Ce moment où Alexandre Benalla brandit un passeport diplomatique… en garde à vue

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Alexandre Benalla et son avocate Jacqueline Laffont lors de son audition devant le Sénat le 21 janvier 2019. – Alain JOCARD / AFP
Le 20 juillet lors de sa première garde à vue, Alexandre Benalla a créé la confusion chez les enquêteurs en exhibant l’un de ses passeports diplomatiques. Est-ce un faux, ont demandé les policiers au gouvernement et, sinon, le collaborateur d’Emmanuel Macron est-il protégé ? Récit de cette étrange journée.

Lors de sa deuxième audition au Sénat ce lundi 21 janvier, Alexandre Benalla a admis avoir utilisé à 23 reprises ses passeports diplomatiques. Mais dans son dossier judiciaire, un 24e usage apparaît, cocasse, aux toutes premières heures de l’affaire. Lors de sa première garde à vue, le 20 juillet, deux jours après les révélations du Monde sur l’épisode place de la Contrescarpe le 1er mai, Benalla exhibe pour la première fois devant les policiers… un passeport diplomatique. Pourquoi pas son passeport normal ? Pense-t-il que le document « diplomatique » va impressionner les fonctionnaires ? Espère-t-il une immunité ? C’est bien possible.

Malaise dans la garde à vue de Benalla

Toujours est-il que dans les premières heures de sa garde à vue pour des faits de « violences en réunion par personne chargée d’une mission de service public », « usurpation de fonctions », « port illégal d’insignes réservés à l’autorité publique », « complicité de détournement d’images issues d’un système de vidéosurveillance », l’utilisation de ce passeport diplomatique va avoir une série de conséquences.

Comme l’atteste la cote 78 du dossier judiciaire, le document provoque un petit malaise au sein de la brigade de Répression de la délinquance contre la personne (BDRP), la brigade de police en charge de l’enquête. Avisé, le procureur de Paris s’interroge à son tour sur la question d’une éventuelle immunité. A onze heures cinquante, ce 20 juillet, comme l’atteste un procès-verbal, la commissaire de police en charge de l’enquête, sur réquisition du procureur de Paris, appelle la chef du bureau des visas et des passeports diplomatiques du Quai d’Orsay, Mme Sabine L.

Le passeport est-il un faux ?

Dans un premier temps, la policière cherche à savoir si ce passeport n’est pas… un faux. Objet de l’appel, comme elle le note dans son procès-verbal : « Vérification du passeport diplomatique de monsieur Benalla ». Mais la commissaire veut aussi savoir quelles éventuelles protections confèrent le document à son porteur. Dans un courrier officiel transmis au Quai d’Orsay aussitôt après son appel téléphonique, la policière demande donc à la spécialiste du ministère des Affaires étrangères « de bien vouloir indiquer si le passeport diplomatique n°17CD04141 attribué à monsieur Benalla Alexandre, né le 8 09 1991 à Evreux, lui a bien été délivré » et de « nous préciser le statut éventuel que lui confère ce document ».

La réponse du quai d’Orsay parvient sur le mail de l’enquêtrice de la BRDP à 17h29, le jour même. La chef du bureau des visas et des passeports diplomatiques adresse à la commissaire un long mail d’explication. Elle commence par « confirmer » que ce passeport est authentique et lui a bien été attribué le 20 septembre 2017. Elle révèle ensuite qu’Alexandre Benalla n’a pas un mais… deux passeports. « Il lui a également été délivré un second passeport diplomatique n°17CD09254, valide du 24 mai 2018 », précise ainsi le mail. La policière de la BRDP découvre au passage que ce second passeport a été demandé par Alexandre Benalla dans le courant du mois de mai, alors qu’il était sous le coup d’une sanction interne suite aux incidents du 1er mai place de la Contrescarpe. Comme le prouve ce courrier, la police et le parquet de Paris sont donc avisés de l’existence de ces deux passeports dès le mois de juillet.

« Aucune immunité » pour Benalla

Enfin, concernant une éventuelle immunité liée à ce document, la chef de bureau du quai d’Orsay est très claire : « Le passeport diplomatique n’est qu’un titre de voyage qui ne confère à son titulaire aucune immunité, que ce dernier se trouve sur le territoire national ou à l’étranger ». Plus exactement, « le régime immunitaire dont est susceptible de bénéficier son titulaire dépend des fonctions qu’il occupe ». Selon la chef de bureau, une immunité ne peut concerner que des diplomates en poste à l’étranger dans le cadre de leurs fonctions. « Pour prendre un exemple, s’il s’agit d‘un représentant de l’Etat français, il bénéficie d’une immunité de juridiction pénale étrangère pour les seuls actes accomplis dans l’exercice officiel de ses fonctions. En tout état de cause, conclut la spécialiste du Quai d’Orsay, une personne de nationalité française ne bénéficie d’aucune immunité devant les juridictions françaises au regard du droit international ».

En clair, ce 20 juillet, alors qu’il est encore en poste à l’Elysée, l’adjoint au chef de cabinet d’Emmanuel Macron ne peut se prévaloir d’aucune immunité particulière même en brandissant un passeport diplomatique. Sa garde à vue peut donc continuer normalement. Le procureur de Paris, avisé, ordonne à la police de poursuivre. Quant à Benalla, autre enseignement de cette partie du dossier, il aurait dû se souvenir que le parquet avait désormais connaissance de l’existence de ces passeports. Et aurait pu réfléchir davantage avant d’en faire usage après son départ de l’Elysée. « Une erreur », a-t-il admis devant les sénateurs. Et à la clé, une nouvelle mise en examen.

Source : Marianne

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