Des policiers témoignent: «On est obligé d’accepter des instructions illégales»

Capture d’écran 2019-03-14 à 23.40.15Les officiers de police judiciaire d’un commissariat parisien dénoncent les « instructions illégales » de leur hiérarchie, en particulier lors des manifestations des « gilets jaunes ». Dans un mail que Mediapart a pu consulter, il est écrit que, sur ordre de la préfecture de police de Paris, les personnes interpellées doivent être systématiquement placées en garde à vue.

Six officiers de police judiciaire (OPJ), soit la totalité du service de leur commissariat parisien, ont, en février et pendant plus d’un mois, interrompu leur activité pour protester contre les instructions « liberticides » que leur imposait leur hiérarchie, notamment lors des manifestations des « gilets jaunes ». Ils se sont mis, en alternance et parfois à tour de rôle, en arrêt de travail – certains le sont encore aujourd’hui.

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Le cas des ordres illégaux

Lorsqu’un ordre donné à un agent public a pour effet de commettre une infraction, l’agent se retrouve in fine seul juge de ses actes dont il doit personnellement rendre compte. Il ne peut pas se dégager de sa responsabilité devant les conséquences des actes exécutés en objectant qu’il avait « seulement » obéi aux ordres.

Deux articles fondamentaux
1. L’article 28 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires précise :
« Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Il n’est dégagé d’aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés. »

2. L’article 122-4 alinéa 2 du Code pénal dispose que : « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime sauf si c’est cet acte est manifestement illégal » vise l’hypothèse où un supérieur hiérarchique donne l’ordre à son subordonné de commettre une infraction.

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Puis-je refuser de commettre un ordre illégal ?

Oui, l’article 28 de la loi du 13 juillet 1983 institue à titre dérogatoire un véritable droit pour un agent public. Mais cette exception au principe est toutefois soumise à la réunion de deux conditions suivantes :

  • l’ordre doit être « manifestement » illégal,
  • cet ordre, s’il était exécuté, serait de nature à compromettre gravement un intérêt public.
Les deux conditions sont cumulatives, est-ce un avantage pour moi ?

Oui, non seulement je dois considérer que l’ordre est irrégulier pour refuser de l’exécuter, mais je dois aussi considérer que cette irrégularité aura un impact effectif. En fait, cette double condition doit me conduire à m’interroger réellement sur l’acte que l’on m’ordonne de faire.

Comment puis-je savoir si un ordre est illégal ?

Dans la mesure où il apparaît que :

  • cet ordre est manifestement in-susceptible de se rattacher à un pouvoir de l’administration, c’est-à-dire qu’il est impossible de le considérer comme un ordre émanant de la dite administration.

ou encore

  • il m’a été donné par une autorité n’ayant aucun pouvoir sur moi.
En présence d’un ordre incertain, suis-je légitime de m’interroger sur les risques encourus ?

Oui, je dois réellement « peser » le risque que je prends en réalisant une instruction dont la légalité me semble douteuse.

Si je refuse d’exécuter un ordre et que j’ai tort (en fait l’ordre est légal), suis-je en faute ?

Oui, et c’est pour cela qu’il est reconnu par la jurisprudence et la doctrine la difficulté d’identifier au moment même où l’ordre est donné son illégalité « manifeste ».

Si l’ordre donné me conduit à commettre une infraction pénale ou m’en rendre complice, puis-je le refuser sans me poser la question les conditions cumulatives citées ?

Oui, parce qu’une infraction pénale est par essence illégale. S’il m’est demandé, par exemple, de reverser des sommes d’argent en méconnaissance des règles de la comptabilité publique, il est clair que je n’exécuterai pas cet ordre, parce qu’il est par définition illégal.

Puis-je être exonéré de ma responsabilité si j’exécute un ordre manifestement illégal émanant de ma hiérarchie ?
Oui, sur la base de l’article 122-4 alinéa 2 du Code pénal cité plus haut ; cependant il faut que cet ordre ait toute l’apparence d’un ordre légal. Il faut bien avoir à l’esprit que les magistrats sont extrêmement stricts dans l’appréciation de cette condition.
Dans un jugement récent, un secrétaire de mairie (dont il était acquis qu’il avait agi sur ordre et que son statut de subordonné du maire rendait délicat de s’opposer à l’opération), n’en a pas moins été condamné parce qu’il a résulté de ses propres déclarations qu’il avait conscience de participer à une action illégale.
Puis-je éviter de me mettre dans une situation gênante lorsque ma hiérarchie me conduit à participer directement ou indirectement à la commission d’un délit pénal ?

Oui, en étant d’une vigilance extrême en présence de d’ordres qui me semblent « hasardeux ». Il est à noter que les magistrats seront plus cléments à l’égard de ceux qui auront semblé s’interroger sur le caractère légal ou non de l’ordre qui aura été donné que de ceux qui ne seront pas posés de questions.

Si je m’oppose à un ordre illégal, est-ce que de multiples sanctions indirectes et informelles peuvent m’être appliquées ?

Oui, le coût d’un refus peut finalement s’avérer particulièrement lourd… malgré la non-application de la loi par mon supérieur. Les situations sont par conséquent toujours délicates.

Si je refuse d’exécuter une tâche non prévue dans mon statut que peut-il m’arriver ?

Le fait d’obliger un fonctionnaire à exécuter une tâche qui n’est pas prévue dans son statut est certes illégal, mais ne compromet pas gravement un intérêt public. Dans le principe, je ne peux, agent, me dispenser d’exécuter cet ordre. En outre, le non-respect d’un ordre hiérarchique peut avoir deux conséquences : la retenue sur traitement et la sanction disciplinaire. Si le non-respect de l’obligation de contenu, et de qualité, du service est rarement sanctionné par la voie de la retenue sur traitement, il aboutit généralement à une sanction disciplinaire.

Dossier réalisé par Frédérique Thomas, professeur agrégée, docteur en STAPS,
Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand II.

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