Le journal d’une vie en enfer d’un déporté retracée par son fils

C’est l’histoire d’un gamin de Pompey dont la vie sera à jamais marquée par le récit de son père, déporté politique dans les camps d’Auschwitz, Buchenwald puis Flossenbürg. Désormais, Jean-Jacques Rousseaux se bat pour que cette mémoire ne s’efface pas.

ancien-lieutenant-colonel-de-gendarmerie-jean-jacques-rousseaux-reside-aujourd-hui-a-colmar-(haut-rhin)-il-veut-relayer-le-temoignage-de-son-pere-rescape-des-camps-photo-dna-nicolas-pinot-1556397228Ancien lieutenant-colonel de gendarmerie, Jean-Jacques Rousseaux réside aujourd’hui à Colmar (Haut-Rhin). Il veut relayer le témoignage de son père, rescapé des camps. Photo DNA/Nicolas PINOT

« J’ai grandi très vite ». Trop vite. Jean-Jacques n’a que douze ans lorsque son père lui demande de retranscrire son histoire, celle d’un déporté marqué à jamais par l’univers concentrationnaire nazi. Nous sommes en 1956, la famille Rousseaux vit à Pompey en Meurthe-et-Moselle. Le père, Jean, est tourneur sur métaux aux aciéries. Jean-Jacques est l’aîné d’une fratrie de quatre. Les Rousseaux vivent dans un petit appartement d’une cité, sans trop de ressources. Ils ne partent pas en vacances, ne vont pas au restaurant. Le gérant de la Coop leur fait crédit lorsque les fins de mois sont délicates.

« Je pense qu’il est toujours resté derrière les barbelés… »

Jean-Jacques admire ce père qui reçoit quelquefois « ses frères », anciens déportés. Le papa ne raconte pas tout devant les autres. Jean-Jacques ressent la souffrance de son père « au regard toujours triste, perdu dans ces souvenirs ». « Je pense qu’il est toujours resté derrière les barbelés… » La nuit, il lui arrive de hurler. « Il me disait qu’il entendait les portes des wagons se fermer. » Jean n’a jamais été en bonne santé. Son épouse s’est occupée de lui, jusqu’à son départ en 1990, à 68 ans.

Un beau soir de 1956, Jean demande à son fils de rédiger ce qu’il va lui raconter. « Il m’en avait parlé auparavant, quand on allait au jardin. » Jean-Jacques achète un cahier à spirale. « On discutait à la cave ou alors à côté de la fenêtre de la cuisine, pour économiser l’électricité ». Le fils écrit. Le père déroule son récit, répond aussi aux questions. Quatre ans durant, Jean-Jacques va recueillir l’histoire de son père.

Le numéro 186363

Tout commence par un coup de poing porté à un contremaître allemand. Jean l’a regretté tant de fois. Il effectuait son service du travail obligatoire (STO) dans une usine de la Sarre. Son geste l’oblige à s’évader. Il tente de rejoindre le maquis du Vercors. À Valence (26), il est arrêté par la milice. À force de coups, il signe un document attestant qu’il est « terroriste ». Interné à Lyon, son quotidien est rythmé par les cris de douleur des autres détenus. Lyon n’est qu’un point de départ. Jean quitte, le 27 avril 1944, la France pour Auschwitz. Le convoi transporte 1.700 Français. Trois jours et trois nuits avec l’odeur, la chaleur, la soif et la mort. L’avant-bras gauche de Jean Rousseaux porte le numéro 186363. L’Alsacien découvre l’indicible. Tant de scènes le hantent encore comme celle de ce SS, excédé des cris d’un bébé, qui l’arrache des bras de sa mère et le tue. « Il lui arrivait souvent de pleurer », dit Jean-Jacques. « Alors, il quittait la pièce. Mais ça lui faisait du bien de parler. » D’Auschwitz, l’Alsacien est transféré à Buchenwald puis à Flossenbürg en Bavière où il arrive le 24 mai 1944. Il va rester près d’un an dans ce camp de travail où la mort rôde. Jean raconte un quotidien de coups, de faim, d’humiliation, de déshumanisation. Il pense au suicide. « Je veux abréger mes souffrances physiques et morales, je suis à bout. J’ai 22 ans et je veux mourir », lâche-t-il à son fils.

« Je suis un rescapé »

Le camp est libéré le 23 avril 1945 par les soldats américains. Jean, habillé en bagnard, rejoint Pompey. Personne ne le reconnaît sauf sa mère. Il ne pèse que 40 kg. « Je ne serai jamais plus le même », dicte-t-il à son fils. « Je vis avec mes camarades morts sous la torture, de maladies, de privations. J’ai vécu en enfer, je suis un rescapé, je suis un témoin et je témoigne comme je l’avais promis ».

En 1968, Jean-Jacques accompagne son père à Flossenbürg qui ne reconnaît pas l’endroit. Les baraquements ont disparu. À l’approche du four, Jean entend « les hurlements des cadavres jetés dans la fournaise ». Il est rapatrié en France. « Après, il s’est refermé et n’a quasiment plus jamais parlé de la déportation. » Depuis plus de six ans, Jean-Jacques travaille sur un livre. « Il faut porter la parole de ces gens-là ! J’aurais tant de questions à lui poser aujourd’hui… »

Nicolas ROQUEJEOFFRE

Source : L’Est Républicain

bandeau-Asso-APG-1024x91Note de la rédaction de Profession-Gendarme :

Jean-Jacques Rousseaux, cheville ouvrière du site internet dédié au camp, a réuni plus de 700 000 documents sur Flossenbürg.

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