Avant Gaspard Glanz : « toute une série de journalistes militants arrêtés dans l’histoire »

Entretien | Arrêté par la police puis interdit de couvrir les manifestations parisiennes par la justice, le reporter Gaspard Glanz a déclenché sans le vouloir un grand débat national sur la définition de journaliste. Une interrogation ancienne et jamais tranchée : entretien avec l’historien Patrick Eveno.

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L’arrestation du reporter Gaspard Glanz le 20 avril 2019 à Paris.• Crédits : Stéphane MortagneMaxppp
Gaspard Glanz est-il journaliste ou militant ? Peut-il être les deux à la fois ? La question agite la profession depuis que ce reporter indépendant a été arrêté à Paris le 20 avril lors de l’acte 23 des « gilets jaunes ». Gaspard Glanz a 32 ans et il couvre depuis dix ans les mouvements sociaux qui agitent la France : sommet de l’Otan à Strasbourg en 2009, manifestations contre la loi Travail, mobilisation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, évacuation de la « jungle » à Calais, mouvement des « gilets jaunes »… C’est à Calais en 2016 qu’il dit avoir découvert qu’il était fiché « S » comme membre de la mouvance « anarcho-autonome ». Il avait alors été condamné pour vol d’un talkie-walkie de la police, un fait qu’il conteste.Son cas divise l’opinion – Le Point titrait le 23 avril : « Gaspard Glanz, journaliste ou black bloc ? » -, mais le reporter a reçu le soutien de Reporters sans frontières (RSF), du Syndicat national des journalistes (SNJ), de la ligue des droits de l’Homme (LDH) et d’une vingtaine de sociétés de journalistes après sa convocation par le tribunal le 18 octobre. Ses soutiens dénoncent la décision de la justice de l’interdire de paraître à Paris tous les samedis et le 1er mai d’ici à son jugement ; une décision contre laquelle le jeune reporter a fait appel et qu’il a promis de ne pas respecter.Gaspard Glanz n’est pas le premier à remettre en cause les frontières entre journalisme et militantisme : beaucoup d’autres l’ont fait avant lui. Entretien avec l’historien des médias Patrick Eveno.Capture d’écran 2019-04-26 à 16.54.59Capture d’écran 2019-04-26 à 16.55.46La distinction entre journaliste et militant paraît évidente à certains mais il semble impossible d’arriver à un consensus sur cette question. La réponse dépend-t-elle forcément des convictions de chacun ?Des journalistes qui seraient totalement désincarnés et objectifs, en dehors de tout système politique, économique, culturel, etc., ça ne peut pas exister. Bien sûr, il y a ceux qui cherchent à faire abstraction de tout cela, qui essaient d’être le plus honnête et le plus neutre possible, beaucoup sont de ce type-là. Mais dans toutes les franges du journalisme, on en trouve qui sont beaucoup plus militants. La proportion entre militantisme et journalisme varie et parfois, elle est en déséquilibre très large.Gaspard Glanz est un militant qui fait du journalisme, qui rapporte ce qui se passe sur le terrain. Il est d’abord militant mais il est journaliste aussi. Beaucoup d’autres font comme lui et ça n’est pas nouveau. Il y en a toujours eu : souvent à l’extrême gauche ou à l’extrême droite, avec des journalistes militants ou des militants journalistes engagés pour une cause.D’ailleurs, on peut retourner l’argument contre ceux qui se prétendent non militant. On peut dire que ce sont ceux qui défendent le système, un militantisme moins visible mais qui existe aussi.Mais personne n’est là pour trancher ? Il n’existe pas d’instance pour dire « untel est journaliste, untel ne l’est pas ».

Effectivement. Mais à partir du moment où on fait de l’information destinée à un public, on fait un travail de journaliste, qu’on ait une carte de presse ou pas.

Il existe un enjeu autour de ce terme de journaliste en tous cas. Gaspard Glanz et beaucoup d’autres revendiquent ce terme. Pourquoi ?

C’est un enjeu parce qu’un journaliste s’ancre sur des faits : qu’il s’agisse de Gaspard Glanz ou d’Alexis Kraland [arrêté en même temps mais relâché], ils essaient de filmer des manifestations, des violences policières, une interpellation, dans le but de témoigner. Il s’agit d’un témoignage militant mais cela permet aux autres journalistes de se saisir du sujet pour le traiter de façon « moins militante » ou « plus professionnelle », on le dit comme on veut. Mais c’est nécessaire aussi.

De la même façon que désormais, on a des images tournées par les forces de l’ordre avec leurs caméras sur leurs casques. Il y a des versions différentes et c’est au citoyen de se faire son opinion. En démocratie, il faut qu’il y ait une pluralité d’approches pour pouvoir se faire son opinion.

Exemple d’une vidéo réalisée par Gaspard Glanz sur le mouvement des « gilets jaunes » pour son agence Taranis News.

Mais le débat n’est pas apaisé : traiter quelqu’un de militant, c’est le qualifier de propagandiste, l’inverse de journaliste.

Oui, les gens d’extrême droite ou d’extrême gauche vont s’en prendre aux journalistes des télé et radio dites « officielles », aux chaînes du service public – on va vous traiter de quasi fonctionnaires aux ordres de Macron – ou encore aux journaux qui appartiennent à des milliardaires. Ces médias là vont être considérés comme des propagandistes du grand capital ou de la présidence, donc il vont être taxés de militantisme aussi.

Tout le monde s’accuse d’être militant : ce climat illustre quoi ?

Cela illustre un déficit démocratique. Car la démocratie, c’est le dialogue et le compromis. La démocratie suppose que le vainqueur, même s’il gagne largement une élection, discute avec ceux qu’il a battu pour essayer de créer un consensus. Or, on a de plus en plus de gens en France qui considèrent qu’ils sont les seuls à avoir raison et que tous les autres ont tort.

En tant qu’historien, vous considérez que notre époque est particulièrement tendue ?

Oui mais elle n’est pas inédite. Avec mon regard d’historien, je peux vous dire que toute une série de « journalistes militants » ont été arrêtés au cours de l’histoire : Emile Pouget, syndicaliste, anarchiste, antimilitariste, arrêté et condamné plusieurs fois entre les années 1890 et 1900, Gustave Hervé, le pacifiste d’avant 1914 arrêté plusieurs fois, Marcel Cachin, le directeur de l’Humanité dans les années 20, Paul Vaillant-Couturier, le rédacteur en chef de l’Humanité, arrêté lui aussi ; plus près de nous, Michel Le Bris et Jean Pierre le Dantec qui dirigeaient la Cause du Peuple au début des années 70 et qui sont arrêtés parce que Renaud Marcelin, le ministre de l’Intérieur de l’époque, les considère comme des gens dangereux.

À l’extrême droite, François Brigneau et François Duprat, qui défendaient l’OAS, ont été arrêtés plusieurs fois. De ce bord politique, le plus connu est Charles Maurras, arrêté en 1936 après l’agression de Léon Blum et condamné très lourdement en 1945 pour apologie de la collaboration.

Vous avez des écrivains et d’authentiques journalistes qui ont été arrêtés à cause de leurs opinions. C’est le problème non seulement de la liberté de la presse mais aussi de la liberté d’expression : jusqu’où peut-on aller dans la liberté d’expression ?

Aujourd’hui, les « gilets jaunes » sont nés d’une contestation du pouvoir politique mais on a le sentiment qu’ils contestent aussi le pouvoir médiatique, accusé de partialité, de « militantisme » au fond ?

C’est le point commun de tous les mouvements sociaux : quand ils se reconnaissent mal dans les médias, qu’ils s’estiment mal compris, mal traduits, etc. Les “médias installés” mettent du temps à reconnaître des mouvements sociaux originaux – qu’il s’agisse de l’anticolonialisme, de ce qui se passait dans les tranchées pendant la Première Guerre mondiale, du mouvement de mai 68. Tous les journaux installés sont victimes de leur analyse du passé, il faut un temps de latence pour qu’ils reprennent le dialogue et reprennent une façon de traiter l’actualité un peu différente.

Mais aujourd’hui, le plus gros problème est qu’on est dans le système de Facebook, Twitter et compagnie : l’individualisation à l’extrême, on ne peut plus être d’accord avec personne sauf avec soi-même et encore, parfois, on se contredit.

Source : France Culture

Lire également : France Info – VIDEO. Arrestation de Gaspard Glanz : « Le fait de prétendre être journaliste n’est pas un permis de commettre des délits » ( Par Christophe Castaner)

Lire aussi :

Carte de Presse : Non, la carte de presse n’est pas obligatoire pour être journaliste en France

statut de journaliste professionnel : Conditions de reconnaissance du statut de journaliste professionnel

Note de la rédaction de Profession-Gendarme :

En France, l’accès au journalisme n’est pas subordonné à l’obtention d’un diplôme précis. Cependant, la Convention collective nationale de travail des journalistes affirme « l’intérêt des parties contractantes pour la formation professionnelle et souhaite que les débutants aient reçu un enseignement général et technique aussi complet que possible ».

De la sorte, le fait d’avoir satisfait à l’une des formations dites « reconnues par la profession » c’est-à-dire reconnues par la Commission paritaire nationale de l’emploi des journalistes (CPNEJ) – et d’être titulaire du diplôme de fin d’études – diminue de moitié la durée du stage de deux ans requis pour accéder au statut de journaliste titulaire. (Source  Wikipédia)

Qui est Gaspard Glanz ? : la réponse sur wikipédia

Liberté de la presse : 

La liberté de la presse est l’un des principes fondamentaux des systèmes démocratiques qui repose sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression.

Ainsi, l’article 11 de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. » L’article 19 de Déclaration universelle des droits de l’homme aussi dispose la protection de la liberté de la presse.  (Source : Wikipédia)

 

 

 

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