Expression des militaires : Liberté d’expression ou devoir de réserve ?

Liberté de penser

En avril 2009, le général de brigade aérienne Sarazin a publié dans la revue l’épaulette  un article dans lequel on y trouve un long passage sur la liberté d’expression des militaires.

Cet article répond d’une certaine façon à la problématique du militaire et du politique.

L’intérêt de cet article tient à son analyse juridique et précise des obligations légales ayant trait au droit d’expression des militaires ainsi qu’au devoir de réserve qui lui est imposé.

Profession-Gendarme a tenu à vous donner matière à réflexion aussi laissons le Général Sarazin s’exprimer :

La « logique floue » du droit d’expression.

Deuxième élément ayant à la fois un rapport avec le statut et le Livre Blanc, l’expression des militaires. Après la parution du Livre Blanc et durant quelques jours, l’affaire des critiques exprimées par des militaires anonymes du groupe dit Surcouf a fait la une des médias. Ce qu’on retiendra ici ne se rapporte pas au fond de ces critiques mais au fait que les multiples intervenants s’exprimant sur le sujet semblaient avoir chacun une conception particulière du droit d’expression des militaires et/ou de leur devoir de réserve. Pendant un temps même, on a évoqué la recherche des auteurs en vue de les sanctionner. Cette idée n’a, officiellement au moins, pas eu de suites et, dans un sens, on peut le regretter car les débats juridiques qui en auraient forcément résulté auraient peut-être permis de clarifier ces notions.

Afin d’éviter d’être accusé de faire preuve d’une naïveté désarmante, indiquons être bien conscient qu’en la matière il restera vain d’espérer trouver des définitions précises relatives au devoir de réserve — on y reviendra plus loin – et sur les limites à ne pas franchir. Toutefois, notre époque versant de plus en plus dans le juridisme pointilleux, il n’est peut-être pas inutile de rappeler, par delà les idées justes ou fausses reçues, sur quels textes officiels reposent aujourd’hui le droit d’expression des militaires. On le sait, les autorités ont fait amplement savoir que la demande d’autorisation préalable pour s’exprimer sur un sujet militaire avait été supprimée dans le nouveau statut mais, militaires ou non, nos concitoyens savent-ils ce qui demeure ? C’est-à-dire l’essentiel.

Service et discrétion

(…), Le troisième alinéa de l’article L4121-2, pour sa part, enjoint aux militaires de « faire preuve de discrétion pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ». On notera d’abord que ce troisième alinéa est identique à celui qui s’applique aux fonctionnaires civils dans l’article 26 de leur statut général, à ceci près qu’au lieu de « discrétion », il est écrit « discrétion professionnelle ». À voir le nombre de fonctionnaires civils venir, régulièrement et de leur propre chef, commenter à la télévision les péripéties ou conséquences des actes de service de leurs collègues, on peut se demander si cet ajout leur vaut absolution...

En général, comme dans le cas particulier du groupe Surcouf, à partir du moment où la discussion concerne un projet largement débattu par les élus et dans les médias, on voit qu’il est difficile pour les autorités de s’appuyer sur cette nécessaire discrétion des militaires liée aux faits connus dans « l’exercice de leurs fonctions » pour reprocher un manquement au statut.

Du compte rendu a posteriori à l’avertissement a priori

Depuis longtemps on sait que la caractéristique des militaires est de rendre compte de l’exécution des ordres reçus. Ce principe est réaffirmé (art. 7 du RDG) mais l’évolution des choses comme l’actualité récente va certainement donner plus d’importance à deux autres : « Le militaire peut individuellement saisir de propositions visant à améliorer les conditions d’exécution du service » et « Quand il constate qu’il est matériellement impossible d’exécuter un ordre, il en rend compte sans délai » (art. 11 et 7 du RDG).

Dans la tragique embuscade afghane, on a lu et entendu diverses accusations relatives au défaut de préparation et d’équipement des troupes ;si ces faits sont avérés et que les responsables sur le terrain plaident cette insuffisance de moyens, est-il exclu qu’on leur demande quand et sous quelle forme ils en ont averti leur commandement.

Ceux, civils ou militaires, qui se sont élevés contre la démarche de Surcouf au cri « un militaire ça ferme sa gueule et ça obéit aux ordres » ont certainement en tête une époque où il ne serait venu à personne l’idée de reprocher à un subordonné cette absence de réaction préalable. Au contraire, a-t-on jamais vu un décideur accueillir avec sérénité l’annonce ou la démonstration anticipée de l’échec de ses décisions ?

Ajoutons qu’entre « rendre compte sans délai de l’impossibilité d’exécuter un ordre » et refuser de l’exécuter, il n’y pas un grand pas qui aurait été franchi, début octobre, par une unité néerlandaise en Afghanistan.

Souhaitons que cela n’arrive pas en France mais que le législateur ne se voile pas la face, on ne peut vouloir rendre, éventuellement, les exécutants responsables de l’exécution des ordres reçus tout en continuant à leur interdire toute forme de discussion. N’oublions pas que si le RDG, que les militaires de 60 ans et plus ont connu, exigeait que les ordres soient « exécutés littéralement sans hésitation ni murmure », la suite de la phrase était «, l’autorité qui les donne est responsable et la réclamation n’est permise au subordonné que lorsqu’il a obéi ».

Comment imaginer que ce changement de libellé est anodin et sans conséquences pratiques ?

Loyalisme, honneur et pétition

Dans ces propos au Figaro du 13 juillet 2008, le ministre de la Défense rappelle que le droit d’expression des militaires « est encadré par deux obligations : le devoir de réserve et l’obligation de loyauté. » On reviendra sur le devoir de réserve mais concernant l’utilisation du terme « loyauté » à la place du loyalisme (…), on n’y verra qu’un simple lapsus dans la mesure où les termes sont proches même si la loyauté se rapporte plutôt au principe de fidélité à une personne alors que le loyalisme s’envisage davantage par rapport à un système gouvernemental.

S’agissant de l’honneur, on peut penser que beaucoup n’associeront pas cette qualité avec le fait de s’exprimer de façon anonyme même si la déclaration du journal indiquant que le groupe des militaires est « tenu à l’anonymat » s’apparente plus à un coup de marketing éditorial qu’à une évidence légale ; deux jours après la parution de l’article en cause, le ministre de la Défense débattait du Livre Blanc, ainsi que de Surcouf, sur la chaîne parlementaire avec deux généraux parfaitement identifiés.

L’autre point précis pouvant être reproché aux intervenants est celui d’avoir signé un papier collectif en infraction avec l’art. 11 du RDG. Mais là encore, si ce papier avait été signé par le seul général Durand ou Dupont, quel écho aurait-il eu ? Pour preuve, quelles réactions à l’article « Menace sur notre capacité militaire » du général Thomann paru dans Le Monde du 13 mai 2008 ?

Le devoir de réserve

Sans vouloir jouer sur les mots, notons d’abord que cette expression, ou sa sœur « l’obligation de réserve », est en quelque sorte l’Arlésienne des textes législatifs car si on la cite souvent, on ne la trouve dans aucune loi. Seul, un décret l’utilise « Les fonctionnaires de police peuvent s’exprimer librement dans les limites résultant de l’obligation de réserve à laquelle ils sont tenus et des règles relatives à la discrétion et au secret professionnels. » On note en la circonstance que réserve, discrétion et secret professionnel sont des notions non confondues.

Pour les militaires, le statut (…) évoque « la réserve exigée par l’état militaire » et le RDG demande de « faire preuve de réserve ». Le statut des magistrats (Art. 10), de même, leur interdit « toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions. » Pour sa part, la loi citée en note 5 ne fait état d’aucune « réserve » demandée aux fonctionnaires « classiques ».

Pour autant, des fonctionnaires sont régulièrement sanctionnés pour ne pas avoir été suffisamment «réservés ».

Si on se réfère à un site officiel, on lit que : «  L’obligation de réserve est une construction jurisprudentielle complexe qui varie d’intensité en fonction de critères divers (place du fonctionnaire dans la hiérarchie, circonstances dans lesquelles il s’est exprimé, modalités et formes de cette expression). C’est ainsi que le Conseil d’État a jugé de manière constante que l’obligation de réserve est particulièrement forte pour les titulaires de hautes fonctions administratives en tant qu’ils sont directement concernés par l’exécution de la politique gouvernementale. A l’inverse, les fonctionnaires investis d’un mandat politique ou de responsabilités syndicales disposent d’une plus grande liberté d’expression. . »

En effet, il apparaît, de façon paradoxale, que la seule manière de savoir, juridiquement, si un fonctionnaire a outrepassé les « limites de sa réserve » ~ est que sa hiérarchie le sanctionne et qu’il intente ensuite une action en Conseil d’État.

Peut-être existe-t-il des études approfondies sur la jurisprudence en la matière mais à défaut de les connaître, un rapide détour vers le site du Conseil semble indiquer que bien des cas sur lesquels cette juridiction doit statuer sont caractérisés par l’outrance des propos ou des comportements sanctionnés. De ce fait, elle donne souvent raison à la hiérarchie. Il lui arrive cependant de la désavouer… tout en reconnaissant qu’il y a eu manquement à la réserve : « … ces propos, qui ont pu constituer un manquement au devoir de réserve auquel il était tenu, notamment en raison de son rang, des fonctions qu’il exerçait et de l’assistance devant laquelle il s’exprimait, n’ont pas revêtu une gravité de nature à justifier sa non admission dans le corps des officiers de réserve… »

En résumé, l’impression, superficielle certes, qui s’en dégage est bien que « les modalités et forme de cette expression » comptent pour beaucoup dans les arrêts du Conseil. Toutes choses égales par ailleurs, les militaires souhaitant s’exprimer seraient avisés d’en tenir compte.

En guise de conclusion.

Les quelques éléments ci-dessus avaient pour but de montrer que si les positions statutaires et règlements limitent l’expression des militaires, elles limitent tout autant les mesures de rétorsion discrétionnaires pouvant être prises à leur encontre ; à chacun d’en juger au vu des pièces du dossier.

On soulignera cependant le fait que depuis soixante ans l’évolution de la société française tend à faire du militaire un citoyen à part entière, cette évolution est évidemment lente car assujettie au poids des traditions et idées reçues. Concernant le droit d’expression des militaires, elle ne pourra se concrétiser que si lesdits militaires s’appliquent à en user avec détermination. Évidemment il faudra, comme toujours, des premiers pour sortir de la tranchée à leur risques et périls , et une intelligence en accord avec la réserve exigée. En tout cas et contrairement peut-être à ce qu’ils pourraient croire, ou qu’on voudrait leur faire croire, le statut leur laisse, en la matière, une latitude certaine.

Sur le devoir de réserve je noterai dans les propos du général :  

« Sans vouloir jouer sur les mots, notons d’abord que cette expression, ou sa sœur « l’obligation de réserve », est en quelque sorte l’Arlésienne des textes législatifs car si on la cite souvent, on ne la trouve dans aucune loi. »

 il ajoute :

« Pour les militaires, le statut (…) évoque « la réserve exigée par l’état militaire » et le Règlement de Discipline Générale demande de « faire preuve de réserve ».

 Il  poursuit :

« En effet, il apparaît, de façon paradoxale, que la seule manière de savoir, juridiquement, si un fonctionnaire a outrepassé les « limites de sa réserve » ~ est que sa hiérarchie le sanctionne et qu’il intente ensuite une action en Conseil d’État. »

Il conclu par :

« Les quelques éléments ci-dessus avaient pour but de montrer que si les positions statutaires et règlements limitent l’expression des militaires, elles limitent tout autant les mesures de rétorsion discrétionnaires pouvant être prises à leur encontre. (…) Concernant le droit d’expression des militaires, elle ne pourra se concrétiser que si lesdits militaires s’appliquent à en user avec détermination.»

j’en conclus que la question n’est pas juridique. C’est en réalité un rapport de force entre le Politique et le Soldat. D’un côté comme de l’autre les mentalités doivent désormais changer, l’époque y est favorable.

Le Politique tentera bien entendu d’invoquer le loyalisme auquel est tenu l’agent public (fonctionnaire ou militaire) mais ce loyalisme est dû à la Nation et ne doit pas être entendu comme une loyauté qui serait due à la personne (élus ou autorités supérieures).

Ronald Guillaumont

Liberté de penser2

 

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