Perquisition avortée chez Mediapart: à quoi joue le parquet?

Mediapart dénonce « un habillage juridique qui n’a qu’une seule fin : trouver les sources de Mediapart et les tarir. »

FRANCE-POLITICS-MEDIA-BENALLAEdwy Plenel et Fabrice Arfi de Mediapart ont tous deux dénoncé la perquisition ordonnée par le parquet après la publication de l’enquête sur Alexandre Benalla.

POLITIQUE – Après la consternation, le questionnement. Ce lundi 4 février, le site d’investigation Mediapart a refusé d’autoriser la perquisition de ses locaux où s’étaient présentés dans la matinée deux magistrats du parquet ainsi que des enquêteurs. Leur objectif assumé: mettre la main sur l’enregistrement, très embarrassant pour l’Élysée et diffusé la semaine passée, d’une conversation entre Alexandre Benalla et son comparse Vincent Crase, tous deux mis en examen dans l’affaire des violences du 1er mai. Faute d’un mandat du juge des libertés et de la détention (JLD), les magistrats ont dû rebrousser chemin. Pour le moment.

Tant dans l’opposition de gauche et de droite que chez les défenseurs de la liberté de la presse, cette tentative de perquisition avortée a été unanimement condamnée comme une atteinte au secret des sources journalistiques, pourtant protégé par la loi.

Cette perquisition « est une manœuvre, un habillage juridique qui n’a qu’une seule fin : trouver les sources de Mediapart et les tarir! », a ainsi dénoncé Fabrice Arfi, co-responsable des enquêtes du journal en ligne, lors d’une conférence de presse au siège de Mediapart. « Nous avons révélé des faits d’intérêt public. Nous n’avons commis aucun délit », a renchéri Edwy Plenel, président et cofondateur du média en ligne, s’insurgeant que « le procureur de la République de Paris -choisi par Emmanuel Macron lui-même- n’ait d’autre urgence que de faire cet acte violent et rarissime de venir perquisitionner un journal ».

Des perquisitions très rares dans la presse

De fait, le rôle joué par le parquet dans cet incident apparaît troublant à plus d’un titre. Mediapart n’est certes pas le premier média à faire l’objet de perquisitions ou de tentatives de perquisitions. Mais ces procédures, rarissimes dans un pays où la liberté de la presse est sanctuarisée depuis la loi du 29 juillet 1881, n’en demeurent pas moins hautement sensibles, surtout quand elles interviennent dans des affaires impliquant directement le pouvoir.

En 2007, un magistrat avait par exemple tenté de perquisitionner Le Canard enchaîné, dans le cadre d’une procédure pour « violation du secret de l’instruction » concernant l’affaire Clearstream. Les journalistes avaient alors refusé de lui donner les clés permettant d’ouvrir la salle de rédaction.

S’agissant de Mediapart, les dirigeants du site s’interrogent ouvertement sur le zèle du parquet à vouloir pénétrer dans les locaux d’un média, suite à une enquête pouvant gêner le gouvernement. « La volonté du parquet de Paris, soumis hiérarchiquement au pouvoir exécutif, de perquisitionner un journal qui ne fait que son travail – publier des informations vérifiées et d’intérêt général – dans une affaire ouverte en défense des intérêts de Benalla et Crase ne laisse pas de surprendre », pointe le journal.

Était-ce dans le simple but d’obtenir copie de l’enregistrement dévoilé par le site d’investigation et qui place potentiellement Alexandre Benalla et Vincent Crase en infraction de leur contrôle judiciaire? Ce lundi matin, à 9h, peu avant la perquisition, Fabrice Arfi avait pourtant donné son accord au responsable de la police en charge de l’enquête. Nul besoin d’une perquisition donc pour mettre la main sur le fameux enregistrement.

Benalla n’a pas porté plainte pour « atteinte à la vie privée »

La question visant à comprendre ce que les magistrats du parquet espéraient trouver sur place demeure donc entière. Selon une source judiciaire, le parquet a en effet décidé d’ouvrir une enquête préliminaire pour « atteinte à l’intimité de la vie privée » et « détention illicite d’appareils ou de dispositifs techniques de nature à permettre la réalisation d’interception de télécommunications ou de conversations », autrement dit sur les conditions dans lesquelles l’enregistrement de la conversation d’Alexandre Benalla a été réalisé.

L’infraction « d’atteinte à la vie privée » a pu laisser croire que c’était Alexandre Benalla lui-même qui avait porté plainte contre le site d’investigation. Or une source judiciaire citée par 20 Minutes a indiqué par la suite que ni Benalla ni Crase n’étaient à l’origine de l’ouverture de l’enquête. Le parquet a-t-il donc décidé tout seul de s’autosaisir pour défendre le droit à la vie privé de l’ancien adjoint au chef du cabinet du président de la République?

Qui plus est, l’atteinte à la vie privée, relativement courante dans la presse et notamment la presse people, n’est que très rarement sanctionnée par une perquisition. La procédure est jugée suffisamment grave pour que la députée européenne Eva Joly qualifie l’acte judiciaire « d’insensé », l’ancienne juge d’instruction dénonçant même une « action disproportionnée, un dévoiement du droit pénal » et une « atteinte grave au régime dérogatoire de la presse ».

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Des « éléments » fournis par une source mystérieuse

Autre piste, la perquisition pourrait avoir été déclenchée pour la deuxième infraction invoquée par le parquet, à savoir la « détention illicite d’appareils ou de dispositifs techniques de nature à permettre la réalisation d’interception de télécommunications ou de conversation ». Autrement dit, du matériel d’espionnage qui aurait permis de capter illégalement l’échange entre Alexandre Benalla et Vincent Crase.

Dans son enquête publiée la semaine dernière, Mediapart ne précisait pas l’origine ni l’auteur de l’enregistrement qu’il dévoilait, ni comment le site s’était retrouvé en sa possession. Le site d’investigation pointait en revanche l’attitude manifestement désinvolte d’Alexandre Benalla, au risque de « s’attirer l’attention discrète des services de renseignement ».

Une source judiciaire a précisé à l’AFP que l’ouverture de l’enquête préliminaire avait été décidée après la réception par le parquet « d’éléments » portant sur « les conditions d’enregistrement » de la fameuse conversation. Un motif qui pourrait justifier que le parquet se soit autosaisi dans cette affaire. La source judiciaire n’a toutefois pas précisé de qui émanait ces fameux éléments, jugés suffisamment probants pour justifier l’ouverture d’une enquête et précipiter une perquisition dans les locaux d’un média.

Autre élément troublant posé par la perquisition avortée de Mediapart, pourquoi le parquet n’a-t-il pas au préalable effectué une demande de mandat de perquisition au juge des libertés et de la détention (JLD), ce qui lui aurait permis de contraindre la rédaction du site à lui donner accès à ses locaux?

L’empressement des magistrats à agir interroge en tout cas la rédaction du média en ligne pour qui « cette célérité du parquet tranche singulièrement avec sa lenteur et sa mollesse quand, dans le cadre du dossier sur les violences du 1er Mai, le même parquet a mis 48 heures à perquisitionner le domicile de M. Benalla (faute de clé…) et ne s’est pas ému de la disparition, dans l’intervalle, d’une chambre forte appartenant au même Benalla ».

S’ils ne sont exprimés que par sous-entendus par le site d’investigation, ses soupçons se tournent vers le gouvernement. Invoquant la loi de 1881, Edwy Plenel a insisté ce lundi sur « la liberté de la presse en France » qui « n’est pas soumise à autorisation préalable » ni à « des conditions fixées par le pouvoir exécutif ». Cette liberté « est une liberté fondamentale dont le libre exercice est protégé par une justice indépendante, les juges du siège qui sont nos seuls juges », a-t-il rappelé. Manière de renvoyer la balle de l’enquête à venir dans le camp des magistrats du parquet.

Source :  Huffingtonpost.fr 

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