Un homme a-t-il été arrêté seulement parce qu’il avait un gilet jaune dans son coffre en allant manifester à Paris ?

1179257-prodlibe-checknewsUn gilet jaune est interpellé par des policiers lors de la manifestation du 8 décembre à Paris. Photo Marc Chaumeil pour Libération

Une convocation d’un homme interpellé samedi mentionne effectivement la simple détention d’un gilet et d’un casque, mais il circulait avec deux autres personnes (interpellées également) dans un véhicule qui transportait aussi des «outils divers et une scie à bois».

Question posée par Moulin le 09/12/2018

Bonjour,

Libération vous parlait dès ce week-end du choix des autorités, en amont de l’«acte IV» du mouvement des gilets jaunes, de procéder à des arrestations massives et «préventives», jugent plusieurs observateurs (même si le ministère récuse ce terme). Samedi 8 décembre à 11h et malgré le calme (précaire) dans la capitale, 481 personnes avaient été interpellées dont 211 placées en garde à vue, selon les chiffres de la préfecture de police de Paris. Dans une circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) envoyée en amont des événements à tous les procureurs de France, et consultées par CheckNews, on lit que «le ministre de l’Intérieur a demandé aux préfets de développer des contrôles sur les axes structurants de leurs départements (péages notamment) […]»

Casque, gilet jaune, peinture… et scie à bois

C’est précisément au péage de Dozulé (Calvados) qu’a lieu la scène qui vous préoccupe. C’est ce qu’on lit sur la convocation devant le tribunal correctionnel de Sébastien H. qui circule en ligne. Selon ce document qui lui a été remis à la fin de sa garde à vue, son arrestation a lieu le 8 décembre à 6h35. Il roule en direction de Paris pour participer à la manifestation des gilets jaunes. L’infraction commise : «participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens». Dans son coffre : «Un casque de chantier et un gilet jaune», dit le document.

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Un peu maigre, jugent de nombreux internautes. Toutefois, il n’y avait pas que ça dans la voiture. Selon sa convocation, Sébastien H. circulait avec deux autres hommes dans le véhicule. Ils ont également reçu une convocation à leur nom, pour la même audience au tribunal de grande instance de Lisieux (Calvados). CheckNews a pu consulter celle d’Eddy D, qu’il avait partagée sur un réseau social. L’heure, le lieu et le véhicule concordent avec ce qu’on lit dans celle de Sébastien H. Mais ici, il est question de la présence dans la voiture de «casques, visière, pare-pierres [protection de moto-cross NDLR], peinture jaune». Le troisième homme  également présent dans le véhicule, Pascal B., a quant à lui consenti à communiquer sa convocation à CheckNews. Il était en possession de «casques, masques, pare-pierres, outils divers et une scie à bois».

Pourquoi les objets contenus dans la voiture diffèrent d’une convocation à l’autre ? Le procureur de la République de Lisieux David Pamart répond à CheckNews : «Les éléments diffèrent pour les occupants d’une même voiture car chacun n’est pas détenteur de l’ensemble de ceux-ci. Les intéressés se sont revendiqués ou ont reconnu être possesseur de certains de ces ustensiles ou accessoires seulement.» Et est-ce le gilet jaune qui a valu à Sébastien H. une garde à vue ? Du tout, répond en substance le procureur, puisqu’il est obligatoire d’avoir un gilet dans son véhicule. En revanche : «La possession du casque de chantier pour aller manifester paisiblement nous semble poser plus de questions notamment au vu des déclarations des personnes concernées.» David Pamart refuse toutefois de donner la nature de ces déclarations.

Quant à savoir si des équipements de protection, de la peinture, des projectiles et une scie à bois suffisent à juger que leurs détenteurs prévoient, au vu de leurs «déclarations», de participer «à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens», l’audience, a priori publique, des trois hommes en juin prochain devra en décider.

Presque 80% de classements sans suite et rappels à la loi à Paris

Plusieurs personnes prévoyant de participer à la manifestation de ce week-end se sont plaintes d’en avoir été empêchées pour des motifs qu’elles estiment fallacieux. Maître Bitton raconte à CheckNews que la famille qu’il représente a passé une bonne partie de son samedi en garde à vue à Paris. Elle avait pourtant laissé dans son coffre de voiture ses casques de vélo et masques de peinture en papier, ayant entendu à la radio, en venant vers Paris, les risques encourus si elle les utilisait, assure leur conseil. Qui ajoute que le couple et leur enfant majeur s’éloignaient du véhicule quand ils ont été arrêtés. France Inter a également rencontré des personnes qui estiment avoir été empêchées de manifester sans réels motifs. Une petite dizaine de personnes ont été interpellées et n’ont pas pu embarquer dans le train Bordeaux-Paris parce qu’elles possédaient des équipements de protection et de la peinture jaune, vous explique CheckNews.

De fait, la circulaire de la DACG envoyée aux parquets de France et citée plus haut énonce bien que «la détention de certains objets par nature licites (outils, boules de pétanque, boulons, autres matériaux projetables, lunettes de piscine, aérosols…) peut contribuer à caractériser le délit de « participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou destructions »», ajoutant que «la seule détention des objets cumulée avec des indices d’un déplacement pour une manifestation peut être analysée comme une raison plausible justifiant une mesure de garde à vue […]»

Contacté par CheckNews, le syndicat de la magistrature critique vivement le recours massif à l’infraction de «participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens». «Dans ces proportions, c’est du jamais vu», estime Katia Dubreuil, présidente du syndicat. Preuve que beaucoup d’interpellations ont été opérées sans réels motifs ce samedi, selon la magistrate : «Le nombre de classement sans suite et de simples rappels à la loi» à la suite des gardes à vue.

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Effectivement, lundi soir, le parquet de Paris donnait un bilan de la manifestation du 8 décembre sur la capitale : sur les 820 personnes majeures placées en garde à vue, 481 ont vu leur procédure classée sans suite ou ont eu un rappel à la loi par un officier de police judiciaire. 160 de plus ont eu un rappel à la loi après déferrement. Ainsi, près de 8 personnes sur 10 personnes gardées à vue dans le cadre de leur participation à la manif parisienne du 8 décembre s’en sortent sans poursuite judiciaire.

Mise à jour à 17h après consultation de la troisième convocation.

Fabien Leboucq

Source : Libération

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