Policiers et gendarmes dégainent leur arme de plus en plus souvent

7882092_bb64966a-b04e-11e8-bfbd-ad85a6f6e574-1_1000x625Depuis le début de l’année, ces tirs des forces de l’ordre ont entraîné le décès de 11 personnes et 18 autres ont été blessées. LP/Philippe Lavieille

Le nombre de tirs d’armes à feu par les forces de l’ordre a bondi, avec notamment une hausse de 54,5 % des tirs policiers entre 2016 et 2017. Décryptage.

Les forces de l’ordre françaises font de plus en plus souvent usage de leur arme. Plus d’une fois par jour en moyenne : selon nos informations, au moins 485 cas d’usage du pistolet de dotation, le SIG-Sauer, ont été recensés en 2017 par les policiers et les gendarmes.

Le 30 août, vers 20 heures, un automobiliste recherché est mortellement touché par une femme gendarme à un barrage dans le Gard. Le 23, à Trappes (Yvelines), un homme est tué par les policiers après qu’il a tué au couteau sa mère et sa sœur. Le 14, une course-poursuite dans Paris se solde par la mort du conducteur s’étant dérobé à un contrôle. Le 12 mai, un djihadiste est neutralisé après un assassinat à l’arme blanche dans le quartier de l’Opéra à Paris. Un autre est abattu à Trèbes (Aude) en mars. Depuis le début de l’année, ces tirs des forces de l’ordre ont entraîné le décès de 11 personnes, 18 autres ayant été blessées, selon des chiffres fournis par la police et la gendarmerie.

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Un durcissement des conditions d’exercice du métier

« Une situation qui ne peut laisser indifférent », reconnaît Marie-France Monéger-Guyomarc’h, cheffe de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Depuis qu’elle dirige la « police des polices », elle a beaucoup œuvré pour plus de transparence en la matière. Le dernier rapport public de l’IGPN révèle une hausse de 54,5 % des tirs d’armes à feu entre 2016 et 2017.

Les sept premiers mois de l’année montrent une inflexion (-17,4%), mais les statistiques demeurent élevées. Signe d’une utilisation décomplexée du pistolet ou conséquence d’un regain de violence contre les forces de l’ordre ? Pour Marie-France Monéger-Guyomarc’h, l’explication ne fait pas de doute : « La courbe de l’usage des armes à feu est à la hausse, mais celle du nombre de policiers mis en cause pour non-respect de la légitime défense, elle, reste stable. » Autrement dit, la recrudescence de tirs serait avant tout la conséquence d’un durcissement des conditions d’exercice du métier.

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Une grande partie intervient lors de contrôles routiers. En forçant le passage, les conducteurs récalcitrants mettent en danger la vie des femmes et des hommes chargés du contrôle. Selon la direction de la police, entre 2015 et 2017, le nombre de « refus d’obtempérer » a bondi de 33 %, pour atteindre 12 000 par an.

« Le plus souvent, il s’agit de gens dépourvus d’assurance, ayant perdu leur permis ou sur le point de le perdre, alcoolisés, sous l’emprise de stupéfiants ou cumulant le tout », analyse la responsable de l’IGPN. La direction de la gendarmerie, qui habituellement ne révèle pas ses propres chiffres, confirme une hausse de 15 % d’usage des armes « en situation opérationnelle », ces cas passant de 79 à 91 entre 2016 et 2017.

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« Il faut mettre ces statistiques en perspective avec l’augmentation de 83 % des agressions avec arme contre les gendarmes constatée au cours de ces cinq dernières années, avec un pic de 1 154 faits l’année passée », insiste Maddy Scheurer, porte-parole de l’institution.

« Après les attentats de 2015, nous sommes une cible »

Côté police, l’inflexion de la courbe des tirs remonte à l’automne 2016. Est-ce un hasard ? C’est précisément le moment où les flics de terrain échaudés par le manque de moyens et les drames en série (assassinat par un djihadiste d’un couple à Magnanville en juin, attaque aux cocktails Molotov à Viry-Châtillon en octobre…), manifestent leur ras-le-bol dans la rue.

« Après les attentats de 2015, tout a changé, analyse un père de famille, depuis vingt ans sur le terrain. Nous sommes une cible. Toute voiture qui refuse de s’arrêter est perçue comme une arme potentielle. Qui se trouve à l’intérieur ? Un conducteur inquiet à l’idée de perdre ses derniers points ou des émules des frères Kouachi ? Le discours de notre moniteur de tir a évolué. Il nous rappelle de faire attention à notre peau. Mais, pour autant, je ne connais pas un collègue qui rêve de sortir son flingue. Pas un. »

Le SIG fait désormais partie du quotidien depuis que les fonctionnaires sont autorisés à la porter, y compris hors service, pour être à même d’intervenir en cas d’urgence terroriste.

Le tir autorisé en cas de « périple meurtrier »

La persistance de la menace djihadiste et l’accroissement du sentiment de vulnérabilité lors des contrôles ont sans doute une incidence lorsqu’il s’agit de décider d’appuyer sur la détente. Mais qu’en est-il de la notion de « légitime défense », récemment retoilettée ?

En février 2017, de nouvelles dispositions sont venues élargir le cadre de l’ouverture de feu. La loi du 28 février 2017 autorise désormais à tirer en cas de « périple meurtrier », « en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée » et cela « dans le but exclusif d’empêcher la réitération […] d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis ».

Par exemple lorsque des personnes armées « menacent leur vie ou celle d’autrui, ou encore leur intégrité physique », lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement des véhicules dont les occupants sont « susceptibles de perpétrer des atteintes à la vie » dans leur fuite, ou encore pour empêcher la « réitération » d’un ou de plusieurs meurtres venant d’être commis.

Ce texte n’aurait pour l’instant été retenu qu’à deux reprises. Récemment dans l’affaire de Trappes. Et en août 2017 à Châlette-sur-Loing (Loiret) : un schizophrène, qui affirmait avoir posé des bombes dans la ville, a été tué dans son dos alors qu’il s’enfuyait au volant de sa voiture. Quelques mois plus tôt, les policiers du Loiret auraient sans doute été mis en examen.

Les prémices d’une « dérive à l’américaine »

Pour le sociologue Christian Mouhanna, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, le débat sur la légitime défense a forcément pesé : « Les policiers anticipent les lois à venir. Ils se disent qu’ils ont le droit puisque c’est en gestation ».

« Mais ne nous y trompons pas, prévient-il. La tendance actuelle s’est amorcée il y a des années avec la généralisation des armes dites alors non-létales, comme le taser ou le flash-ball. On a accoutumé les policiers à sortir plus facilement leurs armes. »

Le sociologue qualifie la tendance actuelle d’« inquiétante », y voit même les prémices d’une « dérive à l’américaine ». D’autant que, selon Christian Mouhanna, « la police est très peu contrôlée. Les procureurs ont peur de poursuivre les policiers, tant et si bien qu’ils se montrent bienveillants avec les actes commis. Le nombre de condamnations demeure très faible. »

Ce recours à l’arme n’est cependant pas une spécificité française. En Allemagne, le nombre de tirs contre les personnes a pratiquement doublé depuis 2015, provoquant 14 décès l’année dernière, d’après les statistiques de l’Académie de police de Münster.

Source : Le Parisien

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