Macron, l’Europe et les gendarmes : l’imbroglio de la directive du temps de travail

 Un gendarme à Cayenne, en Guyane, lors de la visite d'Emmanuel Macron le 26 octobre.
Un gendarme à Cayenne, en Guyane, lors de la visite d’Emmanuel Macron le 26 octobre. Photo Jody Amiet. AFP

En laissant entendre que les gendarmes ne sont pas concernés par la législation sur le temps de repos, le chef de l’Etat a semé le trouble. Avant de rétropédaler.

 

Ce sont quelques phrases qui ont affolé la maréchaussée. Mercredi 18 octobre, Emmanuel Macron prononçait un discours à l’Elysée face aux représentants des forces de sécurité intérieure. Peu avant de conclure, le président de la République s’est fendu de quelques mots énigmatiques, plus particulièrement adressés aux gendarmes. «Sur ce sujet du temps de travail, je dirai aussi très clairement que ma détermination est complète pour qu’aussi bien la gendarmerie que les militaires de manière plus générale ne soient pas concernés par la directive bien connue», a-t-il glissé. Cette «directive bien connue» dont parle le chef de l’Etat en des termes sibyllins n’est autre qu’une directive européenne de 2003 relative à l’aménagement du temps de travail. Le texte concerne tous les corps de métiers, et pas seulement les forces de l’ordre.

«Un moment d’incompréhension»

La directive contient deux mesures principales. Elle fixe un principe de 11 heures consécutives de repos entre deux journées de travail et plafonne la durée hebdomadaire du travail à 48 heures. Elle instaure aussi des temps de pause obligatoires toutes les six heures. Si l’armée n’en a pas vu la couleur, contrairement à la plupart des métiers, la directive est partiellement appliquée aux gendarmes depuis septembre 2016. Les képis bleus jouissent désormais de 11 heures de repos garanties entre deux services. Alors quand Emmanuel Macron prononce ces mots à l’Elysée, les réactions sont vives. Le chef de l’Etat touche une corde sensible. Immédiatement, les gendarmes craignent un retour en arrière. Ils ont peur que les 11 heures de repos – acquises dans le contexte de l’état d’urgence où ils sont très sollicités – soient supprimées. «Apparemment, un brouhaha a suivi l’annonce d’Emmanuel Macron. Je crois que la réaction de l’assistance a été assez parlante», raconte un officier de gendarmerie à Libération.

Auprès de l’association professionnelle de gendarmes GendXXI, de nombreuses craintes affluent. «Il y a eu un moment d’incompréhension. Le lendemain du discours, le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) a clarifié la situation», poursuit cet officier. Jeudi 19 octobre, Richard Lizurey joue l’apaisement. «Nous ne reviendrons pas en arrière», rassure le patron des gendarmes. Dans un communiqué, le ministère de l’Intérieur appuie ses dires. «Il a confirmé que [les dispositions] relatives au temps de récupération des gendarmes n’étaient, quant à elles, pas remises en cause.» Entre les lignes, les 11 heures de repos ne sont pas supprimées. Mais le reste de la directive, qui devait être appliqué aux gendarmes, n’est manifestement plus une priorité.

«48 heures par semaine»

«On est rassurés que les 11 heures de repos soient préservées, témoigne Frédéric Le Louette, président de GendXXI. Ce qui nous intéresse maintenant, c’est de poursuivre la transposition de la directive, surtout à propos de la durée de travail hebdomadaire.» Ce plafond de 48 heures par semaine, peu d’unités de gendarmerie le dépassent en pratique. «En cas de situation exceptionnelle, comme récemment le passage de l’ouragan Irma, c’est normal qu’il n’y ait pas de limite du temps de travail. Ça ne nous choque pas, on est militaires, poursuit le gendarme. C’est pour les missions quotidiennes qu’on veut la limitation du travail à 48 heures par semaine, pour avoir le temps de se reposer et être corvéable à merci en cas de crise.» Pour l’instant Beauvau ne veut pas en entendre parler. Et reste campé sur une évaluation pour le mois de novembre de la règle des 11 heures de repos, «entrée en vigueur à titre provisoire le 1er septembre 2016», précise le ministère de l’Intérieur.

Les négociations pour transposer le reste de la directive sont donc au point mort. En droit de l’Union européenne, il existe pourtant une obligation pour les Vingt-Huit de transposer intégralement les directives de Bruxelles dans leur législation nationale. Les Etats-membres récalcitrants s’exposent à une condamnation de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). «C’est aussi pour ça que l’annonce de Macron nous a surpris, confie Frédéric Le Louette. La France pourrait être condamnée en refusant d’appliquer totalement la directive.» L’Espagne, déjà, a eu maille à partir avec la Commission européenne à propos de cette même directive de 2003. Ayant tardé à l’appliquer à certaines catégories des forces de l’ordre, le Royaume a été condamné en 2010 par la CJUE. A l’Elysée, on élude le risque en freinant des quatre fers. «Pour l’instant, on n’ira pas plus loin avant qu’il y ait une évaluation des premiers volets appliqués aux forces de gendarmerie.» Le diagnostic devrait être rendu en novembre.

Clarisse Martin

Source : Libération

 

 

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