Mobilisation pro-Gaza aux États-Unis : une émotion pas vue « depuis la guerre du Vietnam »

Le 03 mai 2024 à 06h02

Depuis deux semaines, les mobilisations de soutien à Gaza se multiplient dans les universités américaines. Pour Julie Reuben, historienne et professeure à Harvard, il existe des similarités avec de précédents mouvements de protestation dans le pays.

Aux États-Unis, la guerre à Gaza enfièvre les campus. (Caroline Brehman/EPA)

Quels ont été les principaux mouvements de manifestations étudiantes aux États-Unis ?

La plus grande période de manifestations étudiantes aux États-Unis, et dans de nombreux autres pays, a été celle des années 60. Cela a commencé en 1964, et de 1968 à 1972, elles ont été très nombreuses. (…) Elles concernaient les droits civiques, les droits des étudiants, les libertés, etc., et un gros sujet était la guerre du Vietnam.

Il n’y a pas eu d’autre période où l’on a connu six années de manifestations intenses sur divers sujets dans de très nombreux campus aux États-Unis. C’est une période unique. Mais, depuis, les manifestations sont fréquentes. Parfois, elles sont modestes et portent sur des problèmes locaux ; parfois, elles prennent une ampleur nationale (…). Comme les manifestations pour le désinvestissement d’Afrique du Sud.

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Les manifestations actuelles sont-elles comparables ?

L’appel au désinvestissement d’Afrique du Sud s’est heurté à une forte résistance, il a fallu des années de militantisme pour que de nombreux campus se désengagent. Les gens ne pensaient pas nécessairement que c’était une bonne chose pour les universités. Mais il n’y avait pas de divisions très marquées à ce sujet. Ce n’était pas un sujet chargé d’émotion, sur lequel les gens avaient des désaccords profonds.

Je pense que les manifestations des années 60 ressemblaient davantage à cela. La guerre du Vietnam était un sujet très controversé. Beaucoup pensaient qu’il s’agissait d’une guerre immorale (…). Mais de nombreux étudiants, au début de la contestation, pensaient aussi qu’il était anti-américain de protester contre la guerre.

La situation à Gaza suscite également de fortes divisions émotionnelles. Et c’est quelque chose que nous n’avons pas vraiment vu depuis la guerre du Vietnam. Je pense aussi que l’intérêt porté en dehors des campus aux manifestations, ainsi que la condamnation des étudiants, est une chose qui était très forte lors des manifestations contre la guerre du Vietnam, où il y a eu beaucoup de critiques de l’extérieur, beaucoup de pressions politiques pour les faire taire. Et c’est également ce que nous constatons aujourd’hui.

Et en matière de nombre de manifestants ?

Ce n’est pas l’ampleur que nous avons connue au plus fort des années 60 (…). Mais la vitesse à laquelle le mouvement s’est répandu sur de nombreux campus est, je pense, très frappante.

Les institutions ont commencé à se rendre compte qu’il valait peut-être mieux tolérer les manifestations

Quelle a été la réponse des universités, hier et aujourd’hui ?

Ce jeudi, la police a commencé à démanteler un campement érigé à l’Université de Californie à Los Angeles. (Allison Dinner/EPA)

Dans les années 60, les dirigeants des universités étaient scandalisés que des étudiants osent organiser de telles manifestations. La répression a été très forte. (…) Mais, en fin de décennie, une tendance est aussi apparue : plus la répression des manifestations était forte – intervention de la police, arrestations d’étudiants -, plus elles prenaient de l’ampleur. Les institutions ont commencé à se rendre compte qu’il valait peut-être mieux tolérer les manifestations, (…) que cela les ferait disparaître plus vite. Donc, à partir des années 70 – et je pense que cela s’est poursuivi jusqu’à une période assez récente -, les universités ont souvent réagi aux protestations par des mesures disciplinaires, mais pas vraiment sévères.

Il est donc frappant de constater que tant d’universités font appel à la police aujourd’hui, car c’était une réaction très courante dans les années 60, et je pense que beaucoup de gens admettent que ce n’était pas une réaction gagnante.

Source : Le Télégramme

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