L’avocate de trois gendarmes dans l’affaire Traoré : « On cherche à décrédibiliser les forces de l’ordre »

Des gendarmes mobiles à l'entrainement (M. Guyot/Essor)

Le dossier judiciaire de la mort d’Adama Traoré le 19 juillet, lors de son arrestation à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), vise à « décrédibiliser les forces de l’ordre », assure Me Caty Richard, l’avocate des trois gendarmes qui ont tenté d’interpeller ce jeune homme de 24 ans.

 

Rappel des faits 

 

Ce 19 juillet, deux groupes de gendarmes vont intervenir pour interpeller Adama Traoré, recherché dans le cadre d’un avis de recherche pour extorsion de fond : trois gendarmes du Peloton de surveillance et d’intervention (Psig) de l’Isle-Adam ; un équipage de trois autres gendarmes de la même unité.

Les trois gendarmes du premier équipage effectuent des contrôles routiers à Beaumont-sur-Oise. Les gendarmes disposent d’un signalement. « Ils voient deux personnes qui correspondent à ce signalement – on saura plus tard qu’il s’agit de deux des frères Traoré – et procèdent au contrôle d’identité », explique Me Richard à « L’Essor de la Gendarmerie ». « L’un des deux individus – Bagui Traoré (le frère d’Adama) – se soumet à ce contrôle, tandis que l’autre – on saura plus tard qu’il s’agit d’Adama Traoré – prend la fuite », poursuit l’avocate.

 

L’un des gendarmes reste avec Bagui Traoré tandis que les deux autres tentent de rattraper Adama Traoré. L’un se tord la cheville et laisse son collègue poursuivre sa course. « Lorsqu’il rattrape Adama Traoré, celui-ci fait mine de sortir ses papiers mais le bouscule et reprend la fuite. On est alors dans le cadre d’une interpellation car il y a eu rébellion », affirme Me Richard.

 

Adama Traoré est rattrapé une seconde fois et est alors menotté. « Le gendarme qui l’interpelle se retrouve alors seul face à Adama puisque les deux autres gendarmes sont restés avec Bagui Traoré. C’est là qu’un ami d’Adama arrive et violente le gendarme qui se retrouve à terre. Adama et son ami prennent la fuite et vont se réfugier dans un appartement », retrace l’avocate.

 

La mission des gendarmes du premier équipage s’arrête là. Ce sont les gendarmes du second équipage qui vont interpeller Adama Traoré dans le cadre, cette fois, d’une évasion. Lors de son arrestation, le jeune homme est maintenu au sol sous “le poids des corps” de trois gendarmes, selon une source proche de l’enquête citant les déclarations de l’un des militaires. Amené la brigade de gendarmerie de Persan, Adama Traoré décède après plusieurs vaines tentatives de réanimation.

 

« Pas d’implication judiciaire » pour les gendarmes

 

Dans cette affaire, les gendarmes du Psig de l’Isle Adam ne sont pas poursuivis. « C’est presque notre problème, souligne Me Richard. Les gendarmes se retrouvent impliqués médiatiquement dans une affaire dans laquelle ils ne sont pas impliqués judiciairement ». L’affaire a effectivement suscité de nombreuses réactions politiques et ses rebondissements judiciaires – enquête dépaysée de Pontoise à Paris, demande d’une troisième autopsie – sont l’objet de nombreuses réactions.

Selon l’avocate, le manque de communication de la direction de la Gendarmerie dans cette affaire est particulièrement problématique : « Le public ne fait pas la différence entre le policier qui communique, fait communiquer ses syndicats, et le gendarme qui, lui, cultive le secret », avance t-elle. « Dans un dossier tel que celui de l’affaire Traoré, le public est amené à penser que les gendarmes se planquent, et que s’ils ne communiquent pas, c’est qu’ils sont en tort », poursuit Me Richard. Pour elle, cette affaire est « emblématique de l’évolution nécessaire de la communication de la Gendarmerie ».

Car, selon l’avocate, il y a une disproportion entre la communication de la famille d’Adama Traoré et celle des gendarmes : « La famille, elle, communique. Elle a accès au dossier et on la croit sur tout ce qu’elle dit. Elle n’est pas soumise au secret de l’instruction ni au secret professionnel, tout ce qu’elle dit est parole d’évangile ! », ironise Me Richard.

 

« La mort d’Adama Traoré est instrumentalisée »

 

Suite au décès d’Adama Traoré, sa famille a immédiatement évoqué une « bavure » policière. Une version qui a rapidement éclipsé celle des gendarmes selon l’avocate. « Les qualifications ont beaucoup évolué. Dans les médias, on est presque parti d’un assassinat pour ensuite parler de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, d’un homicide involontaire et aujourd’hui on en est à non-assistance à personne en danger ».

L’avocate observe par ailleurs que si la qualification des faits a évolué, le discours et l’attitude de la famille, des soutiens et des proches d’Adama Traoré sont devenus de plus en plus agressifs. « On se retrouve aujourd’hui face à un problème d’ordre public et d’instrumentalisation », considère Me Richard.

Plusieurs nuits d’échauffourées et d’insurrections armées ont ainsi eu lieu à Beaumont-sur-Oise et dans les communes voisines suite à la mort d’Adama Traoré.

Entre le 19 et le 25 juillet, 13 policiers et gendarmes ont été blessés par armes à feu et les forces de l’ordre ont essuyé au moins 60 coups de feu. Plusieurs tireurs ont été interpellés et placés en garde à vue provisoire. « 200 casseurs armés ont incendié une usine, détruit près d’une cinquantaine de voitures et on avait entre 40 et 50 incendies par nuit », précise à « L’Essor » le colonel Charles-Antoine Thomas, patron des gendarmes du Val-d’Oise. Le commandant de groupement affirme que les gendarmes ont subi cinq nuit d’émeutes « très difficiles » et ont pu « rétablir l’ordre rapidement sans qu’il y ait aucun blessé grave».

Quelques jours après les heurts survenus mi-novembre en marge du conseil municipal de Beaumont-sur-Oise, deux frères d’AdamaTraoré comparaissaient devant le tribunal de Pontoise pour poutrages, menaces et violences sur huit policiers et gendarmes.

 

Des gendarmes menacés de mort 

 

« On a tenté d’incendier une brigade, on a menacé des gendarmes et leurs familles, on a attaqué des domiciles de gendarmes », affirme le colonel Thomas pour qui la Gendarmerie  « n’a rien à se reprocher » dans cette affaire.

Les trois gendarmes primo-intervenants ont été mutés en province durant l’été. Des mutations « dans leur intérêt et non des mutations disciplinaires », tient à souligner leur avocate. « Leur premier choc a été de se retrouver accusés. La manipulation de l’opinion publique en avait fait des tueurs. Ces accusations sont devenues des menaces de mort. Ils ont donc brutalement déménagé avec leur famille », explique Me Richard. Ces gendarmes ont bien sûr également subi « le choc de la mort d’Adama Traoré, une mort imprévisible ».

L’avocat des trois gendarmes du second équipage, Me Laurent-Franck Liénard, a expliqué à « L’Essor » qu’il ne pouvait pas s’exprimer sur cette affaire étant donné que les gendarmes qu’il défend « ne sont pas poursuivis et n’ont donc pas accès au dossier ».

Nathalie DELEAU

Source : L’Essor

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