Affaire CHASSARD : une instruction loyale du procès administratif réclamée par 4 Auxiliaires de Justice.

Une avocate et trois avocats ont déjà pris position pour que les juges administratifs utilisent vraiment leurs pouvooirs d’instruction afin de vérifier les versions des 2 parties en conflit (administrations et citoyen.nes) et afin d’établir la vérité des faits. Ecoutez Me Farge, Me Ciaudo, Me Molinié et Me Piwnica dans deux vidéos publiées sur la chaîne Canal JAC-K de notre amie Jocelyne Chassard.
J’ai découvert Me Hélène Farge, Me Alexandre Ciaudo et Me François Molinié en faisant des recherches sur Youtube : on y trouve des vidéos de colloques juridiques, des entretiens, des conférences ou des discours prononcés lors d’occasions solennelles. Pour Me Emmanuel Piwnica, j’ai lu son exposé dans un livre qui compilait les exposés présentés lors d’un autre colloque.
Ces quatre personnes sont des Auxiliaires de Justice : elle et ils ont bien conscience de la nécessité d’une instruction correcte, complète et impartiale des dossiers lorsque deux adversaires se retrouvent devant une juridiction administrative. Surtout dans le contentieux de la Fonction publique, lorsque des fonctionnaires et agents publics contestent la légalité de décisions prises à leur encontre par des administrations qui sont leurs employeurs. La justice administrative est alors comparable aux conseils de Prud’Hommes pour les salarié.es du secteur privé.
Une instruction des faits correcte, complète et impartiale est d’autant plus nécessaire et cruciale que, dans le contentieux de la Fonction publique, les fonctionnaires sont désavantagé.es par rapport à l’administration : celle-ci a le pouvoir de prendre une décision qui prend effet immédiatement tandis que les agent.es devront attendre des mois voire des années pour que cette décision soit annulée si elle était illégale ; l’administration possède aussi tous les documents relatifs à cette décision et donc toutes les preuves qui pourraient servir aux agent.es ; enfin, la parole de l’administration est encore trop souvent considérée avec plus de bienveillance que celle des fonctionnaires contestataires, par beaucoup de membres des juridictions administratives.
Les paroles de ces 4 avocate et avocats m’ont tellement soulagée et revigorée que je les ai présentées dans deux vidéos, publiées sur ma chaîne Canal JAC-K les 22 avril et 4 mai 2025. Je vous en propose quelques unes pour chacun.e de ces Auxiliaires de Justice.
Jocelyne Chassard.
Me Alexandre CIAUDO, avocat à la cour d’appel de Dijon :
« Le juge restant essentiellement un homme ou une femme de dossier il montre une réticence notable à mettre en œuvre les pouvoirs qu’il détient afin de mettre à jour la vérité judiciaire préférant trop souvent tenir pour acquis les assertions parfois fort péremptoires de l’administration défenderesse. Il aurait pourtant beaucoup à gagner en prenant le temps de faire droit aux demandes en ce sens des justiciables, lui permettant à mon sens de renverser son déficit d’image. […]
À titre d’exemple ayant exercé près de 5 ans en qualité de collaborateur d’un avocat au Conseil d’État et 10 ans en celle d’avocat à la cour j’ai personnellement conclu et plaidé des centaines de dossiers : je n’ai pourtant à ce jour pas une seule fois été confronté à une mesure orale instruction. […] En pratique les visites sur site sont extrêmement rares ; on en dénombre qu’une vingtaine ces 20 dernières années […] et qui concernent presque exclusivement des transports décidés par les tribunaux administratifs. […] En revanche les exemples jurisprudentiels sont beaucoup plus nombreux dans lesquels le juge estime qu’une visite sur les lieux demandée par le requérant n’est pas nécessaire, ou encore ne prend même pas soin de répondre à une telle demande du justiciable : ce qui confirme une fois de plus le caractère totalement discrétionnaire des mesures d’instruction.
Le constat s’avère sensiblement identique en matière d’enquête : cette enquête conduit le juge à vérifier la matérialité des faits utile à la solution du litige en auditionnant d’éventuels témoins des parties sur place ou à l’audience, et en retraçant ses auditions dans un procès-verbal également contradictoire. […] Mais le plus souvent et de la même manière, le juge administratif estime qu’une enquête à à la barre n’est pas nécessaire ou ne prend même pas soin de répondre lorsqu’elle lui est demandée.»
Source : exposé sur Les mesures orales d’instruction lors du colloque des 24-25 juin 2021 à l’université d’Orléans sur le thème Oralité dans le procès administratif :

Me Hélène FARGE, avocate au Conseil d’Etat :
« Bien sûr, la responsabilité de l’oralité pèse en grande partie sur le juge qui aura la direction de l’audience, mais les avocats ont une grande responsabilité et doivent y prendre part : ils ne doivent pas être passifs et ils doivent aussi, et peut-être surtout eux, penser à ces mesures d’instruction qui ont été mises à la disposition du juge, certes, pour approcher de la vérité, mais qui peuvent être aussi à la disposition du justiciable parce que, si elles aident et servent le juge, elles peuvent évidemment aider et servir aussi les justiciables. Donc il nous appartient à nous de savoir nous saisir de ces instruments, de savoir les solliciter et de savoir les obtenir. Dans tous les contentieux, et pas seulement dans le plein contentieux, je crois que le juge administratif – précisément parce qu’il n’a peut-être pas encore cette culture de l’oral, parce qu’il est très ancré dans cet examen très abstrait de la légalité des actes – il peut être utile et intéressant, pour lui et pour la partie qu’on défend, de susciter qu’il voie la réalité ! […] L‘avocat doit utiliser les mesures d’instruction et les obtenir pour défendre les justiciables : parfois il faut que les juges soient en face de la réalité plutôt que de l’appréhender via le prisme abstrait de l’analyse de la légalité ! […]
Donc il est très important et essentiel que les avocats puissent s’emparer et susciter, demander ces mesures d’instruction : la descente sur les lieux, l’enquête à la barre… – il faut y penser pour être certain que le juge administratif aura une vision réelle et concrète des choses, et pas seulement celle qui passe par le prisme très abstrait de l’analyse de la légalité. »
Source : exposé sur L’avocat, acteur de l’oralité devant les juridictions administratives lors du colloque des 24-25 juin 2021 à l’université d’Orléans sur le thème Oralité dans le procès administratif :

Me François MOLINIÉ, avocat au Conseil d’Etat :
« Le droit français, nourri par nos règles constitutionnelles et européennes, assure quant à lui le droit au procès équitable, étendard de plusieurs droits processuels essentiels : accès à un juge impartial, délai raisonnable, égalité des armes. […]
L’exigence de loyauté constitue également la justification de plusieurs règles essentielles du contentieux administratif […
] mais, au-delà des règles de procédure, la loyauté est aussi une exigence personnelle et collective des acteurs du procès. Elle s’impose aux magistrats administratifs, comme le rappellent les principes généraux de la Charte de Déontologie de la juridiction administrative […]. La loyauté n’est pas seulement un principe éthique et moral, elle régit l’ensemble des acteurs du procès, elle contribue au bon déroulement des procédures, elle est le gage de la confiance des magistrats et des justiciables envers les avocats comme de la confiance des justiciables envers la justice, dont la qualité repose sur la loyauté des débats. […]
Dans le procès, la déloyauté et le mensonge ont vocation à provoquer un court-circuit qui va décrédibiliser ses acteurs : il peut ruiner une thèse, tout autant que la confiance que doit inspirer un professionnel du Droit. »
Source : discours d’inauguration de la Rentrée de la Conférence de stage des avocats aux Conseils, au Conseil d’Etat, le 27 novembre 2023, sur le thème La Loyauté dans le procès administratif.

Me Emmanuel PIWNICA, avocat au Conseil d’Etat :
« La spécificité du contentieux administratif prend en considération une dimension essentielle : l’absence d’égalité entre les parties. […] L’une des parties [= l’Administration] dispose de tout : la connaissance, la compétence, les moyens. […] Tandis que l’autre [= les justiciables] n’a rien. […]
Et ce déséquilibre est particulièrement sensible en matière probatoire [= recherche des preuves] : en règle générale, c’est l’autorité administrative dont la décision est contestée qui détient les preuves. Et les »collectivités publiques opposent au citoyen deux sortes de barrage : le mutisme de leurs agents et le secret de leurs dossiers. »
Dans ces conditions, on comprend aisément que le procès ne peut être laissé entre les mains des parties […] : c’est au juge [administratif] de rétablir un peu d’équilibre, de veiller à l’égalité des armes. […] C’est une question de principe, d’abord : comment admettre que l’administré peut faire un procès à l’administration si l’égalité des armes est méconnue, si ce procès ne doit être qu’un faux-semblant, une mascarade pour simplement donner au justiciable l’impression qu’il peut faire semblant de critiquer un acte administratif devant un juge alors qu’il n’aurait pas, en fait, le pouvoir de l’annuler ? […]
La procédure administrative doit être inquisitoire. Ce n’est qu’en maîtrisant et en dirigeant pleinement l’instruction que le juge administratif peut tout à la fois [corriger] le déséquilibre inhérent au procès administratif et exercer effectivement son contrôle sur les décisions administratives. »
Source : livre Pouvoir et Devoir d’instruction du juge administratif, pages 36-37, parution en 2017 chez Mare & Martin.
https://www.lgdj.fr/pouvoir-et-devoir-d-instruction-du-juge-administratif-9782849343210.html
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