Manifeste pour une refonte de la législation sur les sociétés
Par Valérie Bugault|7 mai 2021
Manifeste pour une refonte de la législation sur les sociétés : vers la codification Napoléonienne du droit de l’entreprise.
« Il est des temps où l’on est condamné à l’ignorance parce qu’on manque de livres ; il en est d’autres où il est difficile de s’instruire parce qu’on en a trop ». Portalis
La notion juridique de société, en particulier de capitaux, fait l’objet d’un nombre conséquent de textes, diversement situés dans la hiérarchie des normes et d’un nombre non moins conséquent de jurisprudence. Cette réalité cache une carence de fond : ni la nature juridique, ni l’identification claire des différentes composantes de la société de capitaux, ni les relations fondamentales entretenues entre elles par ces différentes entités ne sont définitivement et clairement tranchées. Nous ne manquons pas de textes techniques, mais nous manquons de textes structurant les notions de personne morale et d’entreprise. De quoi est composée une entreprise, qu’est-ce qui fait son existence, à partir de quel moment peut-on considérer qu’elle n’existe plus en tant qu’entité autonome ? Les réponses existent mais elles sont disparates et ne sont pas considérées de façon globale comme formant un ensemble cohérent.
D’une façon générale, la notion légale de société en tant que personne morale, dont les formes se sont considérablement diversifiées et complexifiées depuis la société civile du code de 1804, ne traite pas de façon claire la question fondamentale de la place respective de l’activité, des employés, des détenteurs du patrimoine professionnel ainsi que de la nature et de l’étendue des liens qui unissent, différencient et individualisent ces différents éléments.
Une personne morale peut-elle exister indépendamment des éléments qui la font vivre, c’est-à-dire qui lui permettent de remplir son objet social ? D’ailleurs, est-on légalement bien sûr de ce qu’est « la vie d’une personne morale » ? En bonne logique, la notion de vie et de mort d’une personne morale ne devrait pas varier en fonction des questions posées ou des impôts applicables. Quelles sont les limites légales des droits et devoirs de chaque entité composant l’entreprise ? quels sont les recours de chaque entité entre elles ?
Si la société est une institution, la loi qui l’instaure doit naturellement prévoir et réguler les interactions des différentes composantes de la société de façon originale, c’est-à-dire indépendante des autres branches du droit. Si l’entreprise a la nature juridique d’un contrat, alors le droit des contrats devrait s’appliquer sans aucune autre contrainte. En droit positif, la société est tantôt institution, tantôt contrat, ce qui induit une incertitude théorique et subséquemment une insécurité juridique.
S’agissant des sociétés de capitaux, les actionnaires peuvent-ils être considérés comme des tiers par rapport à ladite entreprise ? Dans un système où l’essentiel de la notion d’associé est compris dans l’affectio societatis (société de personnes), il semble difficile de considérer que les associés sont des tiers par rapport à l’entreprise. A l’opposé, dans un système considérant que les associés, appelés actionnaires (sociétés de capitaux), sont essentiellement des apporteurs de capitaux, il semble possible de considérer que ces derniers sont des tiers par rapport à l’entreprise. Si l’actionnaire est un tiers par rapport à l’entreprise, il pourrait, en cas d’atteinte à ses droits légaux (lesquels devraient être légalement identifiés et circonscrits) comme tout tiers lésé, prétendre à une indemnisation s’il subit un préjudice du fait du fonctionnement de l’entreprise. En revanche, si l’actionnaire n’est pas un tiers par rapport à l’entreprise, cela signifie qu’il fait partie intégrante de celle-ci et ne peut dès lors pas lui demander des comptes à raison de son fonctionnement, sauf à en réclamer la dissolution.
Qu’en est-il dans notre système juridique s’agissant des sociétés de capitaux ? Le rôle exact de l’actionnaire n’est pas légalement tranché : d’un côté l’actionnaire est un apporteur de capitaux, sa responsabilité est d’ailleurs limitée à son apport, et, d’un autre côté, l’actionnaire participe à la vie de l’entreprise, c’est-à-dire aux grandes décisions la concernant, par le biais de sa présence aux Assemblées Générales.
Dans la vraie vie, tout le monde sait qu’il y a deux types d’actionnaires : d’un côté, les actionnaires majoritaires qui valident la stratégie d’entreprise proposée par les dirigeants qu’ils ont préalablement choisis, et, de l’autre côté, les minoritaires, qui n’ont pas réellement leur mot à dire concernant la stratégie politique suivie par l’entreprise, sauf en négatif pour bloquer ou refuser certaines décisions.
La codification de ces différents rôles de l’actionnaire, qui correspondent à des fonctions différentes au regard de l’objet social, et l’élaboration de droits et devoirs qui accompagnent chaque cas de figure devraient entrer dans la définition légale de l’entreprise.
De la même façon, les salariés, force de travail et de réalisation de l’objet social, peuvent-ils eux-mêmes être considérés comme des tiers par rapport à l’entreprise ?
La question de la détermination des différentes composantes de l’entreprise, de leur rôle respectif dans l’accomplissement de l’objet social, lequel est à la fois l’objectif et la légitimation de la notion autonome de personne morale, est essentielle ; aller dans ce sens permettrait de réguler sereinement les interactions des composantes de la personne morale.
Cette problématique concerne, en priorité, les sociétés de capitaux où les enjeux humains, économiques, financiers et politiques peuvent s’avérer considérables, mais, au-delà de ces contingences matérielles, la question de la nature et des contours de la personne morale concerne toute les formes que peuvent prendre l’activité humaine.
Engager une démarche consistant à analyser, qualifier et systématiser les contours de la personne morale, aussi dénommée entreprise, permettrait de résoudre a priori la question des recours dont disposent un des éléments constitutifs de la société contre un autre élément constitutif, de limiter les abus d’une composante sur une autre, et d’éclaircir les hypothèses de vie, de mort et de transmission de l’entreprise. Cette démarche permettrait également de réduire le nombre de textes (et la jurisprudence qui les accompagnent) afférents à l’entreprise et, par voie de conséquence, de revenir au principe de sécurité juridique, que nous n’aurions jamais du abandonner. Cette démarche permettrait enfin une application plus sereine de la fiscalité des entreprises qui aurait dès lors l’avantage de s’appliquer à des hypothèses claires ; ce qui aurait notamment pour effet de rendre, en matière d’entreprise, ses lettres de noblesses aux principes d’égalité et de légalité de l’impôt.
Ordonner pour clarifier, éviter les abus et préciser quelle importance la Société civile et politique accorde à chaque élément essentiel de la notion juridique de société. Autour de la notion de personne morale se focalisent les véritables enjeux juridiques, politiques et économiques de la Société de demain : tout reste à faire. Il est ici question de la place de l’entreprise dans le développement de la Société civile et politique.
Pour dire les choses simplement, la double démarche consistant à aborder la réalité empirique de l’entreprise et à s’interroger sur les objectifs et les moyens de l’entreprise rend possible une conception juridique rénovée de la réalité économique et de son lien avec la vie civile.
L’élaboration d’une nouvelle théorie juridique de l’entreprise, qui rendrait sa juste place à chaque composante essentielle de l’entreprise, à savoir les employés, les dirigeants et les apporteurs de capitaux, permettrait également, par la simple clarification légale des hypothèses de travail et des enjeux, de réintroduire une certaine éthique dans le droit des affaires. Au final, n’est-ce pas la fonction même de la loi que de préciser les contours juridiques des institutions qu’elle établit ? Qu’attendons-nous donc pour suivre l’exemple de ce grand politique que fut Talleyrand pour affirmer haut et clair que « Ce qui va sans le dire va encore mieux en le disant ».
Une telle unification est une démarche allant dans le sens d’une codification du droit de l’entreprise, elle suppose de considérer, globalement, le droit applicable et d’en supprimer les scories et les incohérences, pour ne conserver que ce qui fait sens au regard de l’ensemble. Quelques lois, peu nombreuses mais riches de sens, permettent d’éviter une débauche de textes incohérents, toujours plus complexes et fatalement contradictoires, avec tous les aléas jurisprudentiels qui les accompagnent.
Citons Portalis, dans son discours préliminaire sur le code civil de 1804 ; code que tous les pays nous ont envié et copié : «… dans la rédaction d’un code civil, quelques textes bien précis sur chaque matière peuvent suffire, et que le grand art est de tout simplifier en prévoyant tout. Tout simplifier est une opération sur laquelle on a besoin de s’entendre. Tout prévoir est un but qu’il est impossible d’atteindre. Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires ; elles compromettraient la certitude et la majesté de la législation. » Et encore : « L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit ; d’établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. »
(écrit en 2010)
Source : Valérie Bugault
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