Brigade des mineurs. Trois jours dans l’horreur ordinaire

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Les policiers de la brigade des mineurs entendent, chaque jour, les détails des comportements les plus déviants de la nature humaine. (Photo Claude Prigent)

Ils sont six policiers chevronnés, chez « les mineurs », au commissariat de Brest. Cette brigade de la Sûreté départementale, qui en réalité traite des affaires concernant les victimes mineures et bien au-delà, abat un travail d’investigation souvent méconnu mais pourtant considérable. Particulièrement depuis deux ans, alors que les crimes et les délits, en matière d’atteintes sexuelles notamment, explosent.

Lundi, 8 heures, bureau d’Isabelle. La semaine commence, Isabelle est de « flag ». C’est elle qui, aujourd’hui, reçoit les victimes qui se présenteront au service ou qui y seront aiguillées par l’accueil. Ce matin, une jeune femme semble cette fois décidée à porter plainte. Les faits de violences conjugales qu’elle dénonce remontent au 12 janvier, elle a déjà déposé une main courante le 3 mai. Mais cette fois, elle n’en peut plus. « C’est pour ma fille que je fais ça, la petite, elle a tout vu, quand il m’a frappée dans le couloir de l’immeuble, et puis quand, après… ». Les mots manquent. Elle se cache pour pleurer. Trop d’alcool, trop de médicaments, une rupture qui ne se dit pas franchement, et une fragilité latente.

Lundi, 10 h 30, bureau d’Arnaud. L’enquêteur enclenche la webcam en direction d’un jeune homme de 17 ans. Il vient d’être placé en garde à vue, parce qu’une jeune fille, 17 ans elle aussi, affirme qu’il l’a violée, un samedi après-midi, non loin du centre commercial du Phare de l’Europe. Alors que l’enquêteur lui présente une photo de sa victime, le jeune homme tombe des nues, et jure ne l’avoir jamais vue. « Cet après-midi-là, j’étais à la salle de sport ! » « Et qui peut en témoigner ? », interroge l’OPJ sans agressivité. « Mon éducateur ! ». Le lycéen, qui doit passer son CAP le lendemain, redescend en geôle. Il a peur. « Vous savez, moi je ne suis pas pour ou contre vous, moi je cherche juste la vérité ». Arnaud vérifie, appelle. L’éducateur confirme. Le colocataire aussi. Ça se complique.

14 h, bureau de Katell. « Madame, si ce n’est pas vous, qui est-ce que ça pourrait être ? » L’enquêtrice a reçu un signalement : plusieurs centaines d’images pédopornographiques ont été téléchargées et consultées à Brest, il y a plusieurs mois, depuis l’adresse internet d’un ordinateur appartenant à une jeune mère de famille. Elle a dû « se farcir » l’intégralité des publications… Et Katell espérait tenir un coupable mais apparemment, ce n’est pas la propriétaire de l’adresse IP. « Peut-être un de ses amis ? », interroge Katell. « L’immense majorité des auteurs de ce genre de photos sont des hommes, souvent très bien insérés socialement. Ils ont l’impression que ces images sont virtuelles mais nous, on leur explique que ces gamins nus à qui l’on fait des choses horribles sont de vrais enfants, exploités quelque part sur terre… Lorsqu’ils en prennent conscience, on en voit certains s’effondrer et pleurer comme des enfants »

« Papa, il me tapait, il me mettait la tête sous l’eau quand je prenais mon bain, je ne pouvais plus respirer ».

14 h 30, bureau d’Arnaud. Le violeur présumé est confronté à sa victime. Elle tremble et campe sur sa position. Lui aussi : il n’a jamais vu cette jeune femme « de sa vie », il le jure « sur Dieu ». La confrontation n’apporte pas grand-chose. « Il faudra vérifier les appels téléphoniques, le bornage, et envoyer la petite culotte à l’ADN »… Avec un retour des analyses à durée variable. Arnaud sait que ce dossier risque de prendre du temps. Éric, un de ses collègues, part avec Isabelle dans l’appartement où aurait eu lieu le viol, prendre des photos.

Mardi, 10 h, bureau de Solenne. « Ne cherche pas les mots compliqués, parle avec tes mots à toi ». Dans son joli survêtement rose, la petite fille sourit avec candeur en regardant une photo de zèbre postée au mur. « Ben moi, j’appelle ça une chatte, quoi ! » Le mot fait se soulever le sourcil de l’enquêtrice. Il faut rester neutre. Ce matin, elle reçoit cette enfant, même pas 10 ans, qui a été placée dans un foyer. « Papa, il me tapait, il me mettait la tête sous l’eau quand je prenais mon bain, je ne pouvais plus respirer ». Une fois, aussi, il l’aurait forcée à regarder un film porno. Et depuis qu’elle a été placée, elle reproduit des comportements sexuels très suggestifs avec ses camarades. Un signalement a été établi. « Il va falloir entendre tout le monde… »

« Il dit qu’il a la phobie scolaire, mais il n’a pas la phobie de Fortnite… »

16 h, bureau de Solenne. Il a à peine un peu de moustache au-dessus de la lèvre. « Mais ce copain, vous lui avez arraché son caleçon, dans les vestiaires ? » Une enquête est en cours : un élève d’un lycée brestois est accusé d’avoir harcelé, pendant plusieurs mois, certains de ses camarades. La direction l’a évincé, par prudence. « Depuis qu’il n’est plus là, ça se passe mieux », lâche le lycéen. « Moi, il m’a laissé tranquille, mais il s’attaquait aux plus faibles… » Le cyberharcèlement, les faits de violences scolaires : on traite ça aussi, chez les mineurs.

Mercredi, 15 h, bureau d’Isabelle. « Il dit qu’il a la phobie scolaire, mais moi je vous dis qu’il n’a pas la phobie de Fortnite ! », soupire ce père de famille. Séparé de la mère de ses deux enfants, il a été convoqué parce que son fils, qui ne sort pas du domicile de sa mère, ne s’est pas présenté au collège depuis septembre 2018. « Vous êtes responsable à 50 % de cette situation, puisqu’aucun jugement ne statue véritablement sur la garde des enfants ». La policière interroge en douceur. « Bon, forcément, il veut rester avec sa mère, parce qu’elle a un cancer et qu’il a peur de la perdre. Mais vous comprenez, elle comme moi, on n’a pas les moyens intellectuels pour lui faire l’école… »
Source :  Le Télégramme

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