Laurent Solly Ministre de l’information de Facebook en France

Mis à jour le 12 mai 2020

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« Travailler avec Zuckerberg, c’est encore mieux qu’avec Sarkozy »

Énarque au nez creux et au réseau tentaculaire, Laurent Solly incarne plus qu’aucun autre la mutation numérique mondialiste de la haute administration, à l’heure où les GAFA recrutent à tour de bras des lobbyistes dans les personnels politiques nationaux et dans les institutions communautaires. Des moulures des cabinets ministériels à la transparence des open-spaces, du conformisme idéologique d’hier à celui qui vient, l’ancien numéro 2 de TF1 est un symbole de souplesse qui force l’admiration. Mais, à mesure que le réseau social pratique une censure de plus en plus agressive et de moins en moins dissimulée, tout laisse à penser que l’homme occuperait une fonction qui fleure bon la France gaullienne (sans la souveraineté nationale) : celle de ministre de l’Information.

Formation

Laurent Solly étudie tout d’abord au lycée privé catholique Notre-Dame de Mongré à Villefranche-sur-Saône, où il obtient un baccalauréat ès Sciences économiques et sociale. Il intègre par la suite l’IEP de Paris en 1991, puis l’ENA au sein de la promotion Victor Schœlcher en 1994. Il alors pour condisciples Pierre-Yves Bocquet, Sophie Boissard, Hervé Boullanger, Jérôme Guedj, Hélène Pelosse, Jean-Philippe Thiellay ou encore Frédéric Mion.

Parcours professionnel

Il commence sa carrière comme sous-préfet, directeur de cabinet du préfet du Lot-et-Garonne (1996), avant d’exercer ces mêmes fonctions dans la préfecture du Var (1996–1998). Il sera ensuite secrétaire général de la préfecture dans le Territoire de Belfort, fief de Jean-Pierre Chevènement (1999–2001), où il est affecté contre son gré (il avait une dilection pour l’outre-mer). Cette affectation l’amène, en vertu de la proximité géographique et des affinités de corporation, à nouer des liens avec le préfet de Franche-Comté, Claude Guéant.

Après avoir été chargé de mission, puis nommé à la direction des achats à EDF (2001–03), il rêve toujours d’outre-mer et s’apprête à rejoindre la Nouvelle-Calédonie. Il est cependant séduit par le discours et la personnalité du ministre Sarkozy lors d’une réunion du corps préfectoral où celui-ci devait s’exprimer. Par l’entremise de Daniel Canepa, ancien préfet du Var, qui s’avère être également le directeur de cabinet adjoint de Sarkozy au ministère de l’intérieur, Laurent Solly devient le collaborateur de Claude Guéant, alors directeur du cabinet de Nicolas Sarkozy. Il rejoint le clan sarkozyste et sa carrière va connaître une accélération fulgurante.

Il le suit comme chef de son cabinet au ministère de l’Économie et des Finances et devient également son directeur de cabinet à la présidence de l’UMP (2004–05).

Toujours inamovible chef de cabinet de Nicolas Sarkozy quand il redevient ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire en 2005 comme conseiller technique, il est promu préfet hors cadre, chargé d’une mission de service public relevant du gouvernement, en 2006. Il devient alors, à 36 ans, le plus jeune préfet de France.

Après l’élection de son poulain, Laurent Solly en froid avec Cécila Sarkozy, ne rejoint pas le gouvernement mais hérite dès la fin mai 2007 du poste de directeur général adjoint de TF1, la chaîne privée de Martin Bouygues, ami intime du président et parrain de son fils Louis. L’Élysée se charge de l’annonce qui suscite l’indignation de la part de l’opposition socialiste, du centriste François Bayrou et de plusieurs syndicats de journalistes.

Il est d’abord responsable de TF1 Digital (entité coiffant la plupart des chaînes thématiques), puis de la régie publicitaire et de la diffusion au sein du groupe. Il est notamment chargé du dossier du rachat des chaînes TMC et NT1. Poussé vers la sortie par Nonce Paolini qui craint son ambition dévorante, Solly mise sur la réélection de Sarkozy et perd.

Au même moment, Facebook traverse une période sombre, notamment à cause des accusations d’évasion fiscale qui ternissent son image et le mettent en difficulté vis-à-vis de l’administration fiscale française. Le groupe est à la recherche d’un homme qui connaisse le Léviathan de l’intérieur et qui pourrait rassurer en haut lieu. Solly, lui, est à la recherche d’une porte de sortie honorable. Il se retrouve nommé à la tête de Facebook France, qui ne compte alors qu’une trentaine de salariés et ne bénéficie que de peu d’autonomie vis-à-vis de la stratégie européenne du groupe, qui est élaborée en Californie. Cette décision n’est pas si incongrue qu’elle puisse paraître, surtout si l’on prête attention aux liaisons intimes entre l’entreprise et le sarkozysme, qui précèdent la nomination de Solly : Nicolas Princen, responsable de la campagne numérique de Sarkozy en 2012, a collaboré étroitement avec le réseau social, et particulièrement avec Julien Codorniou, directeur des partenariats ; la directrice des relations publiques de Facebook n’est autre qu’Anne-Sophie Bordry, qui a conseillé le Premier ministre sur les questions numériques entre 2007 et 2010. On murmure alors que le réseau social pencherait plutôt à droite, ce qui déclenche à la fois l’interrogation des médias et la colère de Fleur Pellerin, alors responsable de la campagne numérique du candidat Hollande, qui accuse Facebook de tentative d’interférence dans la campagne dans un courrier adressé à l’entreprise. Mais la formidable expansion du réseau social, couplée au rachat de WhatsApp et d’Instagram, lui confère une influence et un pouvoir encore plus grand que ce dont il aurait pu rêver dans le monde politique. Au cours de son mandat, Solly a approfondi quatre thèmes majeurs : la régularisation fiscale, la digitalisation des PME, l’accroissement des revenus publicitaires et la lutte contre les fake news.

En août 2016, Laurent Solly étend encore son périmètre et prend la direction Europe du Sud de Facebook (Portugal, Espagne, France et Italie). Il ne tarde pas à nouer des partenariats de fact-checking avec des quotidiens de grand chemin à grand tirage (Les Décodeurs du Monde, Check News de Libération) qui s’avèrent très lucratifs pour les journaux en question, pourtant bien dotés en subventions publiques. En France, outre Le Monde et Libération, les médias partenaires sont l’AFP, BFMTV, France Télévisions, France Médias Monde, L’Express et 20 Minutes. En mai 2018, il cède à la pression de la DILCRAH (créée sous Sarkozy) et de son directeur Frédéric Potier en ordonnant à ses équipes de supprimer la page de Génération Identitaire, peu après que des militants de la mouvance se sont illustrés à refouler des migrants dans les Alpes. L’affaire met au jour la collusion toujours plus grande entre une partie de l’État et le réseau social. Ces efforts de collaboration avec les autorités s’approfondissent à l’automne, lorsque le président Macron annonce, à l’occasion du Forum sur la gouvernance de l’Internet, que des hauts fonctionnaires s’apprêtent à plancher conjointement avec les experts de Facebook sur le contrôle des contenus et les « procédures que doivent mettre en place les réseaux sociaux pour identifier et filtrer » les contenus haineux.

La vidéo live de l’attentat de Christchurch, diffusée en direct sur Facebook et supprimée après un délai de 17 minutes, est l’occasion de redonner un tour d’écrou à la vigilance (c’est-à-dire la censure politique préventive ou arbitraire) facebookienne. C’est à ce moment que Quotidien décide de taper sur les doigts du réseau social avec véhémence le 19 mars 2019 pour s’être montré trop laxiste dans la répression numérique. Deux jours plus tard, Barthès déclare avec son second degré coutumier qu’« ils n’ont pas trop aimé ce qu’on a fait cette semaine », en laissant lourdement entendre aux téléspectateurs que Facebook avait appelé la direction de TF1 pour faire pression. Ce retour de bâton n’est guère surprenant, dans la mesure où Solly est un ancien cadre dirigeant de TF1, auquel appartient la chaîne TMC (dont il a, par ailleurs, mis en œuvre le rachat au début de la décennie). Cet épisode illustre la force de frappe de Facebook et de son lieutenant, devenu une forme d’excroissance du gouvernement français et, de facto, incritiquable.

Parcours militant

Il est directeur adjoint de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 et se charge de la communication du candidat. Laurent Solly fait partie de “la Firme”. Une expression trouvée par le journaliste Jean-François Achilli (France Inter) pour désigner la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy. Pierre Charon, Frédéric Lefebvre, Franck Louvrier et Laurent Solly en sont les membres.

Il est entendu comme témoin en 2010 dans le cadre de l’affaire Wœrth-Bettencourt lors d’une audition visant à faire la lumière sur la remise de la Légion d’honneur au gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, Patrice de Maistre, grand donateur du RPR, qui n’hésitera pas à abuser du grand âge sa cliente par la suite. Wœrth avait suggéré sa nomination au Ministre de l’Intérieur et Solly, en qualité de directeur de cabinet, avait traité cette demande, qui ne relevait pas cependant pas ce ministère, compte tenu du parcours professionnel du récipiendaire (et plutôt des Finances).

Il affirme à Capital avoir renoncé définitivement à la politique après sa nomination à la tête de Facebook France.

Ce qu’il gagne

Non renseigné.

Vie privée

Son ex-épouse, Charlotte Solly, née Chandellier, est morte en février 2007, des suites d’une longue maladie. Cette femme était la mère de ses deux premiers enfants, Victoire et Sixtine. Il se remarie avec Caroline Roux, la présentatrice de “C dans l’air”, avec qui il a eu une fille, Rosalie, né en 2005, et un garçon prénommé Marceau, né en 2009. Le couple réside dans un appartement de l’avenue Foch situé dans le XVIe arrondissement de Paris.

Il a dit

« La réalité n’a aucune importance, il n’y a que la perception qui compte. », cité par Yasmina Reza dans L’aube le soir ou la nuit, Flammarion, 2007.

« S’il y a une seule grande idée de l’Ena à retenir, c’est celle-ci : donner la capacité à tous les enfants méritants de France de devenir ambassadeurs, préfets, ministres… », Le Point, 15 septembre 2011.

« N’empiétez-vous pas sur la vie privée de membres dont vous vendez le profil ?
 Non, car ce ciblage est anonyme et collectif. Un membre n’est pas identifié en tant que M. Dupont, mais simplement comme faisant par exemple partie du segment des urbains qui aiment le foot. », Capital, 1er avril 2015.

« Je ne laisserai pas penser que l’administration est poussiéreuse et inefficace. Ce serait une facilité. Une partie de la réforme de l’État est digitale. Cela dit, Facebook pourrait inspirer les fonctionnaires car c’est une entreprise de ce siècle. La grande différence, c’est que Facebook est tourné vers l’avenir. Les ministères ne le sont pas toujours. C’est aussi aux entreprises de connaître les problématiques du public. », Les Échos, 11 mai 2015.

« Nous ne souhaitons pas être l’arbitre de la vérité. Il faut travailler avec des rédactions, des grands médias, pour déterminer si un contenu est ou n’est pas une fausse information. », Assises du Vivre Ensemble, 24 août 2018.

« Nos règles de transparence des publicités politiques, testées avec succès aux États-Unis, sont élargies au monde entier et à l’Europe pour les élections. Elles sont mêmes élargies à des sujets de société comme l’immigration, par exemple. Nous installerons à Dublin un centre d’opérations pour éviter des interférences extérieures. », Europe 1, 3 février 2019.

« Le bon déroulement des élections européennes du 26 mai est un enjeu majeur pour nous. Nos dispositifs vont être renforcés par l’ouverture d’un centre des opérations, à Dublin, où toutes nos équipes seront rassemblées pour 24H/24H sortir les fausses pages, identifier toute tentative d’interférence, notamment étrangère. Si nous en découvrons une, nous dirons d’où elle vient. », Le Parisien, 27 avril 2019.

« L’an dernier, au cours des neuf premiers mois, nous avons supprimé 5,4 milliards de tentatives de créations de fausses pages et de faux profils […] Nous avons investi plusieurs milliards de dollars. Nous avons 35 000 modérateurs dans le monde qui travaillent 24 heures sur 24 pour protéger les utilisateurs. Nous avons fait des progrès. », FranceInfo, 24 février 2020.

Sa nébuleuse

Laurent Solly est membre du Grand Orient de France et du Siècle.
Nicola Mendelsohn, vice-présidente de Facebook pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique : « Je suis d’abord en relation avec la patronne européenne, Nicola Mendelsohn. Mes équipes contactent les bureaux de Londres et de Dublin, notre siège international. »
Sheryl Sandberg, directrice des opérations de Facebook : « Pour l’opérationnel, nous suivons les recommandations de Sheryl Sandberg, la directrice des opérations. Par exemple, quand elle constate que nos réunions récurrentes sont redondantes, elle nous demande de les annuler. »
Florence Trouche, directrice commerciale de Facebook France.
Par ailleurs, Solly n’est pas le seul Français à disposer de grandes responsabilités au sein du groupe : Yann Le Cun chapeaute l’Intelligence Artificielle, Fidji Simo en est charge de l’application mobile, Julien Codorniou dirige la plateforme RSE « Workplace by Facebook » et David Marcus gère le projet de crypto-monnaire Libra.

Ils l’ont dit

« L’arrivée en 2007 du chef de cabinet de Nicolas Sarkozy avait été imposée par Martin Bouygues, à la grande fureur de Nonce Paolini.
Car l’ambitieux Solly avait un objectif simple : devenir calife à la place du calife. L’idée n’était pas si folle, aucun candidat à la succession de Nonce ne se détachant en interne ; le PDG, en outre, avait bien pris soin de n’en désigner aucun. Solly était donc allé tâter le terrain du côté de Martin Bouygues, espérant lui arracher la promesse d’être celui-là… Bien tenté. Mais raté. D’autant que cette ambition un peu trop voyante lui avait valu de se mettre les autres directeurs à dos. Ses équipes s’épuisaient en résolutions de conflits internes : c’était à qui trouverait un moyen de ralentir les projets qu’il portait ! En 2012, Nonce Paoloni enterra lui-même un projet de mini-bouquet de télévision par satellite sur lequel Solly avait travaillé pendant des mois. Et ce n’était pas pour des raisons d’argent : le projet ne coûtait même pas un million d’euros !
Laurent Solly jettera l’éponge en 2013, suite à une triple contrariété. Une première fois en effet, il avait espéré parvenir à ses fins sur la base d’un plan simple : Nicolas Sarkozy réélu, Martin Bouygues ne pourrait rien lui refuser. Caramba ! Préférant François Hollande, les Français en ont décidé autrement. Nonce Paolini en a‑t-il profité pour programmer, l’air de ne pas y toucher, la mise à feu du fauteuil éjectable de l’ambitieux ? Toujours est-il qu’en janvier 2013, il met en place un comité exécutif resserré de huit membres dont ce cher homme pressé ne fait pas partie. Ouille ! », “TF1 — Coulisses, secrets et guerres internes” d’Aude Dassonville et Jamal Henni, reproduit sur Atlantico, 20/03/2016

« L’annonce a eu lieu le jeudi matin, mais Solly n’est revenu que le lundi. Il a pris ses affaires et il est parti sans un mot pour personne. Qu’il aille chez Facebook nous a fait rire, parce que trois mois avant il n’avait même pas de compte. », une salariée de TF1, Idem.

« Les débuts avec Laurent ont été difficiles. Même s’il prétend le contraire, je ne suis pas sûre qu’il me connaissait et en tout cas mon projet l’agaçait. Personne n’en comprenait vraiment l’essence et tous devaient se dire « oh là là ! pourquoi s’emmerder avec une fille qui va être partout, sans arrêt, sans qu’on puisse rien contrôler. Lors de notre premier rendez-vous, dans son bureau de la place Beauveau, il s’est montré bien élevé, froid, faussement coopératif. Ensuite, il ne m’a pas du tout facilité les choses. Au contraire. Il me mettait dans une position de demande constante et plutôt humiliante. On s’exaspérait mutuellement. Je l’appelais plusieurs fois par jour et lui me répondait une fois sur deux « je suis en rendez-vous, je te rappelle ». Clac. Il me rappelait plus ou moins et souvent trop tard pour l’événement. On se tutoyait, parce qu’on se tutoie facilement en politique, mais cela n’arrangeait rien. Je ne le supportais tellement plus qu’un jour je lui ai dit de façon extravagante : « Est-ce que tu sais qui je suis ? Si tu ne le sais pas, renseigne-toi et tu me traiteras autrement ! ». Plus tard il adorait répéter cette phrase et on en a beaucoup ri. Heureusement, un jour, la photographe Élodie Grégoire, avec que je m’étais liée, a parlé en ma faveur et notre relation a changé. J’ai découvert un garçon drôle, insolent, fougueux. Très vif. Il arrangeait, calmait, démêlait, beaucoup de choses. Il a été de mon point de vue, un des agents majeurs de la campagne. Mais j’ai surtout découvert un homme vulnérable qui s’efforçait de ne pas le montrer. », Yasmina Reza, cité par Anne-Marie Delcambre dans Les Allées du pouvoir, Le Seuil, 2011.

Source : Observatoire du Journalisme

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