Tempêtes sous nos crânes

Le par Olivier Foreau

Ces dernières années, nous avons tellement progressé sur le plan émotionnel que parfois, nous ne savons plus où donner de l’aigreur. Qui pourrait décrire ce que nous avons enduré le 7 octobre, en découvrant l’agression non provoquée commise contre nos amis israéliens – et à travers eux, contre l’essence même de ce que nous sommes ? Comme toujours face à l’horreur, notre questionnement tient en un seul mot : POURQUOI ?

Tout comme l’Union Vonderleyenne, Israël est à la fois le fer de lance, et la forteresse assiégée de la démocratie : seul pays de la région à lutter de façon crédible contre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tout en violant sans relâche les conventions internationales, l’État hébreu incarne à lui seul l’ensemble de nos valeurs : quel autre État du Moyen-Orient dispose d’un camp de concentration géant équipé de miradors high tech, avec caméras dernier cri et mitrailleuses télécommandées ? Et c’est cela, c’est ce jardin au cœur de la jungle qu’on a voulu détruire, dans un accès de rage suprémaciste digne des heures les plus sombres de notre histoire.

Le droit de se défendre

Certains ont fait le parallèle entre la bande de Gaza et le ghetto de Varsovie. Il faut reconnaître qu’ils ont raison, tant le comportement fanatique et irresponsable du Hamas nous renvoie à l’attentat antiaryen de 1943, où les habitants du ghetto ont préféré s’en prendre sauvagement à leurs gardiens, quitte à mettre des vies en danger, plutôt que d’engager un dialogue constructif avec eux.

Comment ont-ils pu, du jour au lendemain, basculer dans la folie meurtrière ? D’où a pu leur venir une telle haine, alors même que des trains avaient été mis à leur disposition ? Une fois de plus, nous touchons du doigt les méfaits du racisme. Menacés d’extermination à cause de leurs origines nordiques, nos amis d’outre-Rhin ont dû se résoudre à calciner toute la zone, qui était devenue ni plus ni moins qu’un nid de terroristes.

Fallait-il qu’ils acceptent d’être massacrés sans se défendre ?

Unis face à l’horreur

Le 7 octobre, nous nous sommes réveillés dans une nouvelle réalité : il a fallu nous rendre à cette évidence difficile, qu’il n’y a plus aucune limite morale à l’expansionnisme palestinien. Comme toujours face au génocide, nous ne faisons qu’un.e.s avec les eurovictimes (et ce, d’où qu’elles viennent).

La France se devait d’être au rendez-vous, tant il est vrai qu’en moins d’un siècle, nos idéaux n’ont jamais cessé de progresser : du jour où nous avons découvert qu’il ne fallait pas déporter les Juifs, les Arabes sont devenus la nouvelle cible de notre zèle citoyen. En effet, comment ne pas être révolté par leur antisémitisme ?

On retrouve cette aptitude française à la réinvention de soi chez des figures aussi emblématiques que Maurice Papon, auxiliaire de la Shoah reconverti dans la ratonnade, ce qui fera de lui le pilier inoxydable de deux Républiques successives.

71 ans de liberté d’expression

Plus proche de nous, Christian Estrosi est lui aussi un homme d’engagements durables. Dans sa bonne ville de Nice où sur le fronton de la mairie, le drapeau ukrainien a été prestement remplacé par un drapeau israélien, il jure que celui-ci, contrairement au précédent, restera en place « tant qu’Israël n’aura pas gagné cette guerre ».

Car la vérité, c’est que nous ne pouvons plus rester neutres. Tant pis si les habituels fauteurs de paix (Russie, Chine et autres ennemis déclarés de démocratie), résolus à étouffer l’affaire, se saisissent de la première crise humanitaire venue pour exiger l’arrêt des bombardements sur Gaza : concrètement, ils nous demandent de nous ranger aux côtés de l’agresseur, et de faire comme si rien ne s’était passé.

C’est vraiment mal nous connaître. Fidèle à elle-même, la France s’est bien sûr empressée de s’opposer à tout cessez-le-feu, qui aurait risqué de sauver des vies humaines. Pourquoi une interruption des combats, quand les pogromistes sont sur le point d’être exterminés ?

Un choix difficile

En nous mobilisant pour défendre Israël contre une invasion antijuive, nous risquons toutefois de reléguer au second plan notre combat pour le peuple ukrainien, victime lui aussi d’une occupation inadmissible. Parce que nous sommes confrontés à l’Holocauste, faut-il fermer les yeux sur l’Holodomor ? Car le faits sont là : les soldats russes ont beau essuyer revers sur revers, rien n’indique qu’ils ont renoncé à violer des bébés ukrainiens.

Par ailleurs, « cela devient de plus en plus difficile » pour Zelensky,car « l’intérêt mondial pour la guerre s’est relâché » selon le magazine Time, qui laisse entendre que notre idole, devenue moins bankable ces derniers temps, serait quelque peu en perte de vitesse. Il faut dire qu’il a tellement donné de lui-même !

Est-ce bien le moment de baisser les bras ? Si nous ne volons pas au secours de l’ex-homme de l’année, Poutine aura les mains libres pour envahir le reste du monde, et peut-être même les planètes environnantes.

En France, un enthousiasme qui ne se dément pas

Seulement voilà : si pour faire s’effondrer la Russie, nous sommes toujours prêts à nous battre jusqu’au dernier Ukrainien, nos amis israéliens ont eux aussi besoin de soutien pour transformer Gaza en fosse commune. En soutenant trop mollement un nettoyage ethnique somme toute nécessaire, nous pourrions rapidement être taxés de collusion avec la barbarie, voire même de nostalgie pour les heures les plus sombres de notre histoire. Est-ce vraiment cela que nous voulons ?

Heureusement que du point de vue de nos valeurs, notre nouveau combat contre les forces obscures n’a rien à envier au(x) précédent(s). Il en est même, à bien des égards, l’aboutissement.

Convergences de nos luttes

Dans le fond, nous sommes confrontés à un seul et même défi, puisque Zelensky estime que la Russie est derrière l’attaque du Hamas, dans le but de « déclencher une troisième guerre mondiale ». Seuls les naïfs s’étonneront d’un tel degré de malfaisance : « la Russie est une grave menace pour le mode de vie européen », s’égosille depuis toujours le tee-shirt pensant, qui appelle « à stopper l’agresseur russe et ses menaces contre le monde entier ».

Mais ne nous y trompons pas, la menace mondiale que représente la bande de Gaza est tout aussi glaçante : « Si nous ne gagnons pas maintenant, alors l’Europe sera la prochaine et vous serez les prochains », prophétise Benyamin Netanyahu, notre nouveau Churchill. « Nous devons laisser les forces de la civilisation vaincre ces barbares », précise-t-il tout en carbonisant 160 enfants par jour, « sinon cette barbarie mettra le monde entier en danger ».

Dans une guerre existentielle, il importe avant tout de bien nommer les choses

« Notre combat est votre combat », conclut le démocrate suprême du Moyen-Orient. Des mots forts, qui ne sont pas sans évoquer ceux d’Ursula von der Leyen (« votre combat est notre combat ») dès le début du conflit ukrainien : il s’agit bien de la même lutte solidaire, menée par les mêmes forces civilisatrices qui ont anéanti la Libye, dévasté l’Irak et ravagé la Syrie. Une lutte pour garantir notre sécurité à toustes.

En effet, force est de constater que dans le reste du monde, souffle un vent d’insubordination contre le joug de la démocratie. « L’Occident dresse-t-il des digues suffisamment robustes pour protéger la démocratie de cette vague autocratique ? Non », mettent en garde Isabelle Mandraud et Julien Théron, auteurs du captivant Pacte des autocrates, un livre indispensable. Bref, « les murs ne seront jamais assez hauts pour protéger le jardin », comme dit si bien Josep Borrell.

D’après cette enquête précise et argumentée, 70% de la population mondiale vivent dans l’autocratie. Unis par leur haine de l’Occident, les régimes absolus de la planète se liguent pour imposer un nouvel ordre mondial. Comment ne pas voir que derrière nos amis ukrainiens et israéliens, c’est NOUS qu’ils veulent pogromiser ?

De nouvelles perspectives

En nous mobilisant pour une nouvelle cause, avons-nous changé notre regard sur le monde ? Ceux qui nous soupçonnent de versatilité devraient comprendre que du point de vue de la sauvegarde de nos valeurs, le soutien à Israël relève de l’évidence.

Il faut dire que sa pratique de l’apartheid remonte à 75 ans, ce qui lui confère un avantage indéniable en termes d’autodéfense contre la barbarie. Même si nos amis kyiviens s’en prennent avec beaucoup d’énergie aux ethnies qui leur déplaisent (russophones, Tsiganes, Hongrois, etc.), leur campagne de nettoyage démocratique dans le Donbass s’est avérée pour le moins laborieuse, comparée à celle menée sous nos yeux par les fiers combattants de Tsahal.

En recourant tous deux à des armes prohibées contre les populations civiles (à sous-munitions, au phosphore blanc, etc.), ces pays ont su faire preuve de créativité et d’indépendance d’esprit. Si comme tout le monde, nous voulons qu’Israël sorte victorieux de sa guerre contre les femmes et les enfants, il est impératif qu’il dispose des armes les plus dévastatrices possible (car malheureusement, ils sont plus de deux millions). Et le fait que Joe Biden y pourvoie avec empressement devrait suffire à faire taire les sceptiques.

Ce qui a changé depuis le 7 octobre, c’est que sur des populations sans défense, les armes du Monde Libre prouvent enfin leur efficacité. En Ukraine, on avait déjà pu voir que le matériel de l’OTAN s’avérait plus performant contre les habitants de Donetsk ou de Belgorod que contre l’aviation et l’artillerie russes, qui détruisent à peu près tout.

Sur le plan économique, les Russes nous ont aussi beaucoup déçus : en dépit d’efforts surhumains de notre part, ils se sont montrés particulièrement difficiles à affamer – contrairement aux Gazaouis qui n’ont déjà plus rien à manger, grâce au blocus savamment orchestré par les forces du progrès et de la civilisation.

Assumer nos valeurs

À en croire certaines rumeurs (émanant de l’ONU, de l’UNICEF, etc.) il y aurait à Gaza un nombre relativement important de victimes non adultes. « Gaza devient un cimetière pour les enfants », va jusqu’à déclarer le secrétaire général de l’ONU.

S’il est vrai que nos amis israéliens tuent en masse des enfants, il faut admettre qu’ils ont de solides raisons de le faire. Car contrairement à nous, les Arabes ne restent pas des enfants toute leur vie. Et chacun peut comprendre que plus ils grandiront, plus ils deviendront un danger pour la démocratie.

Pour Céline Pina, ardente défenseuse des valeurs qui sont les nôtres, les petits palestiniens ont sacrément de la chance, puisqu’ils « ne mourront pas en ayant l’impression que l’humanité a trahi tout ce qu’ils étaient en droit d’attendre ». Qui ne rêverait pas d’être à leur place ?

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Force est de constater que malgré tout ce qu’ils ont fait, il y a une réelle sollicitude envers les Gazaouis. « Le but c’est aussi de libérer la population de Gaza des dictateurs, des assassins du Hamas », explique BHL : il s’agit de débarrasser les Palestiniens du gouvernement qu’ils ont élu, sans s’être rendu compte que ce n’était pas le bon. En les aidant à se révolter contre leur propre choix, c’est bel et bien une intervention humanitaire que mène Israël, d’ailleurs Julien Dray ne mâche pas son enthousiasme face à cette guerre de libération, où Tsahal largue des bombes sur les hôpitaux « pour que le peuple palestinien puisse avoir un État ».

Le problème, c’est que certaines instances internationales refusent de voir la réalité en face. Amnesty continue d’appeler à un cessez-le-feu immédiat, et des experts de l’ONU vont jusqu’à parler de violation éhontée du droit international, de crime de guerre et même de grave risque de génocide : des mots durs, voire blessants pour la seule démocratie de la région.

On conçoit que le représentant permanent d’Israël à l’ONU, Gilad Erdan, à bout de patience, réclame la démission immédiate d’Antonio Guterres, l’accusant d’être « compréhensif face au terrorisme », et que Lior Haiat, porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, qualifie Amnesty International d‘ « organisation antisémite  (…) travaillant pour les terroristes du Hamas ».

En invoquant (même pour rire) le respect des droits humains, ne risquons-nous pas de faire le jeu des extrêmes ? Heureusement, Caroline Fourest et Bernard Guetta nous expliquent comment nous devons réagir.

Face à l’émotion qui brouille le discernement, Caroline Fourest opère sur BFMTV une distinction intellectuelle et morale qui permet d’y voir plus clair : il est important de comprendre que contrairement aux criminels ordinaires, Israël « tue des enfants involontairement en se défendant » ce qui, admet-elle, peut sans doute « entraîner de la tristesse » : en effet, il faut être singulièrement malchanceux pour assassiner plus de 5000 enfants sans le faire exprès.

Pour couper court à toute confusion, Bernard Guetta tient d’abord à rappeler le sens des mots : « tout massacre, même de 10000, 15000 ou 20000 personnes, ce n’est pas un génocide. Le génocide, ce n’est pas une question de nombre de morts ». Il est vrai qu’a priori, on voit mal quel rapport il peut y avoir entre le meurtre à grande échelle de civils désignés comme des animaux humains, et une forme quelconque de génocide.

L’hymne bouleversifiant des jeunesses israéliennes

Car « le génocide », plaide Guetta avec véhémence, « c’est une volonté d’exterminer un peuple dans son entier ! ». Sommes-nous en train d’assister en direct à l’éradication du peuple palestinien ? « Il est trop tôt pour en arriver à cette conclusion », s’empressent d’objecter les « spécialistes des violences extrêmes » interrogées par Le Devoir, pour qui « cette volonté n’est pas présente pour le moment ».

Malgré tout, nombre de responsables israéliens ne font pas mystère d’une telle volonté, qui n’a finalement rien de blâmable : “Ne pas laisser pierre sur pierre à Gaza” – “Incinération totale” – “Annihiler Gaza maintenant”, suggère Moshe Feiglin, membre du parti de Benyamin Netanyahu ; « Gaza deviendra un endroit où aucun être humain ne pourra exister », veut croire Giora Eiland, ancien chef du Conseil de sécurité nationale ; « Effacez-les, ainsi que leurs familles, mères et enfants », recommande Ezra Yachin, vétéran de l’armée israélienne. « Ces animaux ne sont plus autorisés à vivre » ; « Ce ne sont ni des êtres humains ni des animaux humains. Ils sont sous-humains et c’est comme ça qu’ils devraient être traités », résume Aryeh Yitzhak King, maire adjoint de Jérusalem.

Inutile de souligner combien de telles déclarations s’inscrivent dans les valeurs que nous défendons, tant l’apologie du crime de masse est non seulement le mode d’expression habituel d’une démocratie comme la nôtre, mais l’essence même de son message au monde. Dans quel régime autoritaire oserait-on vanter à la télé un projet d’épuration ethnique (LCI, 05/01/2023), ou qualifier les citoyens russes de cafardstout en appelant à raser leurs monuments culturels ?

La France, un pays où on peut toujours rêver

De même, on ne voit jamais de pays autocratique offrir une standing ovation parlementaire à un ancien membre de la Waffen-SS, se mobiliser à l’ONU pour défendre la glorification du nazisme, ou encore se féliciter publiquement du meurtre de 500.000 enfants irakiens.

Autant dire que les propos de Bernard Guetta, qui laissent entendre que nos amis israéliens sont tout juste bons à commettre de vulgaires « massacres », mais n’auraient pas l’envergure suffisante pour se lancer dans quelque chose de plus sérieux, posent question : combien de morts faut-il à Bernard Guetta pour qu’il admette l’État hébreu dans la grande famille des démocraties ? Même si on espère qu’ils ne sont pas intentionnellement antisémites, des propos comme les siens n’ont guère leur place dans des médias comme les nôtres.

Une initiative audacieuse

Plus que jamais, se posent à nous les questions de toujours : face à la complexité des enjeux, quelle est l’attitude appropriée ? Autrement dit comment prendre position, tout en évitant de le faire ? Comment s’exprimer, tout en ne s’exprimant pas ?

Fort de l’indépendance d’esprit qui le caractérise, le monde français de la culture a choisi de manifester « en silence » « une autre façon de s’exprimer parce qu’on n’y arrive pas », confie dans un souffle Julie Gayet, mobilisée à fond contre la vocifération des extrémismes. En effet, quoi de plus opportun que le mutisme pour « porter la voix de l’unité », et « retisser maille à maille les tissus déchirés de nos rues » ?

« Nous avons opté pour une neutralité absolue » déclare avec force Lubna Azabal, présidente du collectif « Une Autre Voix, Ensemble », qui terrassée dans son humanité face à une guerre dont nous sommes les témoins impuissants, ne supporte plus d’entendre ce terrible bruit tout autour.

Résolus nous aussi à nous recentrer sur notre humanité, réussirons-nous à prendre suffisamment de hauteur pour ne plus rien entendre, ne plus rien voir, et surtout pour ne plus rien dire ?

Source : Normalosphère

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