Gilets jaunes : à Paris, derrière les boucliers des gendarmes mobiles

1192782-expresso-prodlibe-2019-0231-acte12-avec-les-gendarmesParis, le 2 Février 2019. Une journée avec les gendarmes mobiles de Chaumont intégrés au dispositif de sécurité de l’acte 12 des gilets Jaunes à Paris Photo Boby pour Libération

«Libération» a passé la journée de l’acte XII du mouvement avec un escadron de gendarmes mobiles au cœur des manifestations.

Cette fois, leur journée n’a pas commencé à l’aube. Il est un peu plus de dix heures quand les gendarmes mobiles de l’escadron de Chaumont (Haute-Marne) prennent leur service, près de la gare de Lyon, à Paris. Comme chaque samedi depuis bientôt trois mois, les forces de l’ordre sont mobilisées face aux gilets jaunes. Libération a passé la journée de l’autre côté des boucliers, avec les gendarmes mobiles de l’escadron de Chaumont. Une occasion d’observer au plus près les derniers bouleversements dans l’usage de la force pour ce douzième acte du mouvement justement dédié aux «violences policières» et aux «gueules cassées» des manifestants.

«Chocolats»

Samedi, 56 gendarmes ont été appelés pour constituer l’escadron, lui-même divisé en trois pelotons : Bravo, Charlie et India. Stationnés pour l’heure loin de la manifestation, les gendarmes patientent. Un vieux monsieur chic passe par là et s’arrête, tout droit, les bras contre le corps : «Bon courage messieurs.» Puis repart, sans un mot de plus. Un autre passant, quelques instants plus tard : «Heureusement que vous êtes là.» Le lieutenant Reverdy, à la tête de l’unité : «Ça arrive souvent, on nous amène même des chocolats parfois.»

A 12h17, le «départ de la manif» est annoncé sur les ondes radios. Pour l’escadron de Chaumont, c’est pour l’instant le statu quo. Ce sont les détachements d’action rapide (DAR), unités composées de policiers pour la plupart non formés au maintien de l’ordre et souvent issus des brigades anticriminalité (BAC), qui sont «redispatchés» pour «coller au plus près» les manifestants. La manœuvre est pilotée sur le terrain par un commissaire de la direction de l’ordre public de la préfecture de police de Paris. «Les violences policières, je veux bien, mais nous on fait que se défendre», commente-t-il, toujours avec fougue, après trente-sept ans dans la police.

«Trop de sang»

Les gendarmes mobiles, s’abritent du froid dans leurs camions. «Maintenant, le week-end, on sait que c’est gilets jaunes, et le reste de la semaine c’est d’autres petits trucs», dit stoïquement le lieutenant Reverdy. Son escadron a enchaîné les journées de manifestations, et était notamment présent à plusieurs reprises sur les Champs-Elysées en décembre, mais aussi à Epinal (Vosges), «où une voiture de police avait été renversée et incendiée». Un peu avant 15 heures, l’escadron est finalement prêt à se positionner à l’entrée de la place de la République, où est prévue la dispersion du cortège. Les gendarmes ont pour consigne de tenir un barrage statique, rue du Temple. Un premier pétard expose. «Bon… on va voir s’ils veulent la guerre», commente le commissaire de la préfecture de police. Un gilet jaune à vélo passe par là : «Vous avez fait trop de mal, y a eu trop de sang, dans dix ans quand vous regarderez ce qui s’est passé vous comprendrez.»

Quelques minutes plus tard, des affrontements débutent à plusieurs endroits sur la place de la République. La ligne des gendarmes mobiles de Chaumont reçoit des projectiles quand le peloton India tire deux cartouches du fameux lanceur de balle de défense (LBD), arme mise en cause pour avoir provoqué plus d’une centaine de blessures à la tête ces dernières semaines. Mais ce sont surtout des grenades lacrymogènes qui sont tirées par les gendarmes. L’Inspection générale de la gendarmerie nationale n’est d’ailleurs saisie que de deux signalements, contre 111 côté police. De même, la gendarmerie a comptabilisé 1 070 tirs de lanceurs de balle de défense, un chiffre déjà conséquent mais très éloigné de ceux de la police, qui a enregistré plus de 8 000 tirs.

Selfie

A intervalle régulier, ce sont justement les policiers des détachements d’action rapide, envoyés au contact des manifestants pour réaliser des interpellations, qui viennent s’abriter derrière la ligne de l’escadron de Chaumont, pourtant spécialiste du maintien de l’ordre mais cantonné à un rôle statique. Ces unités de policiers en civil, très largement dotés du lanceur de balle de défense, sont suspectées d’avoir provoqué le plus de blessures graves.

A l’abri, ils débriefent leur dernière charge. «T’as vu le pavé putain ?», s’exclame l’un d’eux pendant qu’un autre revient en boitant. Un peu plus tard, quatre policiers prennent une photo en selfie, comme un trophée de guerre, avec les gendarmes et les heurts en arrière-plan. Pour ces derniers, aucun blessé dans leur rang. La journée se termine tranquillement. Vers 18h30, ils sont envoyés sur les Champs-Elysées, «au cas où». Sur les ondes, on leur conseille de «profiter de la vue» avant le retour dans l’Est.

Source : Libération

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