Macron et l’audition de Benalla : un chef de l’Etat ne devrait pas faire ça

1126932-000_15h3mmEmmanuel Macron, à Paris mercredi. Photo Philippe Wojazer. AFP

En se plaignant auprès de Gérard Larcher du travail de la commission d’enquête du Sénat, le président de la République démontre davantage sa fébrilité qu’il ne défend, comme il l’affirme, la séparation des pouvoirs. Et ce n’est pas la première fois dans cette affaire.

Un président de la République peut-il, sous couvert de défense de la séparation des pouvoirs, interférer dans le travail d’une commission d’enquête parlementaire en contestant, auprès du président du Sénat, la légitimité de la convocation pour une audition sous serment d’un ancien chargé de mission de l’Elysée, parallèlement mis en examen ? Est-il alors garant des institutions ou s’affranchit-il de ladite séparation des pouvoirs ? Les constitutionnalistes trancheront, mais l’initiative laisse transparaître un sacré agacement et même une réelle fébrilité chez Emmanuel Macron. Qu’aurait dit de cette initiative le candidat En marche et sa «République irréprochable» ?

A la fin du mois de juillet, déjà, l’Elysée était passé à l’offensive, profitant d’être majoritaire au Palais Bourbon pour siffler, sur fond de bras de fer entre les deux corapporteurs, la fin des auditions de la commission d’enquête de l’Assemblée – laquelle ne rendra finalement pas le moindre rapport. A la même période, on se souvient aussi d’Emmanuel Macron faisant applaudir par les députés LREM, lors de leur pot de fin de session parlementaire, la fidélité et l’engagement à ses côtés de Benalla. Ce soir-là depuis la Maison de l’Amérique latine, en leader excité de la majorité plus qu’en garant apaisé des institutions, il avait aussi lancé son fameux «s’ils veulent un responsable, il est devant vous, qu’ils viennent le chercher». Une adresse aux médias comme à la justice et aux oppositions, pouvait-on comprendre. La trêve estivale a ensuite fait son effet et la pression avait fini par retomber.

Mais au Palais du Luxembourg, où LR dispose de la majorité, le scénario est moins contrôlable et la commission d’enquête présidée par Philippe Bas, lui-même ancien secrétaire général de l’Elysée, s’était dès le départ ouvert la possibilité de poursuivre ses travaux durant six mois. Une éternité pour l’Elysée. Il est vrai que la reprise tambour battant de la telenovela Benalla dans une rentrée déjà bien embourbée tombe particulièrement mal, à la veille de la présentation d’un plan pauvreté politiquement stratégique. Quant à son audition, elle interviendra en plein sommet européen majeur pour Macron.

Jérôme Cahuzac

Au départ, Philippe Bas s’était pourtant dit réticent à convoquer Alexandre Benalla pour ne pas gêner le travail judiciaire – précisément l’argument brandi par la ministre de la Justice dès le mois de juillet et encore ces derniers jours, tout comme par le chef de l’Etat dans son échange avec Gérard Larcher rapporté par l’Obs. Le large plan médiatique que l’ancien chargé de mission s’est octroyé fin juillet pour dérouler sa défense a achevé de convaincre le sénateur qu’il était nécessaire qu’il s’explique devant la représentation nationale. Mais chaque fois, le président de la commission d’enquête a souligné que son rôle n’était nullement de juger à la place des juges les faits du 1er mai, mais d’établir une vérité factuelle sur la manière dont a (dys)fonctionné l’appareil d’Etat jusqu’à ses plus hautes sphères.

Parce qu’il est mis en examen, il ne serait pas «sain», pour reprendre le mot de la ministre de la Justice en juillet, que Benalla soit auditionné. Macron l’a répété à Larcher. Et Me Lienard a proposé que son client s’exprime une fois l’instruction close. Le tout au nom du droit, cela va de soi. Comme si le ministre du Budget fraudeur fiscal, Jérôme Cahuzac, mis en examen, n’avait pas été entendu par deux fois en 2013 devant la commission d’enquête qui s’était alors constituée à l’Assemblée. Comme si mercredi, le commissaire de police Maxence Creusat, mis en examen pour avoir remis à Benalla, au soir des révélations du Monde, des images de vidéosurveillance de la place la Contrescarpe le 1er mai, n’avait pas été auditionné au Sénat. Sans que le travail judiciaire en soit sabordé d’une quelconque façon. Et sans que le sommet de l’Etat de ne s’en émeuve en amont.

A minima baroque

Au fond, alors qu’Alexandre Benalla, qui n’avait en fait pas tellement le choix, a fini par dire qu’il se rendrait bien à sa convocation de mercredi prochain tout en dénonçant y être «contraint», l’attitude de l’Elysée comme du chœur macronien donne le sentiment que le Palais craint, plus que tout autre parole dans ce dossier, celle de son ancien de chargé de mission. La façon dont ce dernier a choisi, on l’imagine au minimum avec son avocat, de s’exprimer jusqu’à présent pose d’ailleurs question. Il est pour le moins singulier de choisir une radio, France Inter, comme tribune pour des propos virulents et d’exiger dans le même temps que ceux-ci ne soient pas diffusés mais simplement retranscrits à l’antenne par une journaliste – sans qu’on entende donc la voix de Benalla, son ton et ses possibles emportements. Quand il avait fait, à chaud, le 20 heures de TF1, chacun avait pu constater combien l’interview était montée. Et son entretien au Monde, s’il n’avait pas été relu, avait été sacrément préparé.

Une audition, sous serment et sans avocat, devant des sénateurs qui, pour une bonne partie, chercheront, c’est indéniable, à affaiblir Macron en passant Benalla à la question, sera une toute autre affaire. A fortiori quand on est totalement étranger à ce genre d’exercice, qu’on vient d’avoir 27 ans et qu’on a par avance traité les sénateurs de «petites personnes» sans légitimité et Philippe Bas de «petit marquis». Des propos que Macron n’aurait bien sûr pas cautionnés lors de son échange avec Larcher, mais qui auront certainement fini de l’inquiéter sur cette audition qui s’annonce a minima baroque et possiblement fort néfaste.

Déboires

En juin 2013, auditionné deux heures durant, Jérôme Cahuzac, rompu à la joute verbale et au cadre parlementaire, avait, lui, multiplié les saillies éloquentes tout en se retranchant habilement derrière le secret de l’instruction dès que nécessaire. On imagine bien Benalla invoquer carrément le «secret-défense» pour justifier certains de ses silences. Et on peut compter sur Philippe Bas pour cadrer les débats tout en usant de sa flegmatique pugnacité. Aucune audition de sa commission n’a d’ailleurs fait l’objet pour l’instant de critiques fondées. Mais visiblement, cela ne suffit pas à rassurer l’Elysée, qui affirme que les réponses du directeur de cabinet et du secrétaire général de l’Elysée en juillet se suffisent à elles-mêmes et témoignent de sa collaboration sincère au travail de la commission.

Le pouvoir se serait surtout évité bien des déboires s’il avait pris à chaud, au soir du 1er mai, la mesure des faits. En signalant la sortie de route de son chargé de mission à la justice, plutôt qu’en s’efforçant de régler l’affaire en catimini au Palais. Chacun son rôle, c’est d’abord cela la séparation des pouvoirs. Résultat de ce fiasco : mercredi, le grand oral de Benalla se tiendra en place publique, en direct à la télévision.

Jonathan Bouchet-Petersen

 

Source : Libération

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