Pandémie et carences de l’État : les voies judiciaires pour en demander raison

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La responsabilité juridique personnelle des décideurs publics est une question essentielle. Depuis une trentaine d’années, les lois et la jurisprudence ont cerné les conditions dans lesquelles élus et fonctionnaires pouvaient être poursuivis devant les juridictions pénales.

Face à la crise dramatique que traverse notre pays, et devant l’évidence de la carence, de la désinvolture et de l’irresponsabilité qui ont caractérisé et caractérisent toujours l’action des gouvernants et des hauts fonctionnaires, il est indispensable de clarifier aujourd’hui quelles sont les voies judiciaires qui seront ouvertes aux victimes et aux citoyens pour demander raison.

Beaucoup d’initiatives ont lieu actuellement, Atlantico m’a demandé d’essayer de clarifier un peu afin d’éviter la confusion. On pourra retrouver l’interview directement sur leur site.

Sans utiliser d’argument d’autorité, je vais simplement rappeler que cette matière a fait partie de mon cœur de compétence professionnelle. Nourrie d’une pratique trentenaire assidue, de la rédaction de plusieurs ouvrages et d’un enseignement à l’université de Paris II.

Atlantico.fr :  « L’heure n’est pas à la polémique »  et pourtant plusieurs procédures pénales ont dores et déjà été lancées contre le gouvernement. En cause, sa mauvaise gestion de l’épidémie de coronavirus. Une accusation qui, si elle planait déjà, a été aggravée par les révélations d’Agnès Buzyn la semaine dernière. Alors que l’épidémie de coronavirus perdure, un certain de nombre de plaintes – 5 d’après le quotidien Le Monde – ont déjà été envoyées à la Cour de la justice de la République. N’est-ce pas encore trop tôt pour demander des comptes et des réparations ?

Régis de Castelnau : Sur le plan judiciaire, ces procédures lancées exclusivement contre les ministres en saisissant la Cour de justice de la République n’ont aucun intérêt. Sur le plan médiatique, et par conséquent politique elles sont au contraire importantes et nécessaires.

Je m’explique : la gestion de la crise par le gouvernement et par l’État depuis le début du mois de janvier a été, chacun le sait bien aujourd’hui, calamiteuse. Les aveux pleurnichards d’Agnès Buzyn n’en sont finalement qu’une confirmation. Comme j’ai déjà eu l’occasion de m’en expliquer dans vos colonnes, le comportement de nos dirigeants a été marqué par l’impréparation, la désinvolture, le cynisme, et beaucoup de leurs actes relèvent de l’application du code pénal. Homicides par négligences, mise en danger délibéré de la vie d’autrui, non-assistance à personne en danger, détournement de biens (disparition des stocks de masques et de chloroquine) nous avons affaire à un véritable florilège. Mais il faut bien comprendre que ce sont toutes les chaînes de commandement de l’État qui sont impliquées. Il n’y a pas que les ministres, Jérôme Salomon par exemple est un haut fonctionnaire. Or saisir directement la Cour de Justice ce n’est viser que les ministres puisque cette juridiction est justement prévue pour les juger eux. Le directeur général de la santé relève quant à lui des tribunaux ordinaires. Le processus normal serait de saisir directement les parquets qui alors demanderaient l’ouverture d’informations judiciaires et la désignation de juges d’instruction. Si dans le cours de celle-ci apparaissent des faits susceptibles d’être reproché aux ministres, cette partie du dossier serait alors transmise à la Cour de Justice. Il y a un autre problème celui de la recevabilité des plaintes déposées en général. Si j’ai bien compris par des organisations syndicales ou associatives qui à mon sens n’ont pas d’intérêt pour agir en se constituant partie civile. L’article 2 du code de procédure pénale est très clair :

«L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction. »

Ce sont donc bien les victimes ou leurs proches qui devront déposer les plaintes le moment venu. C’est-à-dire quand la justice sera en capacité de les recevoir et de les traiter.

En revanche je peux comprendre les démarches actuelles dont les médias se font l’écho. Il me semble que les principaux objectifs sont d’abord d’appeler l’attention des Français sur la responsabilité de ces politiques et fonctionnaires claquemurés dans leur sentiment d’impunité. Ensuite de faire peser sur les épaules de cette caste, le poids de ses responsabilités qu’elle exerce normalement au nom de la nation et pas au service de leur petite carrière.

Et l’argument selon lequel il conviendrait d’attendre la fin de la crise pour faire les comptes, pour favoriser l’union nationale est une imposture. C’est au contraire le moment de dire à ceux qui nous gouvernent que nous les regardons, que nous allons faire notre devoir, mais que nous leur demanderons des comptes sur la façon dont ils ont rempli le leur. Et que dans l’appréciation, le fait qu’ils se soient ressaisis pourra être porté à leur crédit.

Donc les procédures pénales actuelles n’ont pas d’utilité judiciaire, mais elles sont un signal politique fort. Nous n’oublierons rien.

En revanche les procédures administratives qui fleurissent ces temps-ci devant Conseil d’État ont-elles, utilité immédiate. En effet il est possible de demander à la haute juridiction de délivrer des injonctions au pouvoir gouvernemental afin qu’il prenne enfin les mesures qu’impose la situation.

Une fois le gros de l’épidémie derrière, il apparaît clair que le gouvernement devra rendre des comptes. Quels hauts responsables de l’Etat risquent d’être mis en cause et par le biais de quelles procédures ?

Régis de Castelnau : Comme je viens de vous le dire, il y aura deux sortes de mis en cause susceptibles d’être poursuivi devant les juridictions pénales.

En application du principe de la séparation des pouvoirs, le juge de droit commun ne peut pas juger les ministres ayant commis des fautes pénales dans l’exercice de leurs fonctions. Il s’agit bien évidemment de fautes commises dans l’exercice précis de leurs responsabilités. Si un ministre dans une crise de colère à son domicile tue son conjoint à coups de revolver, il sera bien évidemment justiciable de la cour d’assises. En revanche si un ministre de l’intérieur participe à la décision de maintenir le premier tour d’une lecture municipale et ordonne à ses collaborateurs de l’organiser (l’organisation du scrutin est une compétence municipale exerçée au nom de l’État) malgré l’évidence du risque mortel que l’on fait courir à la population ainsi appelée aux urnes, cette violation grossière de l’article 221–6 du code pénal relèvera bien de la Cour de Justice de la république. Mais, tous les fonctionnaires de la chaîne de commandement et tous ceux qui ont été impliqués dans les fautes commises pourront voir leur responsabilité pénale recherchée devant le juge judiciaire. Et à ce stade il convient de tordre le cou à une légende selon laquelle obéir aux ordres seraient exonératoire de responsabilité pénale. L’article 28 du statut de la fonction publique prévoit effectivement un devoir d’obéissance pour le fonctionnaire, mais aussi sa contrepartie, le devoir de désobéissance. Celui-ci doit être appliqué dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. La plupart des absurdités qui parsèment la gestion par ce gouvernement de la crise relevaient pour les fonctionnaires qui les ont accomplis du devoir de désobéissance. Ils devront donc en répondre.

Seront par conséquent exposés au moment de la reddition pénale des comptes sur la gestion de la pandémie, les ministres et les hauts fonctionnaires.

Emmanuel Macron, le décideur final est protégé par son immunité présidentielle.

Risque-t-on, une fois la crise passée, de se retrouver face à un scandale qui pourrait être comparable à celui de l’affaire du sang contaminé ?

Régis de Castelnau : La jurisprudence est pleine de décisions relatives à des gestions d’accident intervenu en matière de sécurité civile. Mais il est clair que la pandémie Covid19 est une catastrophe sans précédent. Les seules affaires qui peuvent peu ou prou s’y rattacher sont celles de l’amiante, de la vache folle, de l’hormone de croissance et surtout du sang contaminé. Dans cette dernière, il était reproché au directeur du Centre National de Transfusion Sanguine d’avoir continué à distribuer du sang infecté par le virus du sida sans qu’il ait été chauffé au préalable, technique connue qui aurait permis d’inactiver le virus. Michel Garretta fut lourdement condamné par la juridiction correctionnelle. Mais en parallèle trois ministres dont Laurent Fabius furent jugés par la Cour de la justice de la République pour n’avoir pas mis en place suffisamment à temps une réglementation rendant obligatoire le chauffage du sang.

C’est donc dans ce cas de figure que nous nous retrouverons lorsque la justice pénale se sera emparée de la gestion de la tragédie. Les fonctionnaires et toutes les autres personnes impliquées dans les fautes pénales commises pourront être poursuivies devant le tribunal correctionnel. Les ministres et le premier d’entre eux Édouard Philippe, auront à répondre de leurs actes devant la Cour.

Quant au scandale, compte tenu de ce que l’on sait déjà, il sera sans commune mesure avec celui du sang contaminé. Et ce d’autant que si certaines infractions relèveront des atteintes involontaires à l’intégrité humaine, il y en a malheureusement d’autres qui semblent se rattacher plutôt à des comportements malhonnêtes. Il faudra que l’on sache où sont passés les stocks de masques, où sont passés les stocks de chloroquine, pourquoi l’État renoncé à faire respecter le confinement dans certaines cités. Là on parle de détournement de biens publics et de mise en danger délibéré de la vie d’autrui.

Source : Vu du Droit

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