Le gendarme se syndique

Le major Bernard Cordoba voulait créer des syndicats dans la gendarmerie

Le gendarme se syndique

Petit-fils d’un résistant au franquisme, fils de syndicalistes convaincus, il avoue avoir été plus intéressé par le sport que par le syndicalisme dans sa jeunesse. ©
photo philippe taris/« sud ouest »

Yann Saint-Sernin

y.saint-sernin@sudouest.fr

Décembre 2001, 6 heures du matin, brigade de gendarmerie de Targon. Au téléphone, un commandant est fumasse.

« Vous avez vu la presse, Cordoba ?

– Non, mon commandant.

– Alors je vous conseille de l’acheter très vite. Vous me rappelez ensuite. »

La presse avait en effet fortement relayé la manifestation historique des gendarmes qui s’était tenue la veille à Bordeaux comme dans la plupart des villes de France pour réclamer de meilleures conditions de travail et d’hébergement. En une, la photo d’un gendarme, lunettes noires et porte-voix à la main. « On était une dizaine de meneurs. Mais, quand les photographes sont arrivés, je ne me suis pas rendu compte que tous mes camarades avaient reculé de dix pas. Cette photo m’a coûté ma carrière ! » sourit Bernard Cordoba.

Elle a également scellé la légende de ce trublion de la gendarmerie dont le nom est associé à un long combat mené par une poignée de militaires, celui de la création de syndicats dans l’armée. En 2014, la Cour européenne des droits de l’homme leur donnera finalement raison. Bernard Cordoba venait juste de prendre sa retraite. Malgré de brillants états de service, il n’a jamais dépassé le grade de major…

Un acte de bravoure

« C’était un très bon enquêteur, extrêmement respecté. Il est d’ailleurs un des rares du département de Gironde à avoir obtenu la médaille de la gendarmerie nationale pour un acte de bravoure, la distinction la plus haute. Mais son engagement a freiné sa carrière », témoigne un capitaine qui l’a bien connu.

Petit-fils d’un résistant au franquisme (Antonio Cordoba fut condamné à mort sous Franco pour avoir créé la première section socialiste d’Andalousie), fils de syndicalistes convaincus, il avoue avoir été plus intéressé par le sport que par le syndicalisme dans sa jeunesse. Il s’engage alors dans une unité de parachutistes, un corps peu connu pour son goût de la contestation. « Le mot d’ordre, c’était : “Chez nous, pas d’homos, pas de gauchos et pas de syndiqués.” »

Après avoir intégré la gendarmerie, il se retrouve un jour face à des policiers qui manifestent pour une amélioration de leur statut. « J’ai dit : “On va quand même pas leur taper dessus ! On ferait mieux de les rejoindre.” Chez nous, on dit que quand on commence à réfléchir on est déjà en train de désobéir… »

Bernard Cordoba réfléchit pourtant de plus en plus. « J’avais bien remarqué que toutes les notes nous accordant un peu de confort étaient accompagnées de la mention “Sauf nécessité absolue du service”. Cette mention était mise à toutes les sauces. »

En 2007, le gendarme récidive. Et devient l’un des modérateurs du forum Internet Gendarmes et Citoyens, sur lequel, sous pseudonymes, les militaires font part de leurs critiques. Le site donnera des sueurs froides à la Direction générale de la gendarmerie. « Ils avaient même inscrit un espion pour nous surveiller ! » Et, lorsque des gendarmes d’active sont élus au bureau de l’association, on les force à démissionner. Motif : les statuts prévoyaient que l’association devait « défendre les intérêts des gendarmes », l’apparentant de fait à un syndicat. Ce qui était interdit dans l’armée.

« Nanard au Sénat »

L’anonymat de « Nanard le chat noir » (pour sa propension à attirer les coups durs), devenu Nardo sur le forum, fera long feu. En 2008, un membre poste ce message : « Nardo prend le commandement du Psig de Libourne ». « Autant vous dire que j’ai été immédiatement identifié. »

Mais il est également repéré par des députés qui veulent l’entendre pour un rapport sur le moral des troupes. À l’Assemblée, Nardo fait son petit effet : « Je leur ai dit que pour se faire une idée du moral des troupes, il était inutile d’interroger un gendarme devant son commandant. Pas plus que de s’annoncer avant de visiter une caserne, qui serait immanquablement récurée de fond en comble. » Sa hiérarchie lui fait alors savoir qu’elle apprécie fort peu le commentaire.

Puis, quelques mois plus tard, ce sont deux sénateurs qui demandent à le voir. Là encore, il sera trahi par son forum. « Aujourd’hui, Nardo est au Sénat », poste un membre. Dans la foulée, le téléphone sonne. Un colonel.

« Z’êtes où ?

– Ben, dans le train…

– C’est pas vrai… mais qu’est-ce que vous allez leur dire ?

– J’y vais en tant que citoyen. Je vous raconterai peut-être, mais là, ça va couper…

– À votre retour, inutile de venir à la brigade. Filez directement chez le général, il veut vous voir… »

« Les bruits ont commencé à courir que j’allais perdre mon commandement. » Puis, lorsqu’il se fait élire vice-président de l’association Gendarmes et Citoyens, les choses se corsent. Convoqué de nouveau, Bernard Cordoba est suspendu. Du fond de la salle de sport dont il s’occupe aujourd’hui dans le Libournais, Nanard biche encore : « Ils n’avaient pas vu que nous avions changé les statuts. Il ne s’agissait plus que de “représenter les gendarmes et les citoyens”. On ne pouvait plus nous taxer de syndicalisme. Ils ont dû me réintégrer. En fait, ils m’ont donné quatre jours de vacances. »

Mais Nardo décide finalement de partir à la retraite. « La gendarmerie me manque. Mais je reste fier du travail accompli. Ce qui me révoltait, c’était ce système dans lequel les prises de décision au plus haut niveau étaient coupées de ce que vivait la base. Les gendarmes ont trop longtemps été habitués à dire oui à tout. » Depuis 2001, les notations concernant Bernard Cordoba se terminaient régulièrement par cette mention : « Possède le potentiel pour effectuer les changements qui s’imposent. » Pas sûr que la gendarmerie pensait à ces changements-là.

Les « Trublions » (3/5). Tenaces, insoumis, grandes gueules ou discrets procéduriers, ces empêcheurs de tourner en rond se sont fait une spécialité : mettre les pieds dans le plat. Demain : Dans la série des trains insolites, le vélorail en Dordogne.« Les gendarmes ont été habitués à dire oui à tout »

Source : Sud Ouest

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