Escroquerie immobilière : l’indic mouille ses gendarmes

ENQUÊTE. Dans la sombre affaire d’escroquerie immobilière impliquant deux indics et leurs officiers traitants, l’un des malfrats met en cause les deux gendarmes, dont l’un a usurpé le rôle d’avocat.

Paris (XXe), hier. C’est dans cet immeuble que se trouve la section de recherches de Paris. Deux de ses gendarmes sont poursuivis en justice.

Paris (XXe), hier. C’est dans cet immeuble que se trouve la section de recherches de Paris. Deux de ses gendarmes sont poursuivis en justice. (LP/Frédéric Dugit.)

Ses déclarations sont embarrassantes. Elles étayent les poursuites engagées contre deux gendarmes de la prestigieuse section de recherches (SR) de Paris, mis en examen le 17 mars pour complicité d’abus de confiance et de faux en écriture publique, et usurpation de titre.

Elles émanent d’Hakim A., dont ils ont pourtant été très proches : avec un complice, il leur a servi d’indic pour faire tomber un important réseau d’importation de drogu. En échange de ce service, ces deux petits malfrats auraient été aidés — voire encouragés — par les deux gradés pour monter une escroquerie, entre 2010 et 2013.

Hakim A. et son complice Mohamed Z. font la connaissance des gendarmes Emmanuel B. et Eric T. à la fin des années 2000, lorsqu’ils sont mêlés à une affaire de droit commun. Les enquêteurs leur font comprendre qu’une collaboration pourrait faciliter leur situation. Le tandem accepte en les mettant sur la piste d’un réseau de trafiquants mais réclame une récompense. «Comme la gendarmerie ne pouvait pas encore nous rémunérer, Manu et Eric nous ont dit que nous n’avions qu’à leur (NDLR : l’entourage des trafiquants) prendre de l’argent […]. Nous leur avons exposé nos techniques […]. Eric et Manu validaient à chaque fois», confie Hakim A. en garde à vue face aux enquêteurs de l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). «Il s’agit d’une décision collégiale», assure-t-il. La technique en question consiste à faire miroiter l’acquisition aux enchères de biens automobiles ou immobiliers à très bon prix avec de fausses adjudications judiciaires. Des bons plans fictifs qui séduisent une dizaine de personnes qui versent plusieurs centaines de milliers d’euros.

Pour faire fonctionner leur stratagème, les deux indics, mis en examen pour abus de confiance et faux en écriture publique, ont besoin d’un modèle de vente par adjudication. Ils font appel aux gendarmes. «Manu m’a dit de venir dans son bureau pour que l’on regarde ensemble ce que nous pouvions trouver. Il a fait une recherche sur Internet […]. Le modèle présenté me convenait […]. Il l’a imprimé. Il me l’a remis en main propre.» Grâce à un complice faussaire, Hakim et Mohamed maquillent ces documents vierges et entament leur fructueux démarchage. «Dans un premier temps, sans eux, je pense que nous n’aurions pas pu réaliser ces adjudications», assure l’indic véreux.

Les deux militaires suspendus de leurs fonctions

Le soutien des gendarmes ne se serait pas limité à ce premier coup de pouce. Face à l’insistance et aux menaces de leurs créanciers qui n’obtiennent pas — et pour cause — le logement promis, les deux escrocs ont besoin de crédibiliser leur scénario. Le lieutenant Emmanuel B. accepte alors de jouer à plusieurs reprises les faux avocats. Hakim relate en détail l’un de ces rendez-vous dans la salle des pas perdus du tribunal de grande instance de Paris, en présence d’un de ses « clients » et d’autres gendarmes de la SR en observation : «J’appelle sur son téléphone Manu qui arrive vêtu de la robe d’avocat. Il porte à la main les adjudications. Il y a cinq exemplaires. Il en fait signer à la personne quatre, qu’il récupère, et lui en laisse un.» De quoi rassurer et faire patienter les « pigeons ».

En garde à vue, le gendarme B. finit par admettre cette usurpation de titre présumée. Il faut dire que les plaignants, à l’origine de la procédure après une plainte déposée en mai 2015 par leur avocat, Me Yassine Bouzrou, et révélée par Leparisien.fr, ont remis à la justice un enregistrement clandestin dans lequel l’officier reconnaît ce tour de passe-passe. L’objectif était « d’aller au terme de nos investigations dans le dossier stup », se défend le lieutenant. Le major Eric T. et Mohamed Z., quant à eux, nient farouchement les faits, même lorsqu’ils sont confrontés à Hakim. Celui-ci assure néanmoins que les deux gendarmes n’ont jamais tiré de bénéfice personnel dans cette histoire. Ce qui n’avait pas empêché le parquet de Paris de requérir leur placement en détention provisoire. Suspendus de leurs fonctions, ils ont finalement été placés sous contrôle judiciaire.

Une « balance » qui pèse lourd…

Le sort d’Hakim A. était manifestement devenu un enjeu primordial pour ses officiers traitants à la gendarmerie. Ainsi, le 9 mai 2011, ce dernier fait-il l’objet d’un contrôle routier à Bezons par les policiers de la sûreté départementale du Val-d’Oise. Les enquêteurs mettront la main — dans son véhicule et chez lui — sur 3 kg d’amphétamines et 23 300 EUR d’argent liquide. Une enquête pour importation de stupéfiants est ouverte. Or, cette procédure s’est semble-t-il curieusement soldée par une simple transaction douanière de 15 000 €, Hakim A. se voyant même restituer 8 000 €. « C’est la seule sanction qu’il a subie dans ce dossier bien qu’il ne se soit jamais expliqué sur la provenance du produit et de l’argent », s’étonnent les enquêteurs de l’IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale).

A l’évocation de cet épisode qu’il a dû gérer, le major Eric T. se montre très embarrassé : «On rentre complètement dans le protocole du secret-défense et je ne peux pas vous en parler», argue-t-il lors de sa garde à vue. «Je préfère ne pas en parler, car le risque que j’encours est plus grave que d’aller en prison», assure également Hakim A. Les gendarmes sont-ils intervenus auprès du parquet pour sauver leur indic ? C’est ce que laisse entendre un de leurs collègues. Contacté par notre journal, le parquet de Pontoise n’a pas donné suite.

Interpellation bidon à Orly

Fin 2012, il faut encore sauver le soldat Hakim. Alors que la pression d’un de ses clients floués se fait de plus en plus forte, l’indic a besoin d’être protégé. Pour lui permettre de se mettre au vert, les gendarmes font mine de l’interpeller à l’aéroport d’Orly en présence de ce créancier menaçant. Embarqué dans un véhicule, il sera en fait déposé quelques mètres plus loin…

Source : Le Parisien

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