Violences policières : quand la préfecture de police caviarde un passage de la lettre du préfet Grimaud

1221837-checknews-mai-1968-maurice-grimaudLe préfet de police Maurice Grimaud (c) inspecte, le 08 mai 1968, les forces de l’ordre stationnées au Quartier Latin à Paris en prévision de violentes manifestations estudiantines. (Photo by ARCHIVES / AFP) AFP

En mai 68, le préfet de police de Paris, Maurice Grimaud, écrit une lettre aux policiers, avec une phrase restée célèbre : «Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même». Un passage curieusement supprimé dans la reproduction de la lettre qui a été faite, en mai 2018, dans la revue de la préfecture de police, «Liaisons».

Question posée le 24/05/2019

Bonjour,

Nous avons raccourci votre question, qui était à l’origine : «Est-il exact que la préfecture de Police a publié dans sa revue Liaison en 2018 une version tronquée de la lettre du Préfet Grimaud en 1968, supprimant un passage important?» 

Vous faites référence à la lettre du préfet de police Maurice Grimaud, préfet de police de Paris, écrite aux policiers pendant les manifestations de mai 68. Dans cette lettre, il appelait notamment les forces de l’ordre à faire preuve de maîtrise, face aux manifestants les plus violents, dans ce passage resté célèbre : «Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même».

Voici l’extrait in extenso :

«Je comprends que lorsque des hommes ainsi assaillis pendant de longs moments reçoivent l’ordre de dégager la rue, leur action soit souvent violente. Mais là où nous devons bien être tous d’accord, c’est que, passé le choc inévitable du contact avec des manifestants agressifs qu’il s’agit de repousser, les hommes d’ordre que vous êtes doivent aussitôt reprendre toute leur maîtrise», écrivait-il. Ajoutant, notamment : «Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés».

Dans cette lettre publiée le 29 mai 1968 dans le journal Le Monde, il concluait : «Je sais les épreuves que connaissent beaucoup d’entre vous. Je sais votre amertume devant les réflexions désobligeantes ou les brimades qui s’adressent à vous ou à votre famille, mais la seule façon de redresser cet état d’esprit déplorable d’une partie de la population, c’est de vous montrer constamment sous votre vrai visage et de faire une guerre impitoyable à tous ceux, heureusement très peu nombreux, qui par leurs actes inconsidérés accréditeraient précisément cette image déplaisante que l’on cherche à donner de nous.»

Pourquoi en reparlons-nous aujourd’hui ? Parce que la lettre du préfet Grimaud a ressurgi récemment sur Twitter, où plusieurs internautes ont fait le parallèle entre mai 68 et le mouvement des gilets jaunes, estimant qu’en 2019 le discours de la préfecture de police de Paris était nettement moins apaisant.

Caviardage

Rebondissant sur cette conversation, le journaliste David Dufresne, à l’origine de «Allo Place Beauvau», a fait remarquer qu’un paragraphe de cette lettre, écrite en 68, manquait dans la reproduction qui en avait été faite en mai 2018, dans la revue «Liaisons», le magazine de la préfecture de police de Paris. Ce que CheckNews a pu vérifier en téléchargeant le magazine.

Lequel ? Précisément celui où le préfet écrit : «Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés.»

Capture d’écran 2019-05-31 à 02.16.00

Alors que la polémique sur les violences policières n’en finit pas d’enfler, les internautes se sont amusés de ce caviardage, intervenu six mois avant le début du mouvement des gilets jaunes.

Contactée, la préfecture de police de Paris n’a, pour l’heure, pas répondu à nos sollicitations.

Bien cordialement

Robin Andraca

Source : Libération

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *