Mort de la gendarme Myriam Sakhri à Lyon en 2011 : l’interview bouleversante de ses soeurs

Le 24/10/2023 à 17h21

Nadhira Sakhri, sa sœur cadette, se fait la porte-parole de la famille. Elle a accepté de répondre à nos questions.

@Le Nouveau Détective

Voilà désormais douze ans que Myriam Sakhri, une jeune gendarme de la région lyonnaise, s’est « suicidée ». Officiellement du moins. Car pour ses proches, notamment ses soeurs, ce scénario demeure inconcevable. Elles sont persuadées que la militaire de 32 ans a été « supprimée » parce qu’elle dénonçait le harcèlement de sa hiérarchie. Nadhira­ – aidée­ de sa sœur Hassina­ et d’une amie de la fratrie, Zineb – se fait la porte-parole de la famille pour défendre cette conviction. Entretien. 

LND : Parlez-nous un peu de votre sœur… 

Nadhira : Pour moi, une anecdote résume sa personnalité forte et attachante. Myriam avait 16 ans quand un chat s’est coincé dans un égout. Elle a appelé les pompiers, qui lui ont répondu qu’ils ne se déplaçaient pas pour les animaux. Ils ont ajouté : « Si vous n’êtes pas contente, venez nous voir. » Le lendemain, elle y est allée. Et elle est devenue pompier !

À 16 ans ?

Oui ! Elle ne pesait même pas 60 kilos ! Elle a appris à former les jeunes et elle a fini caporal-chef. Dans l’intervalle, elle est entrée dans la gendarmerie. Il faut dire que les casernes étaient voisines l’une de l’autre. Elle avait besoin d’aider les gens. C’était une vocation chez elle. 

Une ambition, aussi ? 

Son but était de gravir tous les échelons. Pour y parvenir, elle s’est inscrite en fac de droit et elle a passé le concours d’officier de police judiciaire. Elle visait l’excellence. Elle est passée successivement par les brigades de Cannes, Rillieux-la-Pape et Neuville-sur Saône, où tout se passait bien pour elle. Son origine maghrébine ne semblait pas poser de problème. 

Mais quand elle est entrée au CORG, le Centre d’opérations et de renseignement de la gendarmerie, tout a changé… 

C’était en 2010. Elle récupérait d’une blessure au genou. Incapable d’aller sur le terrain, elle a intégré provisoirement ce service, à la caserne Delfosse, à Lyon, où elle a découvert un rythme de travail très différent. Les gendarmes du CORG gèrent les appels d’urgence. Ils peuvent passer douze heures d’affilée derrière un téléphone, avec des gardes de nuit. Et c’est là que tout de suite, ou presque, on l’a harcelée… 

Comment ça ? 

À peine arrivée, elle a entendu des gendarmes répondre à des usagers en détresse : « Tu ­rappelleras quand tu sauras parler français. » Certains traitaient leur interlocuteur de « bougnoule » ou de « youpin ». Ça l’a choquée. Elle l’a dit. Et on l’a mise à l’écart. Il a suffi de quelques pourris. Elle a aussi constaté de graves manquements professionnels chez ses collègues, qui refusaient par exemple de se déplacer sur des accidents mortels. Elle en a alerté le colonel en décembre 2010. Mais ça n’a fait qu’amplifier la cabale contre elle… 

Que subissait-elle exactement ? 

Certains de ses collègues ont commencé à ne plus lui dire bonjour ou à colporter des rumeurs sur son compte. Ils disaient que c’était une fille facile. Myriam était très jolie, et certaines femmes en ont peut-être rajouté par jalousie. D’autres ne digéraient sûrement pas qu’elle ait réussi sa formation d’OPJ avec facilité. À partir de là, c’est elle qui a essuyé les insultes. « Bougnoule », « feignasse »… On jetait son tapis de sport par la fenêtre. On l’épiait. Son colonel surveillait qui lui rendait visite. On connaissait plus ou moins ses faits et gestes… 

Vous en a-t-elle parlé dès cette époque ? 

Oui, elle en parlait à tout le monde. Elle se demandait jusqu’où ça irait. Un jour que des ouvriers devaient changer sa baignoire, elle m’a demandé de les surveiller, parce qu’elle craignait qu’on la mette sur écoute…

On est donc loin du cliché de la victime de harcèlement isolée qui ne se confie pas… 

Très loin ! D’autant plus qu’elle dînait souvent chez nos parents ou chez nos sœurs. 

Mais elle a ensuite été mutée à la brigade d’Irigny. Ça n’a pas arrangé les choses ? 

Pas du tout. Irigny est une toute petite brigade proche de Lyon. Sa mauvaise réputation l’a suivie ! Son nouveau capitaine l’espionnait et racontait tout au colonel de la caserne ­Delfosse. En bonne militaire, Myriam a voulu éviter de faire un scandale, elle a suivi la voie hiérarchique pour se plaindre de son traitement. Puis elle a compris qu’on la poussait vers la sortie.

Comment ça ? 

On essaye de monter un dossier contre elle. Par exemple, une fois, Myriam a montré une cellule de détention à une mineure interpellée qui venait de causer 15 000 euros de dégâts chez un artisan. C’était pour lui faire peur ! Mais son capitaine a jugé qu’il s’agissait d’un abus de pouvoir, et il a incité les parents de la gamine à porter plainte ! Une autre fois, on lui a reproché d’avoir emprunté l’ordinateur d’un supérieur pour effectuer une recherche. Elle avait pourtant son autorisation ! On la convoquait à tout bout de champ pour lui faire des reproches et la pousser à la faute. Elle a fini par porter plainte pour harcèlement et discrimination. Elle était déchirée entre son devoir de réserve et son envie de médiatiser sa situation. Elle pensait qu’en parlant, elle rendrait service aux futures recrues. Mais elle n’en a pas eu le temps…

Comment avez-vous appris sa mort ? 

Le matin du samedi 24 septembre 2011, elle ne s’est pas présentée au travail. Des gendarmes sont allés voir chez elle (Myriam habite alors à la caserne, N.D.L.R.). Mon neveu m’a contactée. Il m’a dit : « Elle est morte. » J’ai répondu aussitôt : « Ils l’ont tuée ! » C’était une certitude. Très vite, de nombreux détails l’ont confirmé. Par exemple, un des gendarmes a déclaré qu’elle s’était tiré une balle dans le ventre et qu’on l’avait retrouvée ­recroquevillée sur elle-même, alors qu’elle a été ­retrouvée à demi allongée sur le canapé du salon ! Ce n’est pas pareil ! On a dit que son chien ­Glasgow était resté enfermé avec elle. Mais on l’a retrouvé sans son collier, qui a mystérieusement disparu, et sans une goutte de sang sur le pelage… Tout cela est incohérent. Nous pensons qu’il s’agit d’un montage. Un meurtre déguisé en suicide. 

D’où vous vient cette conviction ?

D’abord du fait qu’elle ait reçu une balle dans le foie. Myriam avait vu assez de morts par balles dans sa vie pour savoir qu’une balle dans le foie tue lentement et douloureusement. Pourquoi se serait-elle infligé une telle agonie ? Ensuite, la balle présentait une trajectoire descendante, comme si elle avait été tirée par un tiers qui la dominait. Et puis on a retrouvé son arme à sa gauche. Or Myriam était droitière… 

Ce n’est pas une preuve irréfutable… 

Il y a plus troublant encore ! Nous n’avons pu accéder à son appartement que six mois après les faits. Sur place, nous avons trouvé une deuxième douille coincée dans le canapé. Que faisait-elle là ? On nous a expliqué qu’elle provenait sans doute des tests effectués durant l’enquête. Je n’y crois pas. On ne fait pas ce genre de tests à balles réelles sur une scène de crime. Et puis, pour un gendarme, ramasser ses douilles, c’est le b.a.-ba ! 

Mais ce mot, nous ne l’avons jamais vu ! Impossible de dire si c’était bien son écriture. Un pompier dépêché sur place qui connaissait Myriam ne l’a pas vu non plus ni même le pistolet. Mais comme il était proche d’elle, il n’a pas été auditionné. Pas assez objectif, paraît-il ! Quant au médecin légiste qui a effectué les différents constats, c’était un proche du colonel de la caserne Delfosse… Des bizarreries comme ça, il y en a plein d’autres dans l’enquête ! 

Par exemple ?

Le jour de la mort de Myriam, c’est d’abord la brigade de Bron qui est passée chez elle, pour récupérer son ordinateur et son téléphone. Quand l’inspection générale est passée ensuite, après l’ouverture d’une information judiciaire, tout avait déjà été touché, pollué… Sur les photos prises lors de ces deux visites, on voit par exemple que le sac à dos de Myriam a été déplacé. 

Vous pensez que la brigade de Bron a pu volontairement brouiller les pistes ?

Forcément, elle est sous les ordres de ce même colonel ! J’ai l’impression que tout a été fait pour opacifier les choses. Après un suicide, on rend généralement assez vite les affaires de la victime à sa famille. Or, douze ans après les faits, nous n’avons toujours pas récupéré l’ordinateur et le téléphone de ma sœur ! Je pense qu’ils contenaient des éléments à charge contre ceux qui la harcelaient. Mais tout a probablement été effacé. Quand nous avons demandé une copie des données, ils nous ont adressé… une photocopie du CD qui les contenait ! L’image du disque ! En plus, ils se moquent de nous… 

Nadhira nous parle encore de nombreuses zones d’ombre dans l’enquête. Personne n’aurait entendu le coup de feu mortel à la caserne, qui compte pourtant 200 logements. Un morceau de peau prélevé sur le corps de Myriam, pour déterminer si le tir avait été effectué à bout touchant, n’a jamais pu être analysé, au prétexte qu’il aurait été détérioré lors de son transport. Les deux tasses à café sales retrouvées dans son évier n’ont jamais été expertisées. Les bandes de vidéosurveillance du bâtiment jamais visionnées. Quant au listing précis des appels téléphoniques passés par la jeune femme les heures précédant sa mort, on le cherche toujours… 

Il y a tout de même eu deux enquêtes de l’IGGN, l’Inspection générale de la gendarmerie nationale, qui concluent toutes deux que votre sœur s’est suicidée… 

Deux enquêtes bâclées ! Le suicide, nous, on n’y croit pas. Myriam n’avait pas de problèmes, ni familiaux, ni sentimentaux, ni financiers. Et puis elle avait le caractère trop trempé pour se tuer. Elle avait contacté des associations et des avocats pour dénoncer sa situation. Elle était prête à se battre. Elle était dans l’action. Une de nos sœurs l’avait d’ailleurs prévenue : « Attention, ne reste pas seule chez toi, ou ils vont te tuer et faire passer ta mort pour un ­suicide. » Elle avait répondu : « Je ne leur donnerai pas ce plaisir ! »

Malgré un non-lieu confirmé en cassation, vous avez obtenu en 2020 la réouverture de la procédure judiciaire…

Nous y sommes parvenus grâce à des attestations de gendarmes. Avec le temps, certains ont fini par se sentir coupables. Les langues se sont déliées. D’anciens collègues de Myriam ont contacté notre avocat, Me Vincent Brengarth. 

Que disent-ils ? 

Ils reconnaissent avoir subi des pressions pour éviter de se rendre aux obsèques. Et ils n’étaient pas réellement au courant de l’enquête, qui se déroulait en interne. Un nouveau juge d’instruction les a auditionnés entre 2022 et 2023. Nous devrions savoir le 24 novembre prochain si un procès aura lieu. 

Alors pourquoi vous exprimer dès à présent dans nos colonnes ? 

Pour que l’opinion publique mette la justice sous pression ! J’ai même fait une vidéo pour interpeller le président de la République. Moi, je m’exprime dans les médias. Les gens ne sont pas bêtes, vous savez ! Tout le monde se pose des questions sur cette affaire. 

Comment la résumeriez-vous aujourd’hui ?

Notre vérité se cache dans leur silence. Myriam gênait, parce qu’elle était en train de devenir une lanceuse d’alerte. Nous sommes à son image. Nous restons dignes mais nous ne lâcherons rien. Les responsables devront répondre de leurs actes. Ou il faut désespérer de la justice…

Propos recueillis par Nissrine Hossne.

Source : Le Nouveau Détective

Lire également : L’affaire Myriam Sakhri vue par Profession Gendarme.

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