Budget: gels et surgels congèlent la gendarmerie

Y aura-t-il des patrouilles de gendarmerie à la Toussaint? Ou les gendarmes seront-ils contraints de rester dans leurs locaux – mais équipés de couverture de survie, alors, parce que les brigades ne seront pas chauffées? Bien-sûr, on exagère… Mais on peut s’inquiéter pour les gendarmes, après l’audition du directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), Denis Favier, le 16 octobre, devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale:

« Entre la mise en réserve de précaution et le surgel de début d’année, les crédits disponibles ont été réduits de 34 millions d’euros sur le titre 2 [dépenses de personnels] et de plus de 90 millions d’euros sur le hors titre 2 [fonctionnement et investissement]. Nous sommes dans une situation difficile. »

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Si le général Favier s’alarme, c’est que « la loi de finances initiale pour 2013 garantissait des moyens calculés au plus juste ». Le budget de la gendarmerie, c’est près de 8 milliards d’euros, dont 6,8 milliards de dépenses de personnels, et 1,2 milliards de dépenses de fonctionnement et d’investissement. En 2013, le budget prévoyait déjà une baisse de 2,8% des dépenses de fonctionnement et d’investissement (jusqu’à – 43% pour les seules dépenses d’investissement). La « mise en réserve » et le « surgel », décidés en cours d’année à Bercy pour tenir les objectifs de déficit public, aggravent encore cette situation. Trop pour le DGGN:

« Nous sommes également en difficulté pour assurer les paiements sur des lignes incontournables, par exemple les dépenses d’énergie pour lesquelles il manque aujourd’hui 16 millions d’euros. Je ne serai plus en capacité de payer ces factures à la fin du mois d’octobre. Aussi, pour continuer d’assurer le bon fonctionnement des unités, je serai conduit à reporter le paiement des loyers aux collectivités locales. » Et plus loin:  « Le budget carburants, par exemple, ne pourra pas être abondé. »

Ce sont donc les investissements qui trinquent, encore:

« Aucune commande de véhicules n’a pu être passée pour le moment alors que ces moyens sont des outils de travail quotidien, aucune commande d’ordinateurs n’a pu être réalisée pour la deuxième année consécutive. »

Généreux, Bercy a quand même débloqué… 15 millions d’euros pour la gendarmerie mobile. Pas suffisant pour le DGGN, qui joue sur la corde sensible, les zones de sécurité prioritaires (ZSP):

« J’ai besoin d’un dégel de cinq millions d’euros supplémentaires pour continuer d’engager la gendarmerie mobile, notamment dans les zones sensibles. »

Chez les gendarmes, le sentiment d’injustice est d’autant plus fort qu’ils ont lancés, en juin 2013, une « feuille de route » destinée à rationaliser et moderniser leur fonctionnement. Un train de mesures très concrètes, qui va de l’abrogation des directives inutiles à la suppression des échelons territoriaux redondants, en passant par la limitation du nombre de copies papier des procédures judiciaires. Les bons élèves du ministère de l’intérieur…

« La gendarmerie nationale en danger »

Evidemment, le députés de l’opposition ont sauté sur l’occasion. Les députés UMP de la Droite populaire ont immédiatement publié un communiqué de presse titré « La gendarmerie nationale en danger » et extrapolant un chouïa sur les propos du général Favier:

« De nombreux logements de nos gendarmes sont insalubres, les familles doivent parfois vivre dans des appartements où, faute d’argent pour le chauffage, la température chute à moins de 16 degrés. Le budget pour les opérations immobilières de la gendarmerie est de 6 millions d’euros alors que le budget pour l’hébergement des étrangers en situation irrégulière augmente de 100 millions d’euros! »

On passera sur le fait que, si « de nombreux logements de nos gendarmes sont insalubres », on peut difficilement le mettre sur le dos du surgel budgétaire de 2013, mais peut-être plutôt sur le manque d’investissement ces dernières années (mais qui donc était au pouvoir ces dix dernières années…). Les députés UMP ont malgré tout mis le doigt là où ça fait mal. D’autant plus que le ministère de l’intérieur, en dehors même du fait que tout cela s’est produit en pleine affaire Leonarda, pouvait difficilement réagir à un communiqué qui reprend les propos de l’un de ses directeurs généraux. Des propos destinés à faire pression sur le ministère du budget, avant tout.

« Dérive »

Le président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas (PS, Finistère), proche de Manuel Valls, s’y est donc gentiment collé, tapant d’abord sur la droite:

« Les députés de l’opposition oublient que les crédits votés par la droite ont baissé de 17% entre 2007 et 2012. »

Puis dénonçant tout de même cette pratique des gels/surgels:

« Pour autant, un point mérite d’être débattu : la pratique discutable dite de ‘la mise en réserve’. Cette mauvaise habitude vise à geler sur décision strictement administrative des crédits votés par les parlementaires. Compte tenu de la priorité dédiée à la sécurité, il ne serait pas compréhensible que le budget de 2014 connaisse ce type de dérive. Car le vote d’un budget doit être un exercice de sincérité: ce que les parlementaires votent doit se retrouver dans le quotidien des Français. »

Le général Favier sera-t-il entendu par Bercy? A ce jour, vendredi 25 octobre, aucune levée de la mise en réserve n’était annoncée pour la fin 2013.

Laurent Borredon

Source : Le Monde

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