Retour vers la Guerre froide ?
Le dossier ukrainien continue d’attiser les tensions dans des proportions difficilement compréhensibles entre la Russie et les Occidentaux, au point qu’on pourrait croire à un retour en force de la Guerre froide qui a opposé pendant plusieurs décennies le bloc de l’Est au bloc de l’Ouest. A quoi riment, en effet, cette dramatisation de la situation et cette hystérie alimentées par des déclarations fracassantes et alarmistes des Etats-Unis sur une invasion russe à très court terme ? Pourquoi la majorité des médias français reprend le ton alarmiste américain comme des informations vérifiées (qu’en disent d’ailleurs nos propres services de renseignement ?) alors que le président ukrainien, M. Zelensky, tente de calmer les esprits en demandant aux Etats-Unis de fournir des preuves tout en appelant à ce qu’on arrête d’affoler les populations ? Quelles sont en fait les véritables motivations des Etats-Unis ? N’entretiennent-ils pas et n’alimentent-ils pas ce qui est en réalité une guerre civile entre l’armée ukrainienne et les séparatistes du Donbass (région orientale de l’Ukraine dans laquelle Kiev affronte des séparatistes soutenus par la Russie) dans le but de provoquer l’intervention russe ? Enfin, que penser du déplacement du président de la République à Moscou et à Kiev ?
Tout d’abord, il faut bien comprendre que la situation actuelle s’inscrit dans la continuation des huit dernières années de crise entre Kiev et Moscou marquées par la guerre du Donbass et l’annexion de la Crimée. Faut-il cependant rappeler que le régime ukrainien actuel est né du coup d’Etat de Maïdan orchestré par les Etats-Unis et soutenu par l’OTAN et l’UE ? Pourquoi en est-on arrivé là et pourquoi n’y aura-t-il pas de retour en arrière notamment pour la Crimée, même si les Etats-Unis refusent de reconnaître cette annexion, suivis en cela par l’OTAN et l’UE ? Ces derniers sont-ils prêts à franchir la ligne rouge posée par Moscou ? Car la Russie n’acceptera pas que l’Ukraine rejoigne l’OTAN.
En premier lieu, sur le plan historique, même si les Tatars ont été les premiers à habiter la Crimée, il faut reconnaître que le cœur de cette dernière bat pour la Russie depuis trois siècles. Il faut, en effet, rappeler que les Tatars, musulmans sunnites aux mœurs barbares, ont fait régner la terreur jusqu’au XVIIIème siècle, réussissant même à brûler Moscou en 1571. Vassaux de l’empire ottoman, ils ont été battus, deux siècles plus tard, à l’issue de la guerre russo-turque de1768-1774, et la Crimée est alors devenue russe. Catherine II mettait ainsi fin à l’existence du royaume de Crimée, province ottomane. Il faut également rappeler qu’en 1918, après la révolution, la Russie devient la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) et qu’en 1922 est créée l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), État fédéral qui organise la répartition territoriale des pays et régions qui adhèrent à cette union. La République socialiste soviétique d’Ukraine (RSSU) et la République socialiste soviétique autonome de Crimée (RSSA de Crimée) en font partie. Cette dernière devient d’abord une subdivision territoriale de la Russie (RSFSR) et ce n’est qu’en 1954, qu’à l’occasion du tricentenaire de l’union de la Russie et de l’Ukraine, Nikita Khrouchtchev, qui était ukrainien, « offre « cette région à l’Ukraine (RSSU). Après la dislocation de l’Union soviétique (URSS), le Conseil suprême de Crimée proclame en 1992 la République de Crimée qui deviendra ultérieurement la République autonome de Crimée. Il faut rappeler, par ailleurs, qu’elle abrite l’ex-flotte soviétique de la Mer Noire. Enfin, le résultat c’est qu’aujourd’hui, après tous les bouleversements qui ont marqué l’histoire de cette région du monde et qui ont eu des conséquences sur le plan démographique, la population de la Crimée est majoritairement russe. Il n’y aura donc pas de retour en arrière en ce qui concerne la Crimée.
En deuxième lieu, sur le plan géopolitique, la Guerre froide a opposé pendant près d’un demi-siècle le bloc de l’Ouest (OTAN = États-Unis + Canada + Europe de l’Ouest sauf les pays neutres + Turquie) à celui de l’Est (Pacte de Varsovie = ex-URSS + pays satellites Europe de l’Est c’est à dire Allemagne de l’Est, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie). Elle a été définitivement perdue, sans combat, par le Pacte de Varsovie et donc par la Russie, il y a à peine une trentaine d’années, entraînant d’ailleurs la dislocation de l’URSS et la fin du communisme. La conséquence directe a été la dissolution du Pacte de Varsovie avec le rapatriement des forces russes stationnées dans les quatre pays satellites qui constituaient la Zone Satellite Avancée (ZSA). En toute logique, l’OTAN, alliance défensive, aurait dû être dissoute les raisons de son existence ayant disparu. On sait que, sous la pression des États-Unis, non seulement cela n’a pas été fait mais l’OTAN s’est même étendue vers l’Est en intégrant les anciens satellites de la Russie ainsi que les Pays Baltes qui ont rejoint l’Union européenne. Tout observateur neutre peut comprendre que non seulement la Russie a perdu son influence sur ses anciens satellites mais que l’OTAN a avancé ses pions vers l’Est et est aujourd’hui à ses portes. Objectivement, ce serait donc plutôt l’OTAN sous la houlette des Etats-Unis qui menace la Russie et non l’inverse. Par ailleurs, l’Ukraine a été ruinée par les oligarques qui ont dirigé ce pays depuis de nombreuses années et des tensions existent entre une partie de la population traditionnellement tournée vers la Russie et une autre sensible aux sirènes de l’Union européenne ce que Moscou ne peut pas admettre. De plus, l’Ukraine constitue l’âme et le berceau de la Russie. Enfin, parmi les mesures ou décisions prises par les États-Unis et la plupart des pays européens dans le conflit des Balkans, il y en a une que la Russie n’a pas oubliée et qui constitue une carte qu’elle a conservée et dont elle s’est servie pour la Crimée : l’indépendance autoproclamée du Kosovo par les Kosovars albanais soutenue – et on peut même dire, voulue – par les États-Unis, suivie de sa reconnaissance par une grande partie des pays européens et notamment la France, alors qu’ils s’agissait du cœur historique de la Serbie. Vladimir Poutine qui rêve du retour d’une nouvelle grande Russie sur la scène internationale a eu beau jeu de dénoncer un « deux poids, deux mesures « et de rappeler aux responsables politiques américains et européens, grands défenseurs du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et qui se sont offusqués du choix de la Crimée exprimé par référendum, leur hypocrisie et leur inconséquence. Il n’y aura donc pas de retour en arrière. C’est une certitude.
En troisième lieu, s’agissant de l’OTAN, il faut rappeler que ce qui lie ses membres est constitué par l’article 5 de sa Charte qui stipule que si un pays de l’OTAN est victime d’une attaque armée, chaque membre de l’Alliance considère cet acte de violence comme une attaque armée dirigée contre l’ensemble des membres et prend les mesures qu’il juge nécessaires pour venir en aide au pays attaqué. Or, il faut bien admettre que depuis la fin de la Guerre froide, sous l’impulsion et la volonté des Etats-Unis, l’OTAN a changé de nature passant d’une conception défensive à une conception offensive et agressive. Son engagement dans des opérations militaires offensives en ex-Yougoslavie en bombardant, en 1995, la Serbie qui n’avait attaqué aucun membre de l’OTAN traduit la première dérive engagée qui a conduit à bien d’autres, jusqu’à aujourd’hui avec l’Ukraine. Cette dérive est d’autant plus incompréhensible et condamnable que la raison de l’existence même de l’OTAN (la menace de l’ex-URSS et du Pacte de Varsovie exercée sur l’Europe de l’Ouest) a disparu. Ce faisant, sur le dossier de l’Ukraine, l’OTAN – et de fait les Etats-Unis qui s’en servent dans le contentieux Ukraine-Russie – a en réalité beaucoup à perdre. En effet, en incitant Kiev à harceler et à bombarder le Donbass, en attisant les dissensions par la poursuite de déclarations intempestives dans le but de provoquer l’intervention de la Russie, l’OTAN pourrait bien, dans ce cas, être victime de sa propre démarche guerrière et perdre toute crédibilité ce qui lui serait fatal. Car on ne voit pas comment elle pourrait venir en aide à Kiev puisque l’article 5 ne permet d’invoquer la défense collective que pour les membres de l’OTAN, ce qui n’est pas le cas de l’Ukraine. En utilisant finement sur le plan médiatique cet exercice militaire près de sa frontière avec l’Ukraine, Vladimir Poutine, agacé par la volonté de l’OTAN de poursuivre son extension à l’Est en y admettant ce pays frontalier de la Russie, a tendu un piège dans lequel l’OTAN semble s’être engouffrée. Dans ce bras de fer, le président russe compte bien démontrer l’impuissance de l’OTAN en obtenant que l’Ukraine n’entre pas dans l’OTAN (casus belli) et en dissuadant l’Alliance d’intervenir si la Russie estimait nécessaire de franchir sa frontière. La Russie n’est pas la Serbie. Finalement, du président américain ou du président russe, c’est ce dernier qui semble maître des horloges et de la situation.
En quatrième lieu, on ne peut pas ne pas évoquer l’activisme du président de la République, la France présidant l’UE dans un contexte marqué par la campagne de l’élection présidentielle. Une première remarque s’invite pour rappeler une crise similaire opposant la Russie à la Géorgie en 2008. L’intervention du président français, M. Sarkozy, avait permis de dégeler une situation critique. Il avait été admis que la Géorgie n’intègrerait pas l’OTAN. Est-il si difficile d’admettre la même chose aujourd’hui, car objectivement ne sommes-nous pas en présence d’une provocation du côté OTAN et d’une exigence légitime du côté russe ? Ensuite, lors de ses entretiens avec les présidents russe et ukrainien, les 7 et 8 février, le président de la République parlait-il au nom de la France, de l’UE, des Etats-Unis ou de l’OTAN, après un contact téléphonique avec le président américain, la veille de son départ à Moscou et avant sa rencontre avec le chancelier allemand lui-même de retour des Etats-Unis ? Sur la forme, M. Poutine n’a rien laissé au hasard dans l’organisation de cet entretien pour montrer l’importance qu’il attache à servir les intérêts de la Russie qu’il considère agressée aujourd’hui et pour manifester son agacement : absence d’accueil à l’aéroport, attente de M. Macron au bout d’une longue table dans un décor glacial, conférence de presse séparant les deux présidents de plusieurs mètres, sortie de la salle dans les mêmes conditions, le président russe n’attendant pas son homologue français. Sur le fond, la durée de l’entretien (près de six heures) révèle l’énorme difficulté pour obtenir de la Russie des concessions, évoquées par M. Macron avec le président ukrainien mais démenties par le Kremlin. Lier le problème de la sécurité du continent européen à la posture considérée menaçante de la Russie aux frontières de l’Ukraine n’était certainement pas judicieux dans un dialogue visant la désescalade. La Russie n’a donc probablement rien cédé au cours de cet entretien. Sur la rencontre avec le président ukrainien, il en ressort que l’Ukraine a perdu le contrôle du jeu diplomatique qui se joue sur son territoire. Il faut tout de même rappeler que les opérations militaires lancées par l’armée ukrainienne ne sont pas engagées contre une armée étrangère mais contre une partie de sa population, en situation de sécession aujourd’hui. C’est d’une guerre civile qu’il s’agit avec des milliers de morts civils. En avalisant la politique du pire et en se soumettant à la rhétorique guerrière des Etats-Unis et de l’OTAN, le régime ukrainien pourrait lui-même provoquer, à ses dépens, l’entrée des troupes russes dans le Donbass pour y protéger des populations russophones. Les Etats-Unis, l’OTAN et l’UE protesteront alors et condamneront mais ne s’engageront pas militairement. M. Poutine réussira ainsi à démontrer l’impuissance de l’OTAN et sa perte de crédibilité. Ce scénario conduirait probablement la Russie à occuper cette région puis à l’annexer.
Cette crise sérieuse découle en fait de la révolution de Maïdan orchestrée par les Etats-Unis, il y a huit ans. La Guerre froide étant terminée depuis une trentaine d’années, ils n’ont pas changé de logiciel, la Russie représentant toujours l’ennemi. Il leur faut donc créer un nouveau climat de guerre froide et l’extension de l’OTAN constitue un instrument à leur service. La question légitime qui se pose maintenant est celle-ci : pourquoi cette provocation et cette escalade médiatique très dangereuses alors que la Russie ne cesse de rappeler qu’elle n’a pas envie d’attaquer l’Ukraine ? La France doit à présent rapidement déclarer qu’elle s’oppose à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN et convaincre ses partenaires européens à faire de même. Ce serait un signal fort pour l’amorce d’une désescalade.
Le 20 février 2022 Général (2s) Antoine MARTINEZ
candidat à la Présidence de la République
© 2024 Profession Gendarme
Laisser un commentaire