Emmanuel Macron et la justice : de bien mauvaises habitudes

Régis De Castelnau  Avocat à la cour et blogueur
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« Violation de la séparation des pouvoirs, partialité en faveur des plaignants, validation de leur discours, insultes faites aux gendarmes (meurtriers et racistes) et aux magistrats et aux experts (soumis à la raison d’État). Difficile de faire pire », explique Régis de Castelnau à propos de l’affaire Traoré.
On peut supposer que règne une saine ambiance au sein des organisations syndicales de policiers, de gendarmes et de magistrats. La séquence qui vient de se dérouler sur fond d’emballement mondial après la mort de Georges Floyd, relayée chez nous par les manifestations autour du cas d’Adama Traoré, est une sacrée leçon pour ces gens-là.

Le président de la République vient de tranquillement demander à son garde des Sceaux de bien vouloir « se pencher » sur un dossier actuellement à l’instruction, c’est-à-dire entre les mains de magistrats du siège normalement indépendants et impartiaux. Celle-ci a immédiatement obtempéré à l’ordre jupitérien, et a demandé à être reçue par la famille d’Adama Traoré, dans ses propres bureaux de la place Vendôme. Habilement, Yassine Bouzrou, leur avocat, n’a pas laissé passer l’occasion d’humilier la ministre de la Justice en la rappelant aux convenances républicaines, c’est-à-dire au respect de la séparation des pouvoirs. Était-il possible de descendre plus bas, de plus se discréditer, et la fonction occupée avec ? Enfoncé, François Hollande ferraillant avec Leonarda !

LA JUSTICE AU SERVICE DE L’EXÉCUTIF…
Cet ordre immédiatement exécuté, donné à la garde des Sceaux par le président de la République, outre son caractère inconstitutionnel et illégal, a également une signification très claire à la fois pour les forces de l’ordre de notre pays, mais aussi pour la magistrature. Voilà deux corps, qui ont fourni sans désemparer au système Macron les moyens de la mise en œuvre brutale d’une politique dont les Français ne veulent pas. Sous la baguette de Christophe Castaner et pour Paris de Didier Lallement, une violence policière stupéfiante par son intensité s’est déployée pendant toutes les crises sociales. Les gilets jaunes, les pompiers, les personnels soignants, les ouvriers, les syndicalistes ont payé dans leur chair ces débordements policiers sans précédent depuis la guerre d’Algérie.

Alors les amis, contents ? Ce dévouement sans faille dont vous avez fait preuve vis-à-vis d’Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir n’est guère payé de retour.

Les magistrats ont joué leur propre partition répressive de deux façons : tout d’abord en prononçant près de 6.000 condamnations dont 1.500 peines de prison ferme ! Ensuite en refusant quasi systématiquement, et notamment par le comportement des parquets, de contrôler et de sanctionner les violences policières dont ils sont pourtant les gardiens de la mesure et de la légalité. Indispensable à ce pouvoir minoritaire et impopulaire, police et justice ne lui ont, à aucun moment manqué. On ajoutera les excès des forces de l’ordre déployant également sans problème un zèle répressif trop souvent arbitraire pendant le confinement, puisque nous sommes arrivés à plus d’un million de procès-verbaux et d’amendes, contre par exemple 9.000 pour la Grande-Bretagne dans la même période.

… MAIS L’EXÉCUTIF MARCHE SUR LA JUSTICE
Et voilà que par leur attitude, les gens du pouvoir valident les accusations portées à l’encontre des gendarmes ayant procédé à l’arrestation d’Adama Traoré, qualifiés de racistes meurtriers, mais aussi celles portées à l’encontre des magistrats du siège, par conséquent statutairement indépendants, qui instruisent le dossier. Considérés comme soumis à la raison d’État.

C’était bien la peine de perdre votre honneur, en oubliant le service du peuple au profit de celui d’un pouvoir minoritaire.

Alors les amis, contents ? Ce dévouement sans faille dont vous avez fait preuve vis-à-vis d’Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir n’est guère payé de retour. Il témoigne de la considération qu’il vous porte, de son mépris, de l’ingratitude et la désinvolture habituelles pour ceux qui l’ont servi. C’était bien la peine de perdre votre honneur, en oubliant le service du peuple au profit de celui d’un pouvoir minoritaire. D’altérer profondément la confiance que les couches populaires doivent avoir dans leur police et leur Justice, institutions essentielles de la République.

C’est qu’en fait Emmanuel Macron n’en est pas son coup d’essai, et ce n’est pas la première fois qu’il s’assoit sur les principes dont jusqu’à nouvel ordre il devrait être le garant. Il s’était passé exactement la même chose dans l’affaire Sarah Halimi, malheureuse médecin en retraite assassinée dans des conditions atroces par un homme sous l’emprise du cannabis. Affaire dont la dimension antisémite était évidente qui avait provoqué une vive émotion dans la communauté juive. Lors de l’instruction, les magistrats qui ont été chargés ont saisi pas moins de sept experts psychiatres dont six ont conclu à l’abolition du discernement du criminel c’est-à-dire l’état de démence au moment des faits rendant celui-ci irresponsable. De furieuses polémiques ont eu lieu, magistrats et experts étant accusés d’antisémitisme, pétitions, manifestations, incendies sur les réseaux etc. Tout cela redoublant quand, après débats et réquisitions conformes du parquet, la chambre de l’instruction saisie a confirmé l’ordonnance de non-lieu. Tentative classique de faire sortir la justice de son lieu naturel le prétoire au profit de la rue.

Eh bien cette affaire, en violation du principe de séparation des pouvoirs Emmanuel Macron s’est ingéré deux fois dans le processus régulier du procès pénal. Une première fois le 16 juillet 2017 lors de la cérémonie commémorative de la rafle du Vel d’Hiv, où il demande que la justice reconnaisse le caractère antisémite du crime. Il récidive depuis Jérusalem début 2020 par un appel transparent à une cassation de l’arrêt de la cour !

L’AFFAIRE TRAORÉ
Aussi, il n’y a pas lieu d’être surpris de cette nouvelle violation de ses obligations constitutionnelles. Une fois de plus, il reprend à son compte un récit, pourtant largement sujet à caution. L’affaire Traoré, qui date de 2016, se combine aujourd’hui avec l’émotion mondiale liée à la mort de Georges Floyd, victime de violences policières aux États-Unis. Le racisme est présenté comme le moteur et la raison de ces deux disparitions, qualification qu’il faut regarder de plus près. Le 19 juillet 2016, Adama Traoré, décède à la gendarmerie de Persan à la suite d’une arrestation extrêmement mouvementée. Celle-ci avait pour origine, non pas un contrôle d’identité, mais la volonté d’interpeller le frère d’Adama : Bagui au casier judiciaire garni, poursuivi cette fois-ci pour extorsion de fonds avec violence sur personnes vulnérables (il sera pour cela condamné à une peine de 30 mois de prison ferme).

Adama Traoré et son frère n’ont pas été interpellés parce qu’ils étaient noirs mais parce que, délinquants d’habitude, ils étaient poursuivis par la justice.

À la suite de ce décès, une information judiciaire contradictoire est ouverte. L’affaire suscite une grande émotion, un certain nombre d’organisations s’en emparent et mettent en avant la sœur jumelle d’Adama Traoré, énergique et talentueuse, qui devient porteuse d’un combat contre les violences policières dans les « quartiers ». Il n’est pas question ici de détailler toutes les péripéties procédurales de ce dossier, mais de rappeler simplement deux évidences : tout d’abord la fratrie de la famille Traoré est, selon l’expression, très défavorablement connue des services judiciaires et de la gendarmerie. Ensuite, Adama Traoré et son frère n’ont pas été interpellés parce qu’ils étaient noirs mais parce que, délinquants d’habitude, ils étaient poursuivis par la justice. Cela n’excuserait en rien les violences policières s’il est établi qu’elles ont été à l’origine directe du décès. Mais il appartiendra à la justice, c’est-à-dire au juge d’instruction, aux experts désignés, au tribunal éventuellement saisi d’en décider. Enfin, normalement, dans la République française c’est comme cela que cela devrait se passer.

LE DOUTEUX PARALLÈLE FRANCO-AMÉRICAIN
Sauf qu’entrée en résonance avec l’affaire Floyd aux États-Unis, récupérée par différents courants politiques, l’affaire porte aujourd’hui un enjeu fort, qui est celui des interventions policières dans les banlieues défavorisées et du racisme qu’on leur reproche. Et comme souvent, la mobilisation politique ou communautaire relaie un récit qui vise à faire pression sur la justice pour que celle-ci reconnaisse la responsabilité des gendarmes dans la mort d’Adama Traoré, et justifie ainsi l’accusation de racisme adressé aux forces de l’ordre. « Des gendarmes racistes ont tué Adama Traoré parce qu’il était noir, les magistrats qui instruisent, les experts qui se prononcent ne sont que des serviteurs du pouvoir et de la raison d’un État raciste ».

Difficile de faire pire

Ce récit, qu’on le veuille ou non, est celui qui sert de support à la stupéfiante intervention du chef de l’État en personne oubliant une fois encore ses obligations. Probablement désireux d’une diversion face à ses difficultés politiques, il intervient dans un processus judiciaire jusqu’à présent régulier en demandant à sa garde des Sceaux de commettre une illégalité grossière en « se penchant » sur la procédure. Ce que petit télégraphiste elle fait en déployant un zèle absurde par cette audience piteusement sollicitée de la famille Traoré. Violation de la séparation des pouvoirs, partialité en faveur des plaignants, validation de leur discours, insultes faites aux gendarmes (meurtriers et racistes) et aux magistrats et aux experts (soumis à la raison d’État). Difficile de faire pire.

Mais finalement, n’y aurait-il pas une morale dans tout cela ? Voir tous ces syndicalistes policiers, tous ces responsables de la gendarmerie, tous ces magistrats une fois de plus offusqués de ce qui leur est fait, cela provoque un drôle de sentiment.

Source : Marianne

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