Maffesoli : le port obligatoire de la muselière dans les rues suffit-il à nous faire obéir ?

Texte qui peut-paraître ardu car c’est un langage universitaire mais c’est déjà le signe que des intellectuels (ici spécialisé) commencent à réagir et à entrer dans l’arène pour étudier une manipulation que nous dénonçons depuis le premier jour.
 
Mieux vaut tard que jamais mais c’est un début timide ; quant aux artistes ils ont semble-t-il déserté ou ils ne veulent pas déplaire au théâtreux amateur qui nous gouverne car ils auraient le temps de manifester puisque leur activité est en berne !
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Avec sa verve et sa vigueur habituelles, Michel Maffesoli met en lumière la ruse qui guide beaucoup de Français aujourd’hui, face à une classe politique essentiellement occupée à « communiquer » et à faire spectacle pendant que le pays décline. Cette ruse consiste à faire semblant d’obéir à un Etat qui ne remplit plus ses devoirs à l’égard du peuple qu’il encadre et qu’il administre.

Michel Maffesoli

Professeur émérite à la Sorbonne

C’est tout au début de ce livre magistral qu’est « l’enracinement » que Simone Weil rappelle, d’une manière judicieuse, que « la notion d’obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative ».[1]

Voilà les fondations de ce qui, tout au long des siècles, permit la construction de ce temple qu’est la civilisation où l’humanité put, à loisir, se développer. Obligation engendrant ce que traditionnellement l’on appelait « devoir d’État » ; devoir inhérent au statut permettant étant à tout un chacun de se réaliser, au mieux, tout au long de son existence.

C’est en assurant la maintenance de l’idée d’obligation et en étant garante du devoir d’État que l’autorité publique justifie, sur la longue durée, la légitimité qui est la sienne. Mais est-ce que cette légitimité lui est encore acquise lorsque les valeurs qu’elle défend sont quelque peu obsolètes, voire totalement déphasées ?

C’est bien ce qui est en jeu en cette modernité finissante, où une oligarchie médiatico-politique s’emploie, au motif d’une crise sanitaire, à maintenir coûte que coûte, un individualisme exacerbé, ne correspondant en rien, au désir profond des tribus postmodernes.

En se référant aux analyses des histoires de l’art, on peut rappeler que l’individualisme, comme le style classique, est d’essence « optique » . C’est-à-dire de mise à distance. N’est-ce point cela que tend à faire perdurer les fameux « gestes barrières » et autres injonctions à la distanciation sociale ? Au travers de tout cela, il s’agit de maintenir la « grégaire solitude » qui fut la caractéristique de la société moderne.

Mais voilà que dans la mutation sociétale en cours et dans la « baroquisation » caractérisant l’esprit du temps post-moderne, un tel individualisme a fait son temps. C’est plutôt l’haptique(« haptos) , c’est-à-dire le « tactile » qui est au fondement de l’être-ensemble du moment.

En témoigne, au-delà ou en-deçà de la stratégie de la peur qu’utilisent les pouvoirs publics, la multiplication des rassemblements festifs et autres formes d’afoulement rendant attentif au fait que c’est « l’être-avec » qui est l’essence même de notre humaine nature.

Et c’est bien pour dénier un tel « avec » anthropologique que l’on rend obligatoire le port d’une « muselière » ayant pour fonction d’isoler et par là-même de conforter une soumission nécessaire à la logique de la domination caractérisant un pouvoir public totalement déconnecté de la puissance populaire.

Mais la soumission n’est qu’apparente. Car s’il est une caractéristique essentielle du zoon politicon, c’est bien la ruse. Duplicité, en son sens fort : l’homme double et duple. Duplicité témoignant d’une résistance intérieure s’intensifiant, il faudra voir comment, quand le décalage vis-à-vis de l’oligarchie au pouvoir devient par trop évident.

Pour reprendre à Kierkegaard ou à Nietzsche, une expression éclairante, on fait « comme si » (als ob), l’on était soumis, et l’on n’en garde pas moins une essentielle méfiance vis-à-vis de la verticalité d’un pouvoir trop surplombant.

« Comme si » l’on appréciait ce que Platon nommait, dans la République, la « théâtrocratie » des « montreurs de marionnettes ». Mais tout en sachant que cette théâtralité est vite considérée comme lassante. Président ayant fait son apprentissage existentiel dans l’art de la scène, ministre de la Justice s’épanouissant sous la houlette du scénariste Claude Lelouch, au cinéma, et ministère censé conforter la grande culture française confié à une comparse de Hanouna dans une émission à la vulgarité affichée, on pourra multiplier les exemples de la confusion entre le théâtre et la politique.

Et c’est bien pour dénier un tel « avec » anthropologique que l’on rend obligatoire le port d’une « muselière » ayant pour fonction d’isoler et par là-même de conforter une soumission nécessaire à la logique de la domination caractérisant un pouvoir public totalement déconnecté de la puissance populaire.

On a là le résumé de ce « spectacle moderne » ayant accédé, pour reprendre l’analyse de Guy Ernest Debord, à « un statut de souveraineté irresponsable »[2]. Règne autocratique modelant les techniques de gouvernement sur un histrionisme spectaculaire où les frivoles le disputent à la superficialité !

Mais c’est chose connue, le spectaculaire achevé conduit, immanquablement, à son achèvement , c’est à dire à sa fin . La théâtrocratie lasse, surtout quand elle n’est pas de bonne qualité. Et les bouffons, dès lors, sont renvoyés à leur triste sort. Celui de leur misère existentielle.

Il n’y a qu’un pas du bal masqué à la danse macabre. Les muselières alors sont ôtées et les soulèvements se multiplient. Car du mouvement des « Gilets jaunes » au révoltes à venir, c’est le refus d’un pouvoir abstrait qui s’annonce. Refus d’une évidente mascarade. Refus fondamental vis-à-vis d’un pouvoir histrionesque qui, ayant oublié l’obligation et le devoir, se gargarise de « droits » qui, par un effet pervers et pour le dire vulgairement, lui « pètent à la gueule ».

Et ce, tout simplement parce que nous sommes confrontés à des « théâtreux » totalement incapables de faire face à cette « obligation » anthropologique qu’est le véritable « gouvernement de son ménage ». Pour être plus explicite, dans la Grèce antique, seuls ceux qui savaient gérer leur propre maison étaient à même de gérer la maison commune, c’est-à-dire la cité.

C’est cela ainsi que l’a bien montré Julien Freund, « l’essence du politique ». Ce que ne comprennent pas ceux qui se contentent de faire de la politique à la petite semaine. Et ce jusqu’à ce que la mascarade cesse ; tout simplement parce qu’elle ennuie.

À ce moment là le délire sanitaire ne marche plus. Certes il vaut mieux que tel ou telle ministre de la santé cache ses lippes derrière un masque, sinon on verrait la flétrissure d’une pauvre âme en déshérence : celle d’un ou d’une psychopathe.

Mais au-delà d’un ou d’une ministre, c’est toute une caste d’histrions dont il est question. Ils n’ont rien de vivant. Ce ne sont que des zombies venant de ce que Nietzsche nommait les « arrières-mondes » bien peu ragoûtants. Tout simplement car ils n’ont rien à voir avec le monde de la réalité quotidienne. « Arrières-mondes » d’un Pouvoir abstrait et déphasé.

Ne l’oublions pas, lorsque Descartes s’emploie à avancer masqué : prodeo larvatus, c’est justement pour ruser avec la pensée établie, toujours proche de l’attitude inquisitrice. Mais à l’encontre de ce que se prétend être tel ou tel locataire de l’Élysée, n’est pas philosophe qui veut. Pour ceux là, la mascarade comme arme suprême de l’hystérie sanitaire, c’est encore de la théâtrocratie pour masquer (c’est le cas de le dire) le fiasco qu’une élite en faillite va payer fort cher.

Faillite qu’il dire et redire. Ne serait-ce que pour dénoncer la jactance, la suffisance et l’outrance de son propos totalement déphasé. À l’opposé d’un tel propos, aux idées courtes, il convient de « dézoomer » : prendre de la hauteur, savoir mettre en perspective. C’est-à-dire, paradoxalement, être à la hauteur du quotidien. Et pour cela se contenter de ces pauvres mots provisoires qui, peu à peu, deviennent les paroles fondatrices de tout « être-ensemble » authentique. Et ce en sachant que les définitions, préétablies, celles d’un pouvoir qui, toujours, conforte et a besoin de la grégaire solitude, trompent toujours.

[1] S. Weil, L’enracinement, éd. Gallimard, 1949, p.9

[2] G.E . Debord, Commentaire sur la société du spectacle, éd. Gallimard, 1992, p.14.

Source : Le Courrier des Stratèges

 

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