Pour Alain Juppé, « un militaire, c’est comme un ministre : ça ferme sa gueule ou ça s’en va »
Le propos est pour le moins brutal : devant les étudiants de Science Po Bordeaux, le 25 avril, Alain Juppé, candidat à la primaire de la droite et du centre en vue de l’élection présidentielle de 2017, n’est en effet pas allé par quatre chemin en évoquant le sort du général Bertrand Soubelet, qui vient d’être relevé de ses fonction de commandant de la gendarmerie d’outre-Mer (CGOM) après avoir écrit un livre (à succès) dans lequel il dresse un état des lieux du système judiciaire français.Pour rappel, le général Soubelet,fit parler de lui lors d’une audition devant une commission parlementaire en décembre 2013. Ses propos, tenus sans langue de bois, lui valurent d’être affecté au CGOM alors qu’il était le numéro trois de la Gendarmerie depuis quelques mois.
Mais pour l’ancien Premier ministre du président Chirac, le général Soubelet est allé trop loin. « Un militaire, c’est comme un ministre : ça ferme sa gueule ou ça s’en va », a-t-il ainsi lancé, rapporte Le Figaro. « Si on laisse à chaque militaire la possibilité de critiquer les gouvernements, il n’y a plus de gouvernement », a-t-il ajouté. Des mots qui rejoignent ceux prononcés par le maréchal Mac Mahon, 3e président de la République : « Je rayerai du tableau d’avancement tout officier dont je verrai le nom sur une couverture », avait-il dit.
Au passage, le général Soubelet affirme que son livre « ne met en cause ni le gouvernement ni (ses) supérieurs ». Mais les propos de M. Juppé dépassent le cas de ce dernier.
Se réclamant du général de Gaulle, M. Juppé ne doit pas ignorer que le chef de la France Libre fit quelques vagues au moment de la publication, en 1934, de son livre intitulé « Vers l’armée de métier
Les positions qu’il défendait alors allaient à l’encontre de la doxa de l’époque. Et si elles suscitèrent l’adhésion de quelques personnalités politiques en vue, elles rencontrèrent aussi une forte opposition chez Léon Blum, Édouard Daladier ou encore André Tardieu. Même chose dans le milieu militaire, où le maréchal Pétain ainsi que les généraux Weygand et Gamelin ne firent pas mystère de leur hostilité aux thèses développées par le colonel de Gaulle.
Dans son livre « De Gaulle expliqué aujourd’hui
« , Marc Ferro résume : « Son ouvrage, ‘Vers l’armée de métier’, heurte les politiques et les militaires qui le jugent contraire à la tradition républicaine, à l’esprit de Verdun, cette victoire de simple soldats, la veille encore des civils. »Cependant, M. Juppé, qui a également été ministre de la Défense, a admis que « tous les militaires ont le droit de penser ». Mais, a-t-il poursuivi, « il y a quand même des limites à ne pas dépasser ». Certes, le général Soubelet n’est pas le colonel de Gaulle de 1934… Mais il s’exprime dans le domaine qui est le sien.
Reste à voir quelles sont les limites évoquées par M. Juppé, qui, en janvier 2011, donna pourtant mandat aux stagiaires de l’École de guerre de « construire des hypothèses crédibles et concrètes, d’élaborer les réponses doctrinales et capacitaires qui fonderont les choix de défense essentiels que les militaire ont le devoir de proposer aux plus hautes autorités politiques de notre pays. »
Les militaires sont astreints au devoir de réserve, c’est à dire qu’ils n’ont pas à exprimer leurs opinions philosophiques, religieuses ou politiques. Sur ce dernier point, tout est question de nuance. Par exemple, déplorer qu’il ait fallu attendre autant de temps pour commander de nouveaux avions ravitailleurs afin de remplacer ceux qui sont en service depuis 50 ans, est-ce exprimer un constat ou critiquer le pouvoir politique?
Pour y voir plus clair, l’association professionnelle nationale de militaires GEND XXI a sollicité le président de la République pour mettre en place une « commission constituée de militaires de la haute hiérarchie, de membres d’APNM, mais aussi de personnalités de la société civile qui permettrait des évolutions encadrées du devoir de réserve des militaires. »
« Dans une société de plus en plus informée, à travers les médias et les réseaux sociaux, les militaires ne veulent pas se sentir en marge. Leur désir de pouvoir participer aux débats publics est important et largement soutenu par la population civile de notre pays », fait valoir GEND XXI.
« Soutenir la Nation, c’est soutenir l’expression de ses différents corps. Si l’un vient à manquer, c’est tout l’édifice qui devient bancal. A ce titre, le corps social militaire, ses élites en particulier, ont le devoir – et doivent avoir le droit – de faire valoir leurs points de vue, car ils appartiennent à la Nation au moins autant qu’à l’État », estimait, en 2011, le général (2S) Vincent Desportes, par ailleurs réprimandé pour sa liberté de ton lors d’un entretien accordé au journal Le Monde par Hervé Morin, alors ministre de la Défense.
Source : Opex 360
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