Autopsie de (vrais) scandales…

Comment ne pas reparler d’Adama Traoré impliqué dans 17 procédures et porteur d’un sachet de cannabis et de 1 300 euros en liquide quand il est interpellé, le 19 juillet 2016, par les gendarmes après avoir tenté de fuir, alors que ceux-ci recherchaient initialement son frère Bagui ?

A-t-on le droit de rappeler que ce même Adama était sorti de prison un mois plus tôt ?

Est-il permis de faire état du fait qu’à Beaumont-sur-Oise, la famille Traoré terrorisait le voisinage – « tout le monde a peur des frères Traoré ici » – au point que l’anonymat était exigé prudemment ?

Est-il choquant de considérer que la version des faits et de l’issue tragique constamment donnée par les gendarmes est parfaitement cohérente sauf à avoir anticipé d’emblée l’obligatoire culpabilité de ces derniers ?

J’éprouve le besoin de mettre en lumière ces données incontestables parce qu’Adama Traoré, après sa mort – et la douleur compréhensible éprouvée par sa famille – est devenu une sorte d’exemple et qu’on est tombé dans de la mythologie parce qu’il était utile à un communautarisme acharné et partial de s’en prendre obsessionnellement aux forces de l’ordre et de dresser par reconstruction un tableau idyllique d’une réalité pourtant aux antipodes.

Pour dépasser le cas d’Adama Traore, on ne peut que constater qu’en France comme aux USA, les violences réelles ou soupçonnées des forces de l’ordre ne se rapportent qu’à des individus déjà connus, ayant un passé judiciaire, prenant parfois la fuite et en tout cas, la plupart du temps, ne se laissant pas maîtriser facilement. Cet amont, ces éléments montrent que la police ne s’en prend pas à n’importe qui et que surtout ceux qui ont peur d’elle ont des motifs objectifs pour tenter d’échapper à sa mission. Mais les morts – on n’a pas à sanctifier les disparus ! – demeurent des tragédies pour ceux qui les aimaient et ne supportent pas l’idée qu’ils n’aient pas été exclusivement des « victimes », d’où l’obsession de qualifications pénales aberrantes et gravissimes.

De fait, cette reconstruction opérée par la famille Traoré largement stimulée a été couronnée de succès puisque depuis 2016, avec une forte complaisance médiatique et des soutiens politiques de gauche et d’extrême gauche, la seule relation acceptée, malgré les expertises officielles (et je les distingue des avis donnés par des spécialistes choisis par la famille Traoré : je sais ce que valent ces examens commandés par les parties pour en avoir subi à la cour d’assises), est celle que sans cesse elle ressasse et qui se résume à : les gendarmes ont tué Adama ! (Valeurs actuelles).

On prétend rechercher vérité et transparence mais à condition qu’elles soient au service des Traoré et de leurs « liaisons dangereuses » et on peut compter sur l’agilité intellectuelle et médiatique de Me Yassine Bouzrou pour qu’on souffle constamment sur les braises en évitant à toute force qu’elles s’éteignent.

Je voudrais répliquer à un argument trop fréquent qui mériterait d’être nuancé mais qui a paraît-il été repris par des commissaires de police français : le rappel du passé de George Floyd n’aurait aucun intérêt (Sud Radio). Je ne suis pas d’accord.

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Avec cette aberration maligne propagée (Mediapart) que « Floyd et Adama Traoré, même combat », alors que tout démontre – et d’abord le comportement quotidien de notre police républicaine qui en a pourtant subi depuis trois ans ! – que Minneapolis n’a rien à voir avec Bondy (Gabriel) ou Beaumont-sur-Oise et la France du maintien de l’ordre, avec ses transgressions ponctuelles racistes, avec les USA et leur structurel malaise avec la communauté noire victime et – on l’oublie – aussi coupable.

Si l’Elysée craint « un effet de mimétisme », qu’il ne s’en prenne qu’à sa politique qui est trop molle pour ce qu’elle veut avoir de fermeté et trop dure parfois pour ce qu’elle prétend avoir d’équitable !

Toute mort demeure une tragédie quelles que soient les responsabilités à son origine. Mais d’une part, dans ce qu’on nomme si mal les « bavures » policières – la police use de la force légitime mais, transgressant ses devoirs, il lui arrive de perpétrer des violences illégitimes -, il est systématique de nous occulter l’amont de l’épisode dramatique, qui est fondamental pour comprendre et analyser, et de négliger le passé et le casier judiciaires.

Pourtant ils sont de nature à expliquer la plus ou moins grande résistance à l’interpellation, la volonté de fuite ou non et, par la suite, l’exploitation médiatique et politique de tragédies où seule la police doit être incriminée. Ce n’était pas la même chose de tenter d’appréhender un Adama Traoré ou son frère ou d’interpeller un citoyen jeune ou non, inconnu des services de police, qui probablement aurait obtempéré. Avec certains, tout est risque. Avec d’autres, tout appelle la normalité républicaine.

Ce que je formule est une évidence mais on la récuse pour focaliser sur la haine de la police ou de la gendarmerie et bien sûr leur culpabilité automatique.

Le pouvoir politique est lâche. Quand Christophe Castaner, par pure faiblesse et vraie démagogie, a invoqué la liberté d’expression de Camélia Jordana (voir mon billet) alors qu’elle avait déclaré que « certains se font massacrer rien que pour leur couleur de peau », pour ne pas porter plainte contre elle au nom de la police, il a ouvert une terrifiante brèche et justifié tous les débordements ultérieurs – ceux de la chanteuse et ceux de la multitude ayant violé les règles sanitaires et proférant des slogans haineux.

L’une des soeurs Traoré brandissait une pancarte avec le nom de personnes de couleur « tuées par la police » comme si elle pouvait se permettre une telle absurdité dénonciatrice. Peut-être la même, en une autre circonstance, traitait de « racistes » les experts officiels n’ayant pas soutenu la version de la famille en les accusant d’avoir voulu s’en prendre aux Noirs (CNews) et Virginie Despentes, ailleurs, dénonçait le « privilège blanc ».

Heureusement, face à ce gravissime abandon ministériel – Christophe Castaner n’est que trop doué pour fustiger par tweets, une fois le mal fait -, il y a eu des initiatives courageuses et, on peut le dire, normales. Le directeur de la gendarmerie a apporté avec clarté et conviction son soutien à ses troupes avec la fermeté d’une autorité n’ayant pas honte d’elle-même. Une syndicaliste policière, Linda Kebbab, a porté plainte contre un militant, Taha Bouhafs, qui l’avait traitée « d’arabe de service ».

De bons exemples donnés à un Etat trop faible. Céder une fois, c’est céder toujours : la mécanique folle est enclenchée et pourquoi respecterait-on un pouvoir qui a peur d’user de ses droits quand ce serait pourtant son devoir ?

Je ne surestime pas mes billets mais, malgré l’écoulement du temps, je n’ai rien à retirer au billet de juillet 2016 – « Les Traoré forcément respectables, la gendarmerie coupable forcément! ».

Je me sens aussi l’obligation, dans un océan de démagogie et de fureurs orientées, injustes et partiales ayant quitté depuis des lustres le judiciaire pour un arrogant communautarisme, de jeter une petite pierre pour qu’au moins les citoyens de bonne foi ne se laissent pas emporter par la pression univoque d’une machine semblant irrésistible à proportion de la couardise de notre démocratie.

Elles sont directement responsables du mal qu’on fait à notre société.

Source : Philippe Bilger

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