Les gendarmes : populaires mais toujours plus agressés

Les premières victimes sont les gendarmes du terrain, ceux des petites brigades territoriales.

LP/Frédéric Dugit

Dans les sondages, les Français disent beaucoup aimer leur police et leur gendarmerie. Mais dans les faits c’est sans doute une autre réalité. L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (Ondrp) a recensé 5684 agressions physiques et verbales contre les «soldats de la loi» sur l’année 2015. Un chiffre qui a augmenté de 15 % en un an. Mais l’autre signe inquiétant est le bond des agressions physiques à l’encontre des gendarmes et s’envole brutalement: 642 faits de plus se sont produits entre 2014 et 2015, ce qui représente une augmentation de 27 %. Et les premières victimes sont les gendarmes du terrain, ceux des petites brigades territoriales. Les plus exposés aussi.

Face à cette évolution, la gendarmerie nationale a son explication : «Nous sommes confrontés à une société plus violente dont la dureté s’accroît et le gendarme est souvent en première ligne. On constate que le gendarme en brigade territoriale concentre plus de 60 % des agressions physiques. C’est lui qui est le plus souvent confronté à cette violence ordinaire du quotidien», décrypte le lieutenant-colonel Karine Lejeune, porte-parole de la gendarmerie. Ils sont 6854 gendarmes volontaires, sous-officiers et officiers à avoir affronté l’agression verbale ou physique.

 

 

 

Des procédures d’intervention  revues

Depuis le drame de Collobrières (Var) la gendarmerie a revu ses procédures d’intervention. Ce 17 juin 2012, dans la soirée, l’adjudant Alicia Champlon, 29 ans, et le maréchal des logis chef, Audrey Berthaut, 35 ans, appelées pour un vol de sac à main, étaient exécutées par Abdallah Boumezaar, délinquant récidiviste et condamné en février 2015 à la perpétuité. Quand elles sont parties depuis la brigade de Cuers, elles ne savaient rien de la dangerosité de cet homme qui, juste avant les faits, avait battu sa mère et fracassé son appartement. Il avait déjà un lourd casier criminel. Désormais, une patrouille qui part sur une intervention pour une rixe ou un incident familial vérifie  si le nom de la personne mise en cause est connu grâce à un outil informatique. Notamment la base départementale de sécurité publique qui permet aux gendarmes de savoir si le suspect présente des signes de danger. Une information utile pour prendre alors toutes les mesures de protection.

 

 

1872 agressions physiques

 

 

Cette violence du quotidien  peut devenir explosive, comme ce fut le cas à Roye (Somme) en août 2015 lorsque le major Laurent Pruvot, 44 ans, du peloton autoroutier est mortellement blessé par une arme de chasse lors d’une intervention dans un camp de gens du voyage. En 2013 et 2014, aucun gendarme n’avait été tué après une agression. «La plupart des agressions physiques se déroulent en première partie de nuit et sont souvent le fait de personnes en état de démence, d’ivresse ou de forcenés sans oublier les différends familiaux. On est dans la situation banale de l’intervention en sécurité publique», commente encore Karine Lejeune. Des missions quotidiennes pour les gendarmes de brigade qui ont enduré 1872 agressions physiques en 2015, ce qui représente 62% des cas.

 

 

Beaucoup de fusil de chasse

 

 

Mais l’autre signe qui ne trompe pas sur la «radicalisation» de la société est l’usage croissant d’armes à feu, de couteau ou d’armes par destination : une hausse de 30 % par rapport à 2014. Les agressions avec armes «ne concernaient que 22% des cas d’atteintes en 2012», note le rapport de l’Observatoire de la délinquance. «Les armes circulent facilement et beaucoup de gens détiennent notamment des armes de chasse. Quant aux voitures, elles deviennent des armes par destination quand un conducteur cherche à percuter un gendarme lors d’un contrôle», énumère Karine Lejeune. Et parmi eux, ce sont les sous-officiers qui représentent le plus gros bataillon des victimes : 5408 victimes. Là aussi un chiffre qui progresse de plus de 24% par rapport  à 2014 !

 

 

Les jeunes engagés en première ligne

 

Mais l’autre communauté particulièrement ciblée ce sont les gendarmes adjoints volontaires, de jeunes engagés qui se destinent au métier de «soldat de la loi». Pour la première fois, «leur nombre dépasse le seuil des mille blessés», indique l’Observatoire de la délinquance. En 2015, ils ont été 1160 à subir des atteintes verbales ou physiques. D’autant que ces jeunes gendarmes sont souvent intégrés dans des pelotons de surveillance et d’intervention. Des unités prévues pour aller au contact. «Ces gendarmes sont souvent jeunes et ont moins d’expérience. Et l’agresseur sait surtout détecter et isoler le jeune gendarme moins à l’aise ou la femme gendarme en faisant de lui ou d’elle une cible privilégiée au moment de l’agression», témoigne avec lucidité, le lieutenant-colonel Lejeune. Même les réservistes ne sont pas épargnés : ils représentent déjà 2% des victimes.

 

 

Deux psychologues par région

Etre agressé verbalement ou physiquement, faire face au pire, même quand on est gendarme donc préparé à ces conséquences n’est pas anodin. Ca laisse des traces indélébiles dans le psychisme des militaires. Le gendarme peut être aussi confronté à des scènes de crimes ou d’accidents particulièrement insoutenables. Comme ce fut le cas lors du crash de l’avion de la GermanWings en mars 2015 au dessus de Seyne-les-Alpes.

 

Pas simple de se confier quand on porte l’uniforme

 

Et depuis 2015, deux psychologues sont à disposition des «soldats de la loi» dans chaque région pour les aider à surmonter l’agression mais aussi l’indicible. C’est le cas de la capitaine Marie-Aude Chopin qui «est à la disposition de tous les gendarmes» de la région Provence Alpes-Côte d’Azur (Paca). «Ce qui marque le plus les gendarmes dans leur métier, c’est la confrontation à la mort. Cela peut être l’usage de l’arme par eux mêmes, ou lorsqu’ils sont la cible de tirs ou quand ils entrent sur une scène de crime, le militaire peut se projeter et se dire :cela aurait pu être moi », souligne la capitaine Chopin à l’emploi du temps chargé et qui se déplace d’unités en unités «pour répondre à la demande» ou lorsqu’un événement l’exige. «Il faut savoir se faire apprivoiser et les sensibiliser sur l’aspect psychique des événements auxquels ils sont confrontés. Ils peuvent nous contacter sans passer par la voie hiérarchique et cela reste scellé par la confidentialité», explique cette praticienne.

 

Pas toujours évident de confier son malaise quand on porte l’uniforme. «Ils nous disent ce qui fait souffrance pour eux. Aucun gendarme n’a la même carrière et il nous arrive de voir des militaires d’expérience confrontés à un effet de saturation en raison d’accumulations de petites agressions quotidiennes par un public agressif et  qui usent. C’est là qu’il est important de les accompagner dans le temps car cela leur permet de durer», insiste la psychologue qui traite au cas par cas, car assure t-elle : «Il n’y a pas de réponse unique». Trois gendarmes confrontés à la même scène auront trois réactions différentes. «Ma mission est de traiter l’individu et de lui apporter toute l’aide psychologique et thérapeutique pour faire ce à cet événement traumatisant», résume Marie-Aude Chopin, très sollicitée.

J.-M.D.

Source : Le Parisien

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