Magistrat stagiaire le jour, pirate informatique la nuit

Un homme de 34 ans, ancien gendarme et doué en informatique, était jugé à Caen pour diverses escroqueries au préjudice de la justice.

De notre correspondant à Caen,

« Je savais bien qu’un jour je serais pris », a reconnu Stéphane*, 34 ans, devant le tribunal correctionnel de Caen. Magistrat stagiaire après plusieurs années dans la gendarmerie, il a utilisé les logiciels internes de la justice, Cassiopée et Chorus, pour une escroquerie inédite.

Ainsi, constatant des contrôles limités sur les honoraires d’expertises réglés par les tribunaux, il « rédigeait » la nuit de fausses procédures, puis inondait les 36 cours d’appel de France de demandes de règlement d’expertises psychiatriques soi-disant réclamées par des procureurs. La cadence était soutenue : jusqu’à deux dossiers par jour pendant six mois en 2017.

Compte bancaire à Malte

Entre 2015 et 2017, les faux dossiers ont rapporté 73 600 euros à celui qui, selon la présidente du tribunal, « consacre ses journées à juger des escroqueries et en commet lui-même la nuit ». L’argent est d’abord versé sur un compte ouvert sous une fausse identité, puis immédiatement viré auprès d’une banque à Malte. Après blanchiment par l’achat de bitcoins, le pirate bien organisé récupère des espèces.

Une greffière de la cour d’appel de Caen, également stagiaire, a découvert le stratagème : le magistrat, qui poursuivait sa formation, a été interpellé à Privas (Ardèche) à son arrivée au tribunal en novembre 2017. Il a passé quatre mois en détention provisoire.

Darknet

En dépit de l’absence d’expertise psychologique, le passé de Stéphane peut-il expliquer son comportement ? Il a été très marqué par le décès d’un cancer de son frère aîné, dont il était très proche. Effondrée, la famille a alors quitté la région parisienne pour la Provence.

Le fils survivant a-t-il voulu satisfaire ses parents ? Après son bac, il intègre la gendarmerie, où il gravit les échelons et devient officier de police judiciaire : il se passionne pour un dossier de cybercriminalité, qui lui ouvre les méandres du darknet. « Pourquoi ne pas avoir rejoint les services spécialisés de la gendarmerie avec vos connaissances en informatique ? » demande la présidente du tribunal lors de l’audience du 22 octobre.

Lire aussi Quand les cybergendarmes patrouillent sur le darkweb

Mais la gendarmerie ne satisfait pas totalement le jeune homme : ayant décroché une licence en droit par correspondance, il est recruté comme magistrat. « Mais, là encore, il est malheureux dans cette vie qui ne lui correspond pas », souligne son avocat, Me Claude Marand-Gombar.

« J’ai pensé trouver une forme de liberté, mais j’ai perdu tout sens de la réalité dans ce monde parallèle », reconnaît le prévenu, qui évoque un mal-être latent. En plus des malversations au détriment de la justice, l’enquête a mis au jour d’autres piratages informatiques et fructueux au préjudice de la Fnac ou d’Amazon.

Argent saisi

Jugé pour escroqueries, blanchiment et prise du nom d’un tiers, le prévenu a été condamné à trois ans de prison, dont dix-huit mois avec sursis. Il devra poursuivre les soins qu’il a entamés.

Les 65 000 euros saisis sur ses comptes permettent presque de rembourser les sommes escroquées. S’y ajoutent 4 727 euros correspondant à la charge supplémentaire de travail dans les cours d’appel pour retrouver la trace de tous les piratages.

* Le prénom a été modifié.

Source : Le Point

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *