La prune de stationnement d’un million d’euros que la Ville de Paris ne réclame pas à Bernard Arnault

– Manuel Cohen
Depuis au moins 2016, une cinquantaine de mètres de trottoir a été privatisée devant le bâtiment amiral du groupe de luxe LVMH au Bois de Boulogne. Sans droit ni titre. A la vue et à la barbe de la Mairie et de la préfecture de police… qui ont laissé faire.

A Paris, pas question de rigoler avec l’occupation du domaine public. Du stationnement en voirie à l’usage commercial des trottoirs, des centimètres mesurés au cordeau aux redevances notifiées et encaissées, l’occupation d’un bout d’espace public est soumis à une redevance, sans doute parmi les plus anciens impôts. Et les 3.200 agents de la Direction de la Prévention, de la Sécurité et de la Protection (DPSP) veillent à ce que chacun s’en acquitte. Tout le monde doit payer, mais pas la Fondation Louis Vuitton, joujou du milliardaire Bernard Arnault.

Depuis au moins 2016, une cinquantaine de mètres de voirie a été privatisée devant le bâtiment amiral du groupe de luxe au Bois de Boulogne. Ce bout de bitume constitue, en effet, un appontement idéal pour voiture. Et de fait toujours libre, moyennant le déplacement des barrières par les colosses maison quand le grand patron, ses enfants ou les invités de marque veulent le visiter. Selon notre estimation, la Mairie dispose ainsi d’une créance sur la fondation du groupe le plus riche de France au titre des redevances non acquittées d’environ un million d’euros. Ce sont en effet l’équivalent de 8 emplacements de stationnement que s’est accaparé l’institution. A raison de 100 euros par jour – le prix des forfaits post-stationnement quand on n’a ni payé ni négocié son bout de trottoir – de 300 jours payant par an, la douloureuse totalise 30.000 euros par place par année…

Depuis au moins 2016, une cinquantaine de mètres de voirie ont été privatisés devant le bâtiment amiral du groupe de luxe au Bois de Boulogne. – Capture d’écran Google Maps.

Laisser-faire de la mairie et de la préfecture

Le tout, sans droit ni titre. A la vue et à la barbe de la Mairie qui a laissé faire. Mais aussi de la préfecture de police qui partage la compétence de la police de voirie avec cette dernière. A Marianne qui avait en 2018 déjà relaté cette histoire, on pensait que cette situation avait cessé. Que nenni. Elle perdure. A l’époque, notre enquête avait conclu que la Fondation profitait des mesures du plan Vigipirate pour poser ses barrières. C’est en tout cas ce que suggérait la réponse ampoulée de la préfecture de police en 2018: « Les mesures de prévention situationnelle développées par la Fondation l’ont été sur la base d’un audit de sûreté réalisé par le service information et sécurité du cabinet du préfet de Police et les interdictions de stationnement aux abords de l’établissement entrent dans ce cadre. Concernant la matérialisation de cette impossibilité de stationnement, c’est la fondation Louis Vuitton qui en a la charge au moyen de barrières n’appartenant pas aux services de la préfecture de Police

Sauf que la préfecture, contactée à nouveau à l’été dernier en vue de nous communiquer les fameux arrêtés d’interdiction de stationnement ou un arrêté Vigipirate, a dû admettre qu’ils n’existaient pas… Et les services du préfet Didier Lallement de préciser : « Concernant les abords de la Fondation Louis Vuitton, la préfecture de Police n’a pas connaissance, à ce jour, d’une saisine de la part des responsables de cet établissement ou d’un signalement de la Ville de Paris gestionnaire de la voirie, pour mettre en place des mesures de sécurisation dans le cadre du plan Vigipirate. » Bref, il y a des barrières, elles ne sont pas à nous, demandez à la Mairie. Contactée à son tour, la Ville, via le cabinet de Christophe Najdovski, l’adjoint aux Transports, voirie, déplacements et espace public, répondait d’emblée en juillet : « Les barrières ont été posées sans autorisation. La Direction de la voirie et des déplacements a contacté LVMH pour régulariser la situation et les enlever.»

Les barrières sont toujours là

Hiver 2020, les barrières sont toujours là, mais cette fois Bernard Arnault a daigné faire comme Monsieur tout le monde et déposer une demande d’autorisation pour son bout de voirie. Ce 13 février, les services de la Ville de Paris nous confirment avoir connaissance d’une « demande de régularisation, dans le cadre du plan Vigipirate. Laquelle a bien été validée par la Préfecture de Police. Cela devrait prochainement se matérialiser par un arrêté. » Voilà pour la régularisation des barrières et leur présence future. Mais pour le passé et la petite créance?

« Dans le cadre de vigipirate et de protection des sites sensibles, il n’ y a pas de redevance à payer », botte en touche la Ville de Paris, poursuivant : « Pour ces raisons, LVMH n’a pas à payer de redevance à la Ville. Cette compétence est uniquement dévolue à la Préfecture de Police. On ne peut que supposer que sur un site aussi sensible, LVMH ait bien pris attache avec la PP ou le commissariat du 16ème. » Pourtant, la Mairie devra impérativement exiger cette petite créance d’un million de redevance comme le dispose l’article 432-10 du Code pénal qui réprime « le fait, par les mêmes personnes (NDLR: personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public), d’accorder sous une forme quelconque et pour quelque motif que ce soit une exonération ou franchise des droits, contributions, impôts ou taxes publics en violation des textes légaux ou réglementaires ».

Pas possible, cette fois, de faire une petite fleur à Bernard Arnault, au risque de se placer dans le cadre du délit de «concussion».

Source : Marianne

 

 

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