« Wokisme basta » : en Corse, les crèches de Noël font de la résistance

Contrairement à des communes du continent, l’île est parfaitement à l’aise avec cette tradition, au nom d’une « culture chrétienne » menacée, selon certains, par la « logique woke ».

Julian Mattei, correspondant à Bastia (Haute-Corse). Publié le 22/12/2023 à 07h09, mis à jour le 22/12/2023 à 10h53

À cette époque de l’année, l’image est toujours la même dans le hall de la maison carrée, à Ajaccio (Corse-du-Sud). Une scène de la nativité a repris sa place sous les colonnes, à l’entrée de l’hôtel de ville, donnant à voir aux visiteurs la reconstitution d’un village miniature. Les services de la mairie n’ont pas eu besoin de préparer la réplique, en prévision d’une (très) hypothétique saisie de la justice administrative par des habitants. Ici, il n’y en a jamais eu.

Si, dans d’autres régions, les plus farouches défenseurs de la laïcité partent en croisade contre l’installation de crèches de Noël au sein des mairies, en Corse, le sujet ne provoque pas les mêmes remous. À Ajaccio, même les élus communistes de l’opposition municipale, pourtant attachés à la laïcité, n’y trouvent rien à redire. Bien au contraire : certains conseillers municipaux amènent leurs petits-enfants pour découvrir la scène de la nativité au rez-de-chaussée de la maison carrée.

« Fête populaire »

« La crèche fait partie de notre identité, de nos racines chrétiennes, et n’est absolument pas perçue comme une atteinte à la laïcité, observe Alexandre Farina, premier adjoint au maire (DVD) d’Ajaccio. C’est une tradition populaire très ancrée dans notre société. » La première ville de l’île n’est pas la seule à perpétuer cette tradition. Sur les places des villages ou dans le hall de la plupart des mairies, « U Presepiu » (la crèche de Noël, en langue corse) fait partie du décor des fêtes de fin d’année.

« De très nombreuses communes insulaires installent une crèche dans leur mairie et cela ne fait pas débat, y compris parmi les administrés, qui ne sont pas forcément de confession judéo-chrétienne », remarque Ange-Pierre Vivoni, président (DVG) de l’association des maires de Haute-Corse. Cet élu du cap Corse en sait quelque chose. Depuis son élection à la tête de la commune de Sisco, en 1989, la secrétaire de mairie, pas croyante pour un sou, s’empresse chaque année de reconstituer la scène de la nativité.

« Notre société est historiquement empreinte de culture chrétienne et d’inspiration franciscaine, estime Ange-Pierre Vivoni. Noël est une fête populaire dans laquelle même les personnes athées se reconnaissent en grande partie. La crèche fait partie de nos mœurs mais il n’y a pas de prosélytisme religieux. Comme souvent en Corse, les aspects culturel et cultuel se confondent. »

Héritage chrétien

Si l’immense majorité des habitants de l’île est à l’aise avec cette tradition, cette représentation de la nativité n’en demeure pas moins, pour des mouvements conservateurs locaux, l’un des symboles d’une identité insulaire singulière qui résiste et qu’ils entendent préserver. Quitte à imposer ce sujet dans le débat politique. Fait le plus marquant : le 8 décembre, jour de la fête de l’Immaculée Conception, une dizaine de militants de l’association culturelle et identitaire Palatinu a investi le hall d’entrée de la mairie de Bastia (Haute-Corse) pour y installer une crèche en dénonçant la « logique woke » de la municipalité autonomiste. Une banderole « wokisme basta » (le wokisme, ça suffit) a même été déployée sur les grilles de l’hôtel de ville.

Cette action s’est déroulée sans heurts mais elle illustre bien tout le poids symbolique qui est attaché à cette tradition dans l’île. Si le mouvement nationaliste d’extrême gauche A Manca Naziunale s’est insurgé, dans un communiqué, de « l’intrusion de manifestations à caractère religieux dans les lieux publics », cette opération n’a pas suscité de controverse dans l’opinion insulaire. À travers cette action, l’association entendait surtout rappeler l’héritage culturel et chrétien de la Corse « menacé », selon ses membres, par ce courant de pensée.

« La crèche de Noël est la représentation par excellence d’un christianisme culturel et populaire qui fonde un certain nombre de repères de notre société, et qui sont parfois stigmatisés sur le continent, avance Nicolas Battini, le président de cette association très active, qui promeut un nationalisme identitaire. Nous avons le sentiment qu’il y a une insertion, au sein de l’autonomisme corse, d’une pensée laïcarde qui tend à remettre en cause ces fondements. En ce qui nous concerne, nous défendons une vision de la laïcité qui respecte la foi de chacun. Sans renier la culture historique des Corses, profondément liée au christianisme. »

Source : Le Point

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