Covid-19 et analphabétisme, deux fléaux corrélés

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La cause première de notre piètre performance face au coronavirus est dans l’abandon de toute exigence pédagogique.

« – Mais enfin ! protestai-je. La Suisse, l’Allemagne ou l’Autriche ne se sont guère confinées ! Et quoique comparables au niveau démographique et vieillissement de la population, le bilan humain de ces pays est fort loin de celui de la France ! »

Mon interlocutrice répondit patiemment : « – Pays luthériens, pour la plupart ! Ethique protestante, comme dit Weber. En Suisse ou en Autriche, on pourrait quasiment piqueniquer sur les boulevards, tant ils sont propres. Les gens partagent un sens commun de la responsabilité que les pays latins sont loin d’avoir.

– Ouais ! Et Singapour, la Corée du Sud, le Japon ou Taïwan, éthique protestante aussi ? grinçais-je.

– Ce sont des pays où l’individu a un sens remarquable du collectif. Les Japonais naissent pour ainsi dire avec un masque sur le nez. Vous m’avouez vous-même qu’en porter un vous donne immédiatement des suées d’angoisse…

– En attendant, la facture économique sera bien moindre pour eux que pour nous… Ils n’ont pas cessé de bosser. Ils n’ont pas délibérément coulé leurs petites et moyennes entreprises. Et surtout, ils n’ont pas sacrifié une génération d’écoliers en les déconnectant du système scolaire… »

fabrique du crétin

Chacun a eu avec ses amis des conversations de ce type — finissant souvent comme le « ils en ont parlé » de l’Affaire Dreyfus. La nôtre se serait éternisée, si au même moment ne m’était tombée sous les yeux une étude de l’OCDE, commentée concurremment par Jean-Pierre Robin dans Le Figaro du 14 juin. Chacun connaît PISA, le Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves, par lequel l’OCDE classe les divers pays dont elle analyse les prestations. On sait que la France, non contente d’y être très mal placée depuis que l’indicateur existe, s’est ingéniée à s’y enfoncer en deux décennies.

On connaît moins le PIAAC, Programme for the International Assesment of Adult Competencies, par lequel l’OCDE analyse les compétences (en lecture et résolution de problèmes mathématiques) des adultes en activité. La France y est tout aussi peu performante : l’adulte hexagonal tutoie l’illettrisme et la dyscalculie avec une robuste volupté. Eh bien, « il existe une certaine corrélation entre le niveau d’éducation et la gravité de l’épidémie selon les pays« , assène tranquillement l’un des experts de l’étude, Dirk Van Damme. Les pays asiatiques et certains pays européens caracolent tranquillement en tête des compétences, pendant que nous nous traînons en queue. Ce qui fait la différence, c’est moins l’insouciance latine que la capacité à lire et à appliquer des directives basiques.

Il y a quelques années, Jean-Louis Borloo, avec lequel je travaillais à un ouvrage paru sous le titre Un homme en colère (Ramsay, 2002), m’avait raconté pourquoi Toyota avait choisi sa ville, Valenciennes, pour installer son site européen de construction de la Yaris — et non le site écossais envisagé de prime abord. L’ouvrier français, formé dans les années 1970, passait alors pour l’un des plus performants au monde, ce qui avait convaincu le constructeur japonais de passer outre notre réputation de protestataires. Nous sommes très loin aujourd’hui de cet indice de performance. Après trois décennies de pédagogisme béat, tout occupés à promouvoir « l’enseignement de l’ignorance« , comme dit Jean-Claude Michéa, et à gâcher nos enfants, comme ajoute Natacha Polony, nous avons lâché la bride à la fabrique du crétin, comme dit… quelqu’un d’autre.

Après la guerre de 1870, Renan, cherchant à comprendre comment l’armée de Bismarck n’avait fait qu’une bouchée des vaillantes troupes françaises, remarquait que « dans la lutte qui vient de finir, l’infériorité de la France a été surtout intellectuelle ; ce qui nous a manqué, ce n’est pas le cœur, mais la tête« . Ferdinand Buisson (1841-1932 : directeur de l’Enseignement primaire de 1879 à 1896, il fut le vrai inspirateur des lois Ferry) avait longuement analysé l’école que le Chancelier de fer avait imposée à la Prusse, et compris que la revanche, dont tout le monde savait qu’elle serait inéluctable, devait passer par un redressement intellectuel.

La vraie crise est une crise de la connaissance

Nous avons gagné 14-18 non seulement dans les tranchées, mais dans les têtes. En instaurant des programmes exigeants, en recourant aux « hussards noirs » de l’Enseignement, la IIIème République a gagné la guerre avant même qu’elle ait commencé. La cause première de notre piètre performance face au coronavirus (« une guerre », a dit Emmanuel Macron — acceptons la métaphore) est dans l’abandon de toute exigence pédagogique. L’Allemagne, vexée d’être très mal placée dans le premier classement PISA (2003 — c’était alors la Finlande et la Corée du Sud qui brillaient en tête), a choisi un redressement drastique de son école. Nous avons choisi, nous, la compassion et la complaisance. Nous voyons aujourd’hui ce qu’il en coûte.

Allons plus loin. Pourquoi certains pays européens s’en tirent-ils mieux que nous ? Parce qu’ils n’ont jamais cessé de se voir et de se vivre comme des nations, alors que nous nous dissolvions dans un internationalisme de mauvais aloi. Au sein même de l’Europe, les Allemands sont restés prioritairement allemands — et ont usé de l’euro pour rebâtir leur pays réunifié autour d’une industrie puissante, pendant que la France se félicitait d’être devenue un pays de « services » et de tourisme. Lorsque Jean-Michel Blanquer a voulu réinstaller un drapeau français en classe, combien de mes collègues se sont écriés que le nationalisme ne passerait pas par eux ? Les mêmes sans doute qui aujourd’hui — voir le SNUIPP de Francette Popineau — réclament un allègement des programmes à la rentrée 2020, afin de caresser dans le sens du poil les élèves décrocheurs, alors même qu’il faudrait, évidemment, les alourdir pour rattraper le temps perdu. Le Covid-19 n’est au fond qu’un symptôme. La vraie crise est une crise de la connaissance.

Il faut de toute urgence rétablir à l’école les vertus républicaines — l’effort, le sens du sacrifice, et l’élitisme bien compris, celui qui s’efforce d’amener chacun au plus haut de ses capacités, et non de rabaisser chacun au niveau du plus faible. Il faut en revenir à la transmission verticale des savoirs — à condition de recruter des enseignants qui maîtrisent justement ces savoirs : s’il y a une chose qu’un futur ministre de l’Education doit urgemment réformer, ce sont les concours de recrutement, aujourd’hui phagocytés par des « pédagogues » qui n’ont à la bouche que la capacité d’ »apprendre à apprendre », sans se soucier des contenus réels. Il faut réformer les concours de recrutement, et en même temps réécrire les programmes des élèves dans le sens d’une plus grande exigence. Seule la tolérance zéro peut nous remettre à flot — et nous protéger de la prochaine épidémie, qu’elle soit le fait d’un virus de passage, ou de la « bêtise à front de taureau » qui depuis tant d’années persiste et signe.

Source : Marianne

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