Michel Onfray: « Le système ne se laissera pas confisquer le pouvoir qu’il a réussi à voler au peuple »

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« Le populisme est », selon Michel Onfray, « la réponse des victimes malheureuses de la mondialisation dite ‘heureuse’par les prétendus progressistes. » ©BELGAIMAGE

Le philosophe dénonce « la violence libérale » et l’écologie des « bobos urbain ». La colère populaire est légitime mais le « système » ne rendra pas le pouvoir au peuple.

À l’heure où la France n’en finit plus de tenter de s’extraire de la crise des Gilets jaunes qui cristallise un profond mécontentement social, c’est un Michel Onfray combatif et particulièrement mordant qui monte au créneau pour dénoncer « la violence libérale » et l’écologie « des bobos urbains ». Prenant la défense d’une colère populaire, selon lui, légitime, le philosophe normand, passé maître dans l’art de la polémique, stigmatise la confiscation du pouvoir par un système qui l’a volé au peuple.

Interview
par Simon Brunfaut

Comment définissez-vous le mouvement des gilets jaunes?

C’est le retour du refoulé de la violence libérale que l’État maastrichien impose aux populations les plus fragiles depuis le Traité de 1992. Ajoutons à cela le mépris de la parole populaire exprimée lors du référendum de 2005 car les acteurs de la démocratie représentative se sont empressés de jeter cette parole souveraine aux orties avec le Traité de Lisbonne de 2008.

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Ce mouvement demande de la démocratie directe contre la confiscation du pouvoir par le dispositif qui se dit représentatif. Il demande également du pouvoir d’achat afin de faire face à la cherté de la vie organisée par le capital. Il souhaite aussi de la dignité car on l’en prive depuis plus d’un quart de siècle. Il veut ce que la déclaration de droits de l’homme lui a promis: le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple et la décision de l’assiette, de l’étendue et des affectations de l’impôt.

Voyez-vous des similitudes avec d’autres mouvements sociaux à travers l’histoire?

Je relis ces temps-ci les pages des histoires de la Révolution française qui concernent ses prémices. C’est très intéressant. On y voit bien que ce sont de petites choses qui mettent en branle de grosses choses: le peuple ne fait pas la Révolution pour appliquer la république de Rousseau plutôt que celle de Montesquieu, mais pour du pain, du lait et du savon… L’enclenchement de la violence se fait avec le refus du Roi de répondre politiquement aux revendications et par la récupération de la parole populaire par les Jacobins, puis Robespierre. Nous ne savons pas vers quoi nous allons, mais la rigidité autiste du très jeune président de la république laisse craindre le pire.

L’indignation et la colère sont-elles des moteurs politiques suffisants?

Quoi d’autre sinon? L’Histoire a pour moteur essentiel les passions et non la raison. C’est ensuite, quand les historiens ou les philosophes l’écrivent, que l’Histoire donne l’impression d’obéir à des lois. En fait, elle obéit à des passions: colère et ressentiment, haine et envie, jalousie et convoitise. « L’homme est un animal frappeur » écrivait Schopenhauer. Il a raison, il ne faut jamais l’oublier…

En France, le Grand Débat National vient de se mettre en place. Le pouvoir politique a-t-il la volonté et la capacité d’entendre le peuple?

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Il ne veut pas l’écouter. Macron l’a dit: il prétend organiser « un Grand Débat » mais précise en amont que la ligne politique ne changera pas… À quoi bon dialoguer alors? Il répond aux revendications légitimes par une débauche de répression et de violences qui stupéfie et sidère bien au-delà des sympathisants des Gilets jaunes.

Macron est le VRP de la politique libérale de l’État maastrichien: il a été placé là par un système médiatico-politique afin d’imposer son ordre, il effectue le job.

Les médias doivent-ils faire leur auto-critique? Comment la réaliser?

N’attendez jamais d’un journaliste qu’il vous dise qu’il s’est trompé : il serait professionnellement mort…

Jamais les coupables n’effectuent d’autocritique de leur plein gré: de l’Inquisition chrétienne médiévale aux retropédalages médiatiques de ceux qui avouent un prétendu « langage inapproprié » après une attaque médiatique du politiquement correct, en passant par les procès staliniens ou maoïstes, ceux qui avouent s’être trompés ne le font jamais que sous la contrainte. N’attendez jamais d’un journaliste qu’il vous dise qu’il s’est trompé: il serait professionnellement mort…

Croyez-vous à une internationalisation croissante du mouvement des Gilets jaunes?

Elle existe, il faut se reporter à l’article wikipédia qui établit la liste des pays de la planète dans lesquels des Gilets Jaunes se sont manifestés. C’est très impressionnant.

Est-ce la fin de la démocratie représentative? Comment mettre en place une démocratie plus directe?

L’avenir le dira mais les tenants du système pseudo-représentatif ont des ressources: l’argent, le pouvoir, les médias, donc les moyens d’acheter, de réprimer, d’endoctriner. En face, les Gilets Jaunes n’ont rien d’autre qu’une parole éclatée, des figures hétérogènes, des débats d’egos entre « représentants » autoproclamés, fractionnement entre une ligne prête à collaborer avec le pouvoir et une autre prête à lui résister, une ligne pacifique et une autre qui est violente. Le système ne se laissera pas confisquer le pouvoir qu’il a réussi à voler au peuple.

Le référundum est souvent brandi comme une solution. En Grande Bretagne, c’est un référendum qui a mené au Brexit. Quelle est votre interprétation de ce choix?

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C’est la volonté du peuple et ce qui m’étonne est moins que le peuple ait fait savoir qu’il voulait se désengager de cet État maastrichien — c’est son droit le plus strict puisque, comme tous les peuples en démocratie, il est souverain — que les contorsions faites par les eurocrates qui, nonobstant une fois de plus l’expression populaire, font tout pour que ce Brexit n’ait pas lieu: de la création du concept de « Brexit light », qui dit tout, au refus pur et simple d’organiser cette sortie voulue par le peuple sous prétexte que, pour se séparer de l‘Europe, il faudrait qu’on obtienne son autorisation de l’Europe, en passant par le matraquage médiatique des scénarios catastrophes en cas de sortie. On ne peut mieux signifier qu’il s’agit d’un mariage forcé.

Dans ce contexte, l’Europe apparaît de plus en plus fragilisée et incapable de se renouveler. Un autre projet européen est-il possible?

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Je persiste à croire que personne n’est anti-européen en Europe mais que c’est une performance de propagande que d’avoir réussi à établir l’équation: « pour l’Europe libérale = pour l’Europe », « contre l’Europe libérale, parce qu’elle est libérale, et non pas parce qu’elle est Europe = contre toute Europe, donc pour le nationalisme, donc pour la guerre! ». L’idéal européen, c’est une Europe des Nations avec une monnaie commune, et non unique, avec une conservation de la souveraineté par les États. Un contrat de mariage, autrement dit: le contraire du mariage forcé…

Le populisme gagne du terrain un peu partout dans le monde. Un passage obligé et inévitable pour les démocraties contemporaines?

Je ne souscris pas à ce mot « populisme » parce qu’il procède des éléments de langage de l’État maastrichien qui s’en sert pour enfermer le débat politique dans un manichéisme qui opposerait « populisme » à « progressisme » comme le camp du mal au camp du bien. Que ceux qui se proclament eux-mêmes « progressistes » estiment qu’on peut louer le ventre des femmes afin de mieux pouvoir acheter des enfants en dit long sur la nature des progrès invoqués! Pour ma part, j’oppose plutôt les « populistes », qui ont le souci des peuples, aux « populicides », qui veulent s’en débarrasser. Par ailleurs, que le populisme, qui est souci des peuples, revienne au-devant de la scène internationale n’est pas étonnant: il est la réponse des victimes malheureuses de la mondialisation dite « heureuse » par les prétendus progressistes.

De nombreuses « Marches pour le climat » mobilisent actuellement les citoyens. La crise écologique peut-elle être résolue autrement que par une remise en question profonde du système capitaliste?

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L’écologie est récupérée par les bobos urbains libéraux en mal de religion civique: « sauver la planète » est leur mantra. Si tel était vraiment leur souhait, pourquoi alors s’acharner sur les individus modestes que l’on culpabilise de polluer avec leurs vieilles voitures, de dégrader la planète avec leurs déchets, de la détruire avec leurs nourritures, tout en épargnant la classe supérieure avec ses voyages en avion, sa consommation excessive de métaux rares et très polluants à laquelle oblige la multiplication de leurs ordinateurs, de leurs portables, de leurs instruments domotiques, de leurs écrans et de leurs maisons multiples? Ou même avec le moteur électrique de leurs voitures hybrides qui pollue plus qu’un diesel si l’on prend en compte le coût écologique des métaux rares qui le composent et qui s’avèrent impossibles à recycler. À quoi il faut ajouter que ces moteurs obligent à pérenniser le nucléaire sans lequel ces écologistes ne pourraient pas recharger leurs batteries, les énergies renouvelables ne le permettant pas…

L’écologie mondaine qui fait la loi politique de nos démocraties maastrichiennes ne concerne que les bobos diplômés qui vivent dans les villes et qui ignorent ce qui distingue un veau, une vache, un taureau, un bœuf, une amouillante, un taurillon…

Si vraiment on voulait une écologie qui ne soit pas de surface ou qui serve de variable d’ajustement électoral pour faire basculer la droite libérale ou la gauche libérale dans le camp des vainqueurs, alors il faudrait effectivement un véritable programme de décroissance anti-libérale.

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