Molins ne sera pas super procureur

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En novembre prochain, le procureur de la République François Molins achèvera sa septième année à la tête du parquet de Paris.(Christophe Archambault/AFP)

Les attentats de 2015 en ont fait une star. Mais François Molins ne dirigera pas le nouveau parquet national antiterroriste.

Sans précédent pour un procureur de Paris, François Molins est le plus connu des magistrats, en France et même à l’étranger. La consécration des consécrations, il l’a obtenue avec son visage en gros plan à la Une du magazine Society en avril 2016 avec ce commentaire : « Molins superstar. Il s’est imposé comme l’homme auquel les Français aiment se raccrocher depuis les attentats. » Entendez ceux de Charlie Hebdo et du Bataclan en janvier et novembre 2015. C’est pourquoi, lorsqu’en décembre dernier, la garde des Sceaux Nicole Belloubet a dévoilé son projet de création d’un parquet national antiterroriste (PNAT), les observateurs ont immédiatement pensé que le poste était forcément taillé pour lui. Et pour personne d’autre. Renforçant cette conviction, François Molins a effectué un virage à 180° sur cette nouvelle structure : d’abord hostile en 2016, accusant même les promoteurs du projet d' »ignorance » et de « mauvaise foi » dans les colonnes du Monde, il y est devenu favorable en 2017. De là à le soupçonner de changer d’avis parce qu’il convoite le poste, il n’y avait qu’un pas que beaucoup ont franchi.

La règle couperet des sept ans

Et pourtant non. L’Express peut affirmer que François Molins ne sera pas le futur procureur antiterroriste. Et ce pour au moins deux raisons. La première tient au calendrier et aux règles de carrière des magistrats. Le PNAT ne devrait pas voir le jour avant début 2019, même si le projet de loi est inscrit au menu du Conseil des ministres du 18 avril prochain. Or, en novembre 2018, Molins terminera sa septième année à la tête du parquet de Paris. Le 4e alinéa de l’article 38-2 de l’ordonnance de 1958 sur le statut de la magistrature dit clairement que nul ne peut exercer plus de sept années la fonction de procureur de la République d’un même tribunal. Et, selon la Chancellerie, comme le futur procureur antiterroriste sera l’un des trois chefs de parquet au sein du tribunal de Paris, la règle couperet des sept ans s’appliquera bien. « L’intéressé a bien compris que la loi l’oblige à quitter la juridiction dans huit mois », nous confie-t-on dans son entourage.

La loi pourrait-elle être modifiée afin de permettre à François Molins de rester dans le ressort du tribunal de Paris ? A la Chancellerie, cette hypothèse n’est absolument pas envisagée. Et si le législateur en prenait l’initiative, rien ne prouve que le procureur Molins souhaiterait en profiter. Le parquet de Paris se compose de 119 postes de magistrat à temps plein alors que le futur PNAT n’en compterait qu’une trentaine. On imagine mal François Molins passer de l’un à l’autre alors qu’il s’agirait, de fait, d’une rétrogradation. Les Français devront à partir de l’automne prochain s’habituer à ne plus entendre la voix rocailleuse de ce montagnard du Sud-Ouest leur délivrer des informations sur les terroristes et leurs actes de barbarie.

Conférence de presse de François Molins le 18 nov 2015

Succès et turbulences

Que deviendra la superstar Molins ? Pourrait-il faire le grand saut en devenant procureur général près la Cour de cassation, le plus haut poste du parquet ? Tout à fait possible. L’actuel titulaire, Jean-Claude Marin, qui fut précédemment procureur de Paris, a été frappé par la limite d’âge de 68 ans en août dernier, mais a été maintenu en fonction jusqu’au 30 juin 2018. Ce serait une belle fin de carrière pour Molins, magistrat hors normes qui aura 65 ans en août prochain, dont le parcours a été parsemé de succès, mais aussi de quelques difficultés politiques.

Petit retour en arrière. Entré dans la magistrature en 1979 comme substitut du procureur de Carcassonne, François Molins se révèle entre 2004 et 2009 comme procureur de Bobigny, deuxième parquet de France, confronté à la délinquance de la banlieue parisienne, celle des jeunes du « 9.3 ». Il y développe ses méthodes de chef d’équipe et son caractère très exigeant : de la « bible Molins », un recueil de directives de politique pénale, à la cohésion de groupe renforcée au cours de stages de ski et d’escalade en montagne. Les substituts qu’il a formés sont même surnommés les « bébés Molins », comme un réseau de fidèles.

Un « sous-marin à Paris » ?

Repéré par des politiques de droite, il se laisse aspirer Place Vendôme comme directeur de cabinet de deux gardes des Sceaux : Michèle Alliot-Marie et Michel Mercier, de 2009 à 2011. Ce ne sont manifestement pas les deux meilleures années de sa vie professionnelle. A commencer par son élévation de grade obtenue en octobre 2009, avec un gain de 463 euros par mois, annulée par le Conseil d’Etat en raison d’un recours du Syndicat de la magistrature (gauche). Très vite, une fonction opérationnelle à la tête d’un parquet lui manque. Six mois avant la défaite de Nicolas Sarkozy, il est catapulté procureur de la République de Paris, poste le plus sensible des juridictions judiciaires, mais la décision est contestée.

« Autrefois, on nommait son cheval », ironise alors le Syndicat de la magistrature, accusant Molins d’être « un sous-marin à Paris », allusion à son prédécesseur Jean-Claude Marin, étiqueté chiraquien. Tout aussi critique, l’Union syndicale des magistrats (majoritaire) qualifie la nomination du directeur de cabinet Molins au parquet de Paris de « signal désastreux » pour l’indépendance du corps. Au point que François Hollande l’exploite face à Nicolas Sarkozy dans le débat télévisé de l’entre-deux-tours.

La voix des attentats

En mai 2012, le procureur Molins se trouve donc fragilisé par l’arrivée au pouvoir de la gauche… jusqu’à son coup de maître du 8 janvier 2013. En ouvrant une enquête préliminaire sur un compte en Suisse frauduleux à l’encontre de Jérôme Cahuzac, sur la seule foi des révélations de Mediapart, le parquetier gagne brillamment son assurance-vie. Si le pouvoir socialiste évinçait Molins, la droite l’accuserait de sanctionner le tombeur d’un ministre, de faire « une chasse aux sorcières ». Un coup à gauche, un coup à droite.

Un an plus tard, l’intouchable Molins ouvre une enquête préliminaire, puis une information judiciaire, sur les comptes de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012, la fameuse affaire Bygmalion. Après quelques années de turbulences, Molins regagne donc haut la main ses galons d’indépendance et d’impartialité. Avant de devenir « la voix des attentats » pour les Français et un expert consulté par les gouvernants, des ministres au locataire de l’Elysée. Signe de ses talents ? Il aura deux successeurs, le procureur de Paris et le nouveau procureur antiterroriste, certainement choisis en très haut lieu.

Source : L’Express

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