Cazeneuve refuse d’aligner la « légitime défense » des gendarmes aux policiers

La proposition de loi de l’UMP, portée par Éric Ciotti, élargissant les conditions de légitime défense pour les policiers a été repoussée par le ministre.

Éric Ciotti proposait d'aligner la présomption de légitime défense appliquée aux gendarmes aux policiers. Cazeneuve préfère qu'un groupe de travail évalue la question au préalable.
Éric Ciotti proposait d’aligner la présomption de légitime défense appliquée aux gendarmes aux policiers. Cazeneuve préfère qu’un groupe de travail évalue la question au préalable. © CITIZENSIDE/GERARD
BOTTINO
Le sacrifice d’Ahmed Merabet et de Franck Brinsolaro lors des événements funestes de janvier a conduit la droite, à l’initiative du député UMP Éric Ciotti, à déposer une proposition de loi visant à permettre plus aisément aux policiers l’usage de leur arme pour se défendre. Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, a écarté jeudi cette proposition, considérant que les risques juridiques du texte de Ciotti étaient trop grands vis-à-vis de la Convention européenne des droits de l’homme.

Néanmoins, le locataire de la Place Beauvau propose à l’opposition de réfléchir à la question dans un groupe de travail qui comprendrait des parlementaires de la majorité et de l’opposition, des représentants de l’inspection de la police et de la gendarmerie nationale, le président de la commission des Lois. « Nous n’avons pas besoin de la confrontation sur un sujet comme celui-ci », a lancé Bernard Cazeneuve. La droite, elle, considère qu’on a perdu trop de temps vu l’urgence de protéger les forces de l’ordre contre la menace terroriste et d’une délinquance surarmée.

2014 : année record des morts dans la police

Depuis 2004, les chiffres des policiers décédés en mission (36) et en service (112) appellent quelques réflexions. Le nombre de blessés atteint 52 000 concernant les agents opérant en mission, et 123 000 en service. L’année 2014 a été la plus meurtrière depuis 2009 : 4 morts en opération et près de 9 000 blessés. Depuis le début de l’année 2015, on recense déjà 2 morts en mission et plus de 850 blessés.

Or, comme l’a rappelé Éric Ciotti, les policiers et les gendarmes ne sont pas soumis aux mêmes règles, qu’il juge « peu intelligibles ». Le Code de la défense protège les gendarmes, tandis que les règles de la légitime défense des policiers sont exactement celles qui s’appliquent aux simples citoyens. Répondant à une demande unanime des syndicats de policiers, Éric Ciotti propose un alignement des règles d’usage des armes pour les policiers et les gendarmes. D’autant que la direction générale de la police nationale a souligné, lors des auditions préalables, que le cadre juridique actuel ne répondait pas à toutes les situations.

Les gendarmes peuvent tirer après sommation, pas les policiers

« Attendre la réalisation du danger pour y répondre, c’est exposer les policiers à un risque mortel, juge Ciotti. Mais gare aux cow-boys ! Ciotti a plaidé en faveur de son texte qui, dit-il, « n’établit pas de présomption de légitime défense » (le permis de tuer), qui « n’empêchera pas des poursuites » et qui n’instaure « pas de renversement de la charge de la preuve ».

Le texte du député UMP proposait donc trois hypothèses d’usage des armes. Première hypothèse : « en cas de danger imminent », par exemple lorsque la police poursuit un « tueur fou » qui a déjà tué ou qui a rangé son arme. Deuxième cas de figure : lorsqu’un policier ou un gendarme subit des « violences graves ». Éric Ciotti a mentionné les précédents du lynchage du commissaire Illy (agressé lors des émeutes de Villiers-le-Bel) ou du gendarme Nivel (tabassé par des hooligans en 1998). Troisième hypothèse : permettre l’usage des armes aux forces de l’ordre lorsque des « individus dangereux refusent de déposer les armes au bout de deux sommations ».

Cazeneuve défend la spécificité des gendarmes

Bernard Cazeneuve reconnaît le « bon sens apparent » d’aligner le régime de la légitime défense des gendarmes et des policiers. Mais il rappelle que la légitime défense exige, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, un « danger réel et actuel », et que la riposte doit être d’une « absolue nécessité » et de manière « proportionnée à la menace ». Or les juges appliquent ces critères aussi bien aux gendarmes et aux policiers qu’aux simples quidams.

Il estime également que le texte de l’UMP, en supprimant ces critères, permettrait aux forces de l’ordre de tirer sur l’agresseur sans limitation de temps après l’agression. Il a également rappelé la spécificité militaire des gendarmes qui, selon le Code de la défense, peuvent après sommation verbale et en cas de voie de fait user de leurs armes « pour défendre leur terrain ou immobiliser le véhicule, ou défendre une zone de défense hautement sensible ».

Marion Maréchal-Le Pen pour une présomption de légitime défense

Le ministre préfère s’en remettre au sang-froid des policiers et souligne la fragilité juridique du texte proposé par Éric Ciotti. Qu’en est-il des tireurs d’élite qui auraient dans leur viseur un criminel ? Peut-on considérer alors que, selon le texte de l’UMP, les policiers et les gendarmes pourraient tirer sur un criminel en fuite ? Bref, Cazeneuve a jugé que le texte de Ciotti était imprécis et « juridiquement contestable ».

Le groupe des radicaux de gauche (Alain Tourret) et le groupe PS, sans surprise, se sont ralliés au point de vue de Bernard Cazeneuve. L’UDI a montré également des réticences vis-à-vis de son partenaire UMP et a appelé ses membres à s’abstenir sur le texte d’Éric Ciotti. Marion Maréchal-Le Pen, députée FN, est intervenue dans le débat en débordant l’UMP sur sa droite : l’élue du Vaucluse souhaite que le législateur instaure une « présomption réfragable (*) de légitime défense » en faveur des forces de l’ordre, quitte à ce que leur formation à l’usage des armes soit renforcée. Néanmoins, faute de mieux, elle a accepté de voter la proposition d’Éric Ciotti.

(*) réfragable : se dit d’une présomption qui peut être réfutée par une preuve contraire.

Source : Le Point

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