La sécurité, bien partie pour être la clé de 2022… et certains prennent une longueur d’avance

Alors que Marine Le Pen présente ce mercredi son livre blanc sur la sécurité comprenant 95 mesures, 50% des Français estiment que la sécurité locale est une question prioritaire, selon le récent baromètre Odoxa / Fiducial. Comment expliquer que cette thématique soit considérée comme prioritaire pour les futurs scrutins ?

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Atlantico.fr : D’après le baromètre Odoxa/ Fiducial, 50% des Français estiment que la sécurité locale est une question prioritaire. A ce titre elle est le thème central de la campagne pour ces élections municipales et promet de l’être à nouveau pour les élections présidentielles de 2022. Comment expliquer que la sécurité soit la thématique jugée prioritaire pour 2022 à la fois par les candidats et par les Français et ce avant, par exemple, les questions d’environnement ?

Christophe Boutin : Pour une simple question de priorité et de logique : tout simplement parce que les Français ont plus de chances d’être agressés que d’être submergés par la montée des eaux due au réchauffement climatique. La question de l’environnement est à un horizon lointain, même si on parle « d’urgence climatique » ; celle de l’insécurité est quotidienne.

Il y a d’abord une réalité de l’insécurité en France. Je ne reprendrai pas les remarquables études que Xavier Raufer fait sur ce sujet dans vos colonnes, mais rappelons que pour l’année 2019 les statistiques de la délinquance fournies par les services de sécurité, police et gendarmerie, montrent  une progression des violences sexuelles (+12%), due sans doute partiellement à une meilleure prise en compte de cette question, mais pas seulement ; du nombre de victimes de coups et blessures volontaires (+8%), et là encore, si un meilleur dispositif de prise en compte des violences conjugales l’explique en partie, ce n’est pas le seul élément ; des homicides (+8%), quand les vols sans violence augmentent, comme les agressions gratuites.

On comprend que, selon une étude d’Odoxa de janvier, 58% des Français se sentent « de temps en temps » ou « souvent » en insécurité – un chiffre qui avait atteint 66%, mais c’était en décembre 2017 -, 74% d’entre eux craignant l’attaque d’un individu isolé – sans doute l’un de ces « déséquilibrés » qu’évoquent à l’unisson administration et politiques. Une crainte qui n’est pas infondée puisque une certaine violence semble se généraliser – dans les 5 dernières années 9% des Français disent avoir été victime d’une agression physique -, mais le sentiment d’insécurité se nourrit aussi d’autres réalités : dans le même délai, 17% des Français ont été victimes de vols ou de cambriolages, 31% d’agressions verbales et 51% ont subi des nuisances sonores. Des éléments qui touchent prioritairement les jeunes (18-24 ans) urbains des catégories CSP-.

Le résultat de cette réalité et de ce sentiment est une perte de confiance généralisée. Dans le gouvernement, d’abord, puisque si 43% des Français lui font encore confiance pour lutter contre le terrorisme, ils ne sont que 23% à lui accorder cette même confiance pour ce qui est de la lutte contre la délinquance. Aurait-on plus de chance avec le pouvoir local, puisque vous évoquez les élections municipales et qu’effectivement le maire est responsable sur le territoire de sa commune de la santé, de la salubrité et de la sécurité ? Certes, le même sondage évoque un taux de satisfaction de l’action de leur maire de 61% des Français, mais le chiffre est en baisse de 4 points depuis six mois, et sur les points de l’efficacité de la lutte contre les cambriolages, les trafics et la délinquance, on tourne à peine autour des 50%. Il faudrait localement selon les Français plus de pouvoirs, plus de budget et une police municipale armée (70% y sont favorables).

Devant cette déroute des services nationaux et locaux, les Français sont prêts à voir apparaître de nouvelles formes de maintien de l’ordre, avec la multiplication d’agents de sécurité privés : si 32% d’entre eux estiment encore que le maintien de l’ordre ne devrait relever que des forces régaliennes des services de l’État, 66% envisagent une collaboration accrue de ces derniers avec des agents privés. Et face au terrorisme, ils sont prêts à 55% à des mesures d’exception entraînant une réduction de leurs libertés (Odoxa 2019).

Résumons : l’insécurité est réelle, et le pouvoir ne peut se contenter de le nier, supprimant au besoin des structures comme l’Observatoire de la délinquance. Or on rappellera que selon des auteurs comme Hobbes ou Locke, le contrat social signé entre des individus libres crée l’État avec comme premier objectif de faire cesser l’insécurité, et que si l’ordre public n’existe plus, si la sécurité des citoyens n’est plus assurée, alors le contrat social est rompu.

Ajoutons aussi que le flou qui est entretenu volontairement, par le maquillage de certains chiffres et l’interdiction d’en connaître d’autres, crée une ambiance délétère et empêche de traiter efficacement les questions. Qui sont les auteurs des vols, des agressions gratuites, des nuisances sonores ? En euphémisant (« des jeunes »…), en trichant (« les prénoms ont été changés… »), en se prétendant par exemple incapable de savoir combien d’armes de guerre illégales seraient présentes sur le territoire, l’État laisse la porte ouverte aux fantasmes les plus destructeurs pour notre société. Les Français, tous les Français, ont droit à la vérité, en matière d’insécurité comme sur d’autres points.

Marine Le Pen présentera ce mercredi son plan sécurité, Xavier Bertrand – qui ne cache ses intentions d’être candidat en 2022 – s’en est violement pris à la politique sécuritaire d’Emmanuel Macron il y a peu… En proposant déjà des solutions au sentiment d’insécurité très répandu chez les Français ces candidats potentiels aux élections présidentielles ne prennent-ils pas une longueur d’avance sur Emmanuel Macron ?

Effectivement, Marine Le Pen présente un « Livre blanc sur la sécurité » dont l’axe est clair : après avoir rappelé les chiffres de l’augmentation de l’insécurité, elle y évoque les quartiers « hors contrôles », ou plutôt, selon elle, passés sous le contrôle de pouvoirs qui n’ont que peu à faire de l’État français. L’usage pour certains de ses quartiers, par le gouvernement lui-même, de la dénomination de « Quartiers de Reconquête Républicaine » (QRR) montre bien qu’il est en fait sur la même ligne : on ne reconquiert que ce que l’on a perdu, et la république a donc clairement perdu ces zones.

La dirigeante du Rassemblement national propose ensuite pour remédier à cette insécurité le recrutement de 7.000 policiers et gendarmes et de 1.000 magistrats, la  construction de 20.000 places de prisons, la suppression des allocations familiales pour les parents de mineurs délinquants, l’expulsion de parents de mineurs étrangers ayant commis des actes d’une particulière gravité, l’armement des polices municipales – celles-ci devenant obligatoires dans les villes de plus de 10.000 habitants -, et des installations de vidéoprotection, soit un effort budgétaire de deux milliards d’euros sur cinq ans.

Quant à Xavier Bertrand, il revient régulièrement sur la thématique de l’insécurité. En 2018 il considérait qu’Emmanuel Macron était « dans le déni » sur cette question, et demandait une « réponse judiciaire plus dure » contrer la violence, notamment celle qui visait les forces de l’ordre. Mais laquelle ? Celle des manifestations qui dégénèrent ou celle de ces guet-apens organisés avec intention de tuer dans les « QRR » pas encore vraiment « reconquis » ? Même chose lorsqu’il déclare comme il vient de le faire que « nos rues sont le théâtre de violences depuis plus de 15 mois » ou que « le pays est sous tension, divisé comme rarement ». De quelles tensions et de quelles divisions s’agit-il ? « Nous avons un triste record en matière de non-recouvrement des amendes et de non-exécution des peines », conclut sur ce point Xavier Bertrand, évoquant la promesse d’Emmanuel Macron de construire 15.000 places de prison qui « ne sera pas tenue » et obligerait la Garde des Sceaux tenir compte de ce manque de place.

On le voit, les approches des deux politiques diffèrent : quand Marine Le Pen entend clairement poser la question du rapport entre délinquance et immigration, Xavier Bertrand reste lui sur une pure logique comptable et l’évocation d’une violence généralisée. Ils ont en tout cas raison de penser que la sécurité reste une des demandes prioritaires des Français, ce que tous les sondages confirment, que ce soit au niveau local – le pouvoir des maires – ou, bien sûr, au niveau national, et que cette thématique jouera encore son rôle dans la campagne des présidentielles de 2022. Prennent-ils pour autant avec ces déclarations une longueur d’avance pour cette date ? Il leur faudra certainement actualiser leur programme d’ici là, mais il est certain que, se positionnant l’un comme l’autre à droite, ils insistent ici sur une thématique régalienne qui correspond pleinement aux attentes de leur électorat. Mais cela supposerait aussi que la question de l’insécurité ne soit pas traitée par Emmanuel Macron, alors que services et ministres prétendent le contraire.

Alors que sous Emmanuel Macron le nombre de recrutement de forces de l’ordre  est en hausse comparativement aux gouvernements antérieurs, comment expliquer que la question sécuritaire se transforme aujourd’hui en talon d’Achille du Président ?

Emmanuel Macron avait dans ses engagements de campagne le recrutement de 10.000 policiers et gendarmes au cours de son quinquennat. 4.500 auraient déjà été recrutés, mais il y a un débat complexe sur l’évolution des forces de l’ordre. Si l’on prend les chiffres du budget 2020 par exemple, on a à la fois des agents en plus au ministère de l’Intérieur (+1.500) et des effectifs qui diminuent dans la police nationale (-2.500) – la gendarmerie, elle, gagnerait près de 200 postes. La question est en fait de savoir d’où viennent ces agents (recrutements ou réaffectations venant d’autres ministères au profit de l’Intérieur), et surtout ce qu’ils font (administration ou forces de terrain). Les mêmes questions délicates se posent pour le budget du ministère : il est en légère hausse (un peu moins de 100 millions d’euros), mais il s’agit essentiellement de dépenses de personnel, pour tenter de payer les conséquences du déploiement exceptionnel des forces contre les manifestations des Gilets jaunes (primes et heures supplémentaires), quand baissent les dépenses de fonctionnement et d’investissement.

Talon d’Achille du pouvoir ? Comment l’insécurité ne le serait-elle pas dans un pays où les violences augmentent sans cesse, et avec elle les crispations ; un pays où, entre « déséquilibrés », « véhicules fous », et ces couteaux qui agissent eux aussi tout seul sans doute, on a l’impression à lire la presse de s’être invités au thé du Chapelier fou d’Alice au pays des merveilles ; un pays où l’État se montre incapable de dire combien d’étrangers en situation irrégulière sont présents sur son territoire, ou combien d’armes de guerre y circulent ; un pays où les services de secours sont, sans vraies sanctions, l’objet d’attaques après avoir été appelés pour de fausses urgences ; un pays où les trafics se multiplient, au vu et au su de tous ; un pays d’où engins agricoles, bétail, métaux sous toute leurs formes (lignes électriques, statues…) prennent nuitamment la route pour d’autres destinations ?

Reste que tout cela ne date pas de la présidence d’Emmanuel Macron qui peut, et de manière tout à fait légitime, invoquer la négligence coupable de ses prédécesseurs. Soyons clair : au vu de la situation qu’il a trouvé en arrivant, n’importe quel politique aurait bien du mal à renverser rapidement la tendance. Et n’oublions pas aussi que cette insécurité peut avoir deux avantages, que nous avons vu en évoquant les choix vers lesquels se dirigent des Français désemparés. Le premier est de permettre d’imposer, au nom de sa bien hypothétique élimination, des mesures de contrôle de la population toujours plus liberticide. Le second est que le discrédit qui en résulte pour les services de l’État peut conduire à leur remplacement par des sociétés privées – et nul doute sur le fait que cette privatisation là sera rentable. En fait, une certaine insécurité permanente ne serait donc pas un handicap pour celui qui voudrait tout à la fois dissoudre l’État et renforcer le pouvoir.

 Source : Atlantico

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