Exclusif – La lettre de l’ancienne patronne du PNF, Eliane Houlette, à la garde des Sceaux

L’ancienne procureur à la tête du Parquet national financier, Eliane Houlette.
L’ancienne procureur à la tête du Parquet national financier, Eliane Houlette. – IP3 PRESS/MAXPPP
L’ancienne chef du Parquet national financier a révélé devant une commission d‘enquête parlementaire « les pressions » du parquet général de Paris durant l’affaire Fillon. Dans un courrier au ministre de la Justice, Eliane Houlette assure avoir été victime ensuite d’un règlement de compte judiciaire.
Article mis à jour Le 19.06.2020 à 17h55

Nos confrères du Point expliquait ce 17 juin que l’ancienne chef du Parquet national financier, Eliane Houlette, avait assuré lors d’une commission d’enquête de l’Assemblée nationale en date du 10 juin dernier avoir subi des pressions concernant la mise en examen de François Fillon. Pourtant, voilà que celle-ci s’est retracée ce 19 juin. Dans un communiqué transmis à l’AFP, son avocat déclare : « Madame Houlette regrette que les propos qu’elle a tenus lors de son audition à l’Assemblé nationale devant la commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire aient été déformés ou mal compris. L’enregistrement de l’audition, accessible sur le site de l’AN, montre que les pressions qu’elle a mentionnées ne portent pas sur les faits reprochés à M.Fillon ni sur le bien-fondé des poursuites diligentées contre lui.« 

Elle est en colère Eliane Houlette. Une colère froide et rentrée, mais une colère tenace. L’ancienne procureur à la tête du Parquet national financier (PNF) a livré aux députés de la mission d’enquête parlementaire sur l’indépendance de la justice un témoignage exceptionnel, comme l’a révélé Le Point. Le 10 juin dernier, ils étaient sept députés dans la salle sur les trente qui composent la commission. Pas une caméra, ni la foule des grands jours. Un petit comité. Auparavant, la commission présidée par le député France Insoumise Ugo Bernalicis avait déjà entendu une longue liste de hauts magistrats qui, pour la plupart étaient venus s’autoféliciter de leur indépendance… Des auditions fleuves souvent ennuyeuses comme la lecture du Journal officiel.

Mais ce 10 juin, Eliane Houlette a décidé de mettre les pieds dans le plat et de faire une démonstration a rebrousse poil. « La conception française de l’indépendance judiciaire est une conception politique« , commence-t-elle devant les députés, martelant que le pouvoir exécutif ayant à sa main « les carrières » des procureurs, ces derniers sont enclins à la docilité.

« J’étais sans cesse sollicitée »

Avec une liberté de ton et d’analyse rare, Eliane Houlette dénonce le « poids de l’exécutif » sur le corps des magistrats… « L’indépendance s’exerce dans la dépendance, c’est une réalité objective, le parquet est sous le contrôle du pouvoir exécutif« , dit-elle de sa voix calme. A ce même micro, tant d’autres procureurs sont venus vanter leur intégrité, oubliant pour certains, et pas aux postes les moins prestigieux, de raconter dans quelles antichambres du pouvoir ils avaient quémandé leur poste…

Devant les députés, Eliane Houlette décrit une « autorité verticale » exercée depuis le ministère de la Justice, avec un fonctionnement « inchangée depuis des décennies« . Pour preuve de cette verticalité, l’ancienne patronne du PNF raconte la somme de pressions et de tracasseries dont elle a été victime de la part de sa hiérarchie au parquet général lors de l’affaire Fillon, en pleine présidentielle. « J’étais sans cesse sollicitée« , raconte Eliane Houlette à des députés médusés, « par des demandes de synthèse de procès verbaux d’auditions, des résultats de perquisition, des demandes d’information et de rapport en tout genre« .

Elle était priée de rédiger ses rapports le plus souvent en urgence, « avant demain matin 11 heures« . Décrivant un accroissement de la charge de travail sur ses équipes, priées de s’exécuter, Eliane Houlette dénonce surtout, outre le caractère tatillon de ces sollicitions du parquet général, leur incongruité. En ligne de mire, Catherine Champrenault, la procureur général de Paris, au comportement bien curieux lors de l’affaire Fillon, comme on le découvre au hasard de cette commission d’enquête parlementaire. Eliane Houlette révèle ainsi que cette dernière, tout comme ses services, auraient bien voulu que le PNF ouvre plus tôt une information judiciaire contre le candidat des Républicains.

« uniquement sur la base d’un raisonnement juridique »

L’ancienne chef du PNF affirme ainsi aux députés s’être rendue à une « convocation » du parquet général accompagnée de deux magistrats de son équipe, à l’occasion de laquelle elle a refusé de transformer son enquête préliminaire visant François Fillon en information judiciaire. Elle s’y est finalement résolue quelques jours plus tard, mais uniquement « pour une question juridique« , explique-t-elle aux députés. Cet épisode est connu : en pleine affaire Fillon, un changement législatif transformant les règles de prescriptions a obligé le PNF à saisir des juges d’instruction, faute de quoi une partie des faits auraient été prescrits. Sans ce hasard de calendrier, Eliane Houlette aurait maintenu l’affaire Fillon en enquête préliminaire, et le candidat de la droite n’aurait jamais été mis en examen pendant la campagne présidentielle…

« C’est uniquement sur la base d’un raisonnement juridique que j’ai ouvert une information judiciaire dans ce dossier« , a assuré l’ancienne patronne du PNF devant le Parlement. Finalement, Eliane Houlette affirme avoir dirigé pendant cinq ans le PNF en son âme et conscience, ne cédant à aucune de ces pressions, tracasseries et invitations du parquet général. « Je n’ai reçu aucune instruction des quatre gardes des Sceaux successifs, ni de leur proches« , ajoute-t-elle, coupant court à tout soupçon visant la place Vendôme. Comme l’a toujours assuré Eliane Houlette, y compris dans nos colonnes, l’affaire Fillon n’a pas été téléguidée par le pouvoir de l’époque. « Les avocats de François Filon ont tort aujourd’hui de dénoncer ‘une volonté politique’, au contraire, Eliane Houlette démontre qu’elle a résisté aux pressions« , glisse aujourd’hui un magistrat parisien.

Mais le malaise soulevé par l’audition de l’ancienne chef du PNF est réel : Pourquoi, pendant l’affaire, le parquet général exigeait-il ces synthèses du dossier Fillon en temps réel ? A quel titre ? Pour quel usage ? Pourquoi le parquet général a-t-il réclamé cette ouverture d’information précoce ? Cette demande émanait-elle de la Chancellerie ?

Eliane Houlette a dit aux députés ignorer ce que faisait Catherine Champrenault des rapports qu’elle devait lui envoyer « en urgence« … Alors qu’un député lui demande si elle a été sollicitée pour « des choses contraires à la loi« , l’ancienne magistrat répond par la négative, et ce, bien que la somme de demandes du parquet général dessine une forme de pression. Dans les textes, si le parquet général est autorisé à s’informer du déroulement des dossiers judiciaires en cours, ces demandes d’information sont uniquement censées permettre au ministère de la justice d’élaborer des politiques pénales. On voit mal le rapport avec l’affaire Fillon… Interrogée par les mêmes députés le 6 février dernier, Catherine Champrenault ne s’était pas étendue sur le sujet. « Il n’y a plus, ni de près ni de loin, ni directement ni par suggestion, d’influence du pouvoir exécutif« , avait-elle certifié devant la commission d’enquête.

« culture de la soumission au politique »

Quoi qu’il en soit, ces « demandes d’information » du parquet général sur les affaires sensibles constituent une des zones grises du ministère de la Justice… « Tout le monde sait que le parquet général fait remonter les informations Place Vendôme à la direction des affaires criminelles et des Grâces (DACG), qui rédige ensuite des synthèses au ministre« , glisse à Marianne un magistrat, confirmant les soupçons voilés d’Eliane Houlette. « La magistrature a chevillé au corps la culture de la soumission au politique, qui fait et défait les carrières. Eliane Houlette est une singularité dans le paysage. A son poste, pendant 5 ans, elle a fait preuve d’une liberté rare et d’un courage certain. »

Une circulaire européenne du 2 juin dernier sur la corruption transfrontalière rend largement hommage au travail des magistrats français du PNF. « Elle a un bilan impressionnant« , confie un magistrat parisien. Sous son autorité, le PNF a obtenu 7 milliards d’euros d’amendes, dont trois milliards d’euros dans les caisses de l’Etat pour la seule lutte contre l’évasion fiscale… Le PNF a aussi conduit plusieurs affaires politiques retentissantes, de Cahuzac à Fillon en passant par Balkany et Karachi. « Je l’ai payé très cher« , glisse Eliane Houlette aux députés, sans que ceux-ci ne la questionnent davantage sur ce point.

Règlements de compte

Qu-a-t-elle payé exactement ? « Le fait de ne pas suivre les injonctions du parquet général, de trainer les pieds parfois devant leurs demandes, et plus globalement son indépendance« , assure un de ses anciens magistrats. Dans son équipe, personne n’ignorait la rivalité entre la chef du PNF et Catherine Champrenault, proche de Robert Gelli, longtemps directeur de la DACG, le plus haut poste de la magistrature aux cotés de la garde des Sceaux. Cette rivalité aurait aussi conduit Catherine Champrenault, lors du départ en retraite d’Eliane Houlette en juin 2019, à ne pas lui permettre de désigner un magistrat de son parquet assurant l’intérim avant l’arrivée de son successeur à l’automne. « Contrairement aux usages« , s’est plaint l’ancienne chef du PNF devant les députés, évoquant une forme de brimade. En juin 2019, Catherine Champrenault a désigné deux procureurs du parquet général qui ont été en charge de cet intérim.

Dans cet intervalle s’est aussi nouée une sombre affaire aux allures de règlements de comptes. Au printemps 2019, alors qu’elle est sur le départ, Eliane Houlette apprend que, sur des écoutes téléphoniques, un avocat marseillais s’est vanté auprès d’un de ses clients, impliqué dans une affaire d’emplois fictifs présumés à la mairie de Marseille, de ses bonnes relations avec elle. Sur deux écoutes téléphoniques, l’avocat semble se targuer d’avoir obtenu des informations sur le dossier de la bouche de la procureur du PNF…

Dans un premier temps, au PNF, ces écoutes font simplement sourire et après examen personne n’estime devoir y trouver matière à enquête. Avant son départ Eliane Houlette s’en explique même avec la procureur général. Oui elle connait cet avocat, comme tant d’autres, puisqu’elle estime de son devoir de leur parler à tous, mais non, elle ne lui a « évidemment » confié aucune informations sur un dossier en cours. Mais, durant l’été 2019, Catherine Champrenault saisit néanmoins le procureur de Paris, pour des faits éventuels de violation du secret de l’instruction contre son ancienne subordonnée.

Courrier sanglant

Puis la procureur général, devant l’embarras du procureur de Paris, transmet le dossier au procureur général de Versailles, qui le fait suivre, début septembre 2019, au parquet de Nanterre. Les « soupçons » visant Eliane Houlette fuitent dans Le Monde fin septembre 2019. « Cette histoire est sinistre autant que grotesque« , certifie alors un magistrat parisien du PNF. Selon nos informations, le 29 novembre 2019, Eliane Houlette écrit un courrier sanglant au ministre de la Justice : « Madame la garde des Sceaux, je viens d’apprendre avec une stupéfaction indignée que je suis l’objet d’une enquête préliminaire transmise par la procureur générale de Paris au procureur général de Versailles le 30 septembre 2019« …

Dans cette lettre, Eliane Houlette considère que la décision de la procureur général est une décision « qui dénote une absence de discernement et nuit gravement à l’institution dont » elle a « assuré la charge sans relâche au cours de ces dernières années« . « Sans même connaitre le contenue de ces deux écoutes, je puis affirmer qu’elles ne peuvent refléter qu’une interprétation de propos par un avocat d’une personne suspectée dans une procédure, désireux peut être de se mettre en valeur auprès de son interlocuteur. Il ne s’agit là de rien qui puisse ressembler, de près ou de loin, à un délit ou à une quelconque imprudence de ma part« , écrit Eliane Houlette.

« Se contenter de si peu d’éléments pour décider, selon moi avec légèreté et sans réflexion juridique sérieuse, d’une enquête judiciaire à l’encontre d’un procureur (…) m’apparait intolérable, tant sur le plan des principes de notre droit que sur le plan humain, et traduire en outre une conception diminuée du service public de la justice« . Dans son courrier à Nicole Belloubet, dont elle a adresse une copie « pour le respect des formes« , à Catherine Champrenault, Eliane Houlette ne sollicite « aucune intervention« , mais signale que ces manœuvres portent non seulement à atteinte à « son honneur« , mais « à celui de l’institution qu’elle a dirigée« . Eliane Houlette, qui a découvert l’existence de l’ouverture d’une enquête « par la presse« , en septembre 2019 et qui est depuis « dans l’attente de la direction qu’entend prendre l’autorité judiciaire« .

Un univers impitoyable

Selon nos sources, un an après la découverte de ces écoutes téléphoniques, Eliane Houlette n’a effectivement jamais été interrogée. « Mais ce dossier lui empoisonne la vie« , assure à Marianne un de ses proches. L’avocat de l’ancienne patronne du PNF, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi, avait déclaré au Monde en septembre 2019 qu’il ne « comprenait pas ce qui pourrait être reproché à sa cliente« . Il ne souhaite pas en dire davantage aujourd’hui… Une chose est sûre, tant après cet épisode souterrain qu’après l’audition d’Eliane Houlette devant les députés, cette dernière ne partira pas en vacances avec Catherine Champrenault. La haute magistrature aussi est un univers impitoyable.

Quand elle a été interrogée par les députés, le 6 février dernier, la procureur général de Paris avait formé « le vœu que les travaux » de la commission « permettent d’identifier certaines voies d’amélioration« . Après les révélations d’Eliane Houlette sur ses interventions incessantes dans le dossier Fillon, les députés pourraient être tentés de la prendre au mot. Et de la convoquer de nouveau. En attendant, François et Penelope Fillon seront fixés sur leur sort judiciaire le 29 juin. C’est ce jour-là que le tribunal correctionnel doit rendre son jugement. Lors de l’audience, le PNF a réclamé 5 ans de prison, dont deux ferme contre l’ancien Premier ministre et trois ans de suris contre son épouse.

Source : Marianne

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