, après l’examen minutieux de critères précis. La personne distinguée reçoit une médaille et un certificat. Son nom est gravé sur le Mur d’honneur dans le jardin de Yad Vashem. Quelque 23 350 justes sont ainsi décorés à travers le monde. Oskar Schindler est l’un des plus connus. En France, ils seraient un peu plus de 3 550 et leur nom est également gravé dans l’allée des justes à Paris, non loin du mémorial de la Shoah.

Reconnu officiellement juste en 2013, à titre posthume, André Martin (décédé en 1998) a aussi eu une cérémonie en son honneur en février à Blotzheim (Alsace), là où il résidait. Toute sa famille était là et une de ses arrière-petite-fille a même prononcé un discours très poignant. Plus émouvant encore, les retrouvailles entre Liliane et Jean Moussafir qui était venu accompagné de sa famille. Claude, lui, est malheureusement décédé quelques mois plus tôt.

Les Martin, une famille très connue à Montreuil

C’est René Martin, le frère d’André, et son épouse (notre photo) qui ont voulu mettre en lumière l’émouvante histoire. « Je ne savais pas ça, avant que Liliane nous envoie les documents. Je suis si fier de mon frère… », confie René, visiblement ému. La famille Martin, et ses sept enfants, est connue à Montreuil et surtout dans la vallée de la Course. « Nous sommes d’Estrée. Nos parents ont tenu pendant une quarantaine d’années l’ex-Relais de la Course. Et mon frère est allé à l’école primaire supérieure à Montreuil, ce qu’on appelle aujourd’hui le lycée Woillez. »

Source : La Voix du Nord

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