Les gendarmes dans l’expectative après l’annonce sur le temps de travail

Paris, le 18 octobre 2017, discours aux forces de sécurité intérieure d'Emmanuel Macron à l'Elysée (M. GUYOT/ESSOR)
Paris, le 18 octobre 2017, discours aux forces de sécurité intérieure d’Emmanuel Macron à l’Elysée (M. GUYOT/ESSOR)

« Une petite bombe atomique. » Dans les rangs de la Gendarmerie, la remise en cause par Emmanuel Macron de la transposition de la directive européenne sur le temps de travail fait peur. « J’ai de nombreux appels : tout le monde s’inquiète », rapporte ce jeudi 19 octobre Thierry Guerrero, le président de l’association professionnelle nationale de militaires (APNM) Gendarmes et citoyens. « La suppression de nos acquis sociaux déstabiliserait la Gendarmerie », avertit de son côté Frédéric Le Louette, le président de Gend XXI.
Un nouveau rebondissement dans un vieux dossier : la directive européenne en question, relative au temps de travail, date du… 4 novembre 2003. « La France a toujours voulu que ce texte ne s’applique pas aux forces armées, explique Frédéric Le Louette. Or la jurisprudence européenne est claire : si des dérogations sont possibles, aucun corps de métier dans son ensemble ne peut être exclu du champ d’application. Il faut savoir que les autres forces armées et gendarmeries européennes appliquent cette directive. »

Les gendarmes ont pris goût au repos compensateur

Le peu d’empressement des autorités françaises a fait tiquer deux associations, l’Adefdromil, qui avait introduit un recours devant le Conseil d’Etat, et Gend XXI. L’APNM avait déposé une plainte en janvier 2016 devant la Commission européenne pour violation de cette directive. Le coup de pression a été efficace : en février 2016, la Gendarmerie abroge l’instruction 1.000 du 9 mai 2011, puis publie en septembre une instruction provisoire accordant à chaque gendarme onze heures de repos par tranche de vingt-quatre heures. Les gendarmes prennent goût à ce nouvel acquis social.

« Depuis plus d’un an, la Gendarmerie met tout en œuvre pour que le temps de repos soit appliqué de manière stricte », observe Thierry Guerrero. « Un retour en arrière serait mal perçu par les gendarmes », ajoute-t-il. « Clairement, si l’instruction provisoire est supprimée, le feu est mis à l’Institution en deux jours », pointe Frédéric Le Louette.

Baisse significative de l’activité

Du côté de la direction générale, on n’apprécie pas de la même façon les effets de cette instruction provisoire. Le 10 octobre, devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, Richard Lizurey, le directeur général de la Gendarmerie nationale, sort son cahier de comptes. Selon lui, la mise en place de l’instruction provisoire a entraîné une baisse de l’activité opérationnelle de la gendarmerie départementale de -5,5 %, soit « 4.000 équivalents temps-plein », et de l’activité de la gendarmerie mobile de -12 %.

Discours du Président de la République, Emmanuel Macron, devant les forces de sécurité intérieure

Dans la foulée de l’annonce présidentielle, le directeur général convoque une visioconférence, vendredi 20 octobre dans l’après-midi, « avec les commandants de région et les commandants de formation administrative, leurs conseillers concertation et les membres du Conseil supérieur de la fonction militaire (CFMG) ». Et de préciser, dans un message aux troupes, vouloir étudier, en liaison avec les ministères de l’Intérieur et des Armées, « les conditions de mise en œuvre » de l’objectif présidentiel.

« La chaîne concertation sera étroitement associée à ces travaux, qui s’inscriront dans la continuité des travaux engagés avec le groupe de liaison du CFMG », poursuit Richard Lizurey. Mais les discussions s’annoncent tendues.

« Il va falloir faire de la pédagogie et expliquer que des droits vont être enlevés à des gendarmes », souffle un officier supérieur de la Gendarmerie.

“Faites ce que je dis, pas ce que je fais”

D’autant que les premières réactions sont loin d’être positives. Sur le forum interne du réseau Gendcom, « la goutte d’eau qui peut faire déborder le vase » déchaîne les participants. Au moins « dubitatifs », certains espèrent un « malentendu » quand d’autres évoquent simplement « 2001 », date de la dernière grande grogne de la Gendarmerie qui a vu des milliers militaires manifester en uniforme…

« Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais », résume un autre qui regrette que les gendarmes fassent « appliquer des textes aux citoyens lambda » qu’ils ne s’appliquent pas eux-mêmes.

Un curieux message du DGGN

Paris, le 18 octobre 2017, discours aux forces de sécurité intérieure d'Emmanuel Macron à l'Elysée (M. GUYOT/ESSOR)
Paris, le 18 octobre 2017, discours aux forces de sécurité intérieure d’Emmanuel Macron à l’Elysée (M. GUYOT/ESSOR)

Les gendarmes ont d’ailleurs été surpris par le dernier message du Directeur général sur son blog intitulé « Du devoir de désobéir ». Dans ce texte, publié peut-être malencontreusement le jour du discours présidentiel aux forces de sécurité, le général Lizurey invite les commandants à ne pas appliquer de manière aveugle « les circulaires issues de notre maison » dont ils ont le devoir d’en « appliquer l’esprit » mais aussi, « si nécessaire et dès que nécessaire, d’en adapter la lettre » !

Difficile de savoir quelles sont les intentions précises du Président. A la Direction générale, où l’annonce a surpris tout le monde, on estime urgent d’attendre. La porte-parole de la Gendarmerie, le lieutenant-colonel Karine Lejeune, a elle-même appris la nouvelle lors du discours. Elle rappelle que rien n’est figé puisque « différentes solutions ont déjà été adoptées par d’autres pays européens ».

En clair, il n’y a pas une seule manière de transposer le texte européen dans le droit français. Mais surtout, assure-t-elle, « rien ne dit que l’on reviendra en arrière. Nous prendrons une décision avec la chaîne de concertation, sans qui rien ne s’est fait jusqu’à présent et rien ne se fera à l’avenir ».

Gend XXI favorable au dialogue

« Les échos que nous avons, c’est que l’instruction provisoire serait maintenue mais que la Gendarmerie n’irait pas plus loin dans la transposition », précise de son côté Gend XXI. « Nous voulons que les principes de l’instruction provisoire soient préservés, mais nous sommes prêts à dialoguer de tout le reste », – le travail de nuit, le temps de pause, etc. – , déclare Frédéric Le Louette.

Et pour Gendarmes et citoyens, l’annonce du président de la République doit être l’occasion d’aborder le « problème d’une nouvelle manière ». « Il faudrait non pas définir le temps de repos, mais le temps de travail des gendarmes, explique Thierry Guerrero. A partir du moment où nous aurons établi un temps de travail cohérent, le militaire bénéficiera d’un temps de repos respectant la directive européenne », poursuit-il.

Le DGGN souhaite une dérogation

La directive européenne du 4 novembre 2003 sur le temps de travail.

Qu’en pense Richard Lizurey ? Le directeur général, devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, donc avant l’annonce d’Emmanuel Macron, a été clair. « Il semble essentiel que nous puissions obtenir, soit une dérogation générale, ou du moins une dérogation telle que notre capacité opérationnelle sur le terrain ne soit pas remise en cause. ». Interrogé ce jeudi 19 octobre sur ce sujet, en marge d’un déplacement à la direction régionale de la police judiciaire de Paris, Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur, a soigneusement esquivé cette question brûlante… Et dit qu’il en parlerait « directement avec les personnels ».

La directive européenne du 4 novembre 2003 stipule, dans son article 3, que « tout travailleur bénéficie, au cours de chaque période de 24 heures, d’une période minimale de repos de onze heures ». L’article 6 limite également la durée hebdomadaire de travail à 48 heures par semaine, y incluant les heures supplémentaires. Des dérogations sont toutefois prévues pour un certain nombre d’activités, y compris pour « les activités de garde, de surveillance et de permanence caractérisées par la nécessité d’assurer la protection des biens et des personnes, notamment lorsqu’il s’agit de gardiens ou de concierges ou d’entreprises de gardiennage ».

Gabriel THIERRY et Matthieu GUYOT.

Source : L’Essor.org

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *